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29 février 2016 1 29 /02 /février /2016 12:34

Alors qu'elles sont encore en discussion au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, les nouvelles sanctions envisagées contre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) après l'essai nucléaire du 6 janvier 2016 et le lancement d'un satellite le 7 février 2016 font d'ores et déjà l'objet de débats quant à leur portée et à leur mise en oeuvre. A supposer que le texte ne soit pas substantiellement modifié, il existe en effet une marge d'interprétation. En outre, la Russie examine en détail un texte à l'élaboration duquel elle n'a pas été associée : dans une conversation téléphonique à son homologue américain John Kerry, le 27 février, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a fait part de sa préoccupation quant à la nécessité de ne pas créer de difficultés pour les coopérations économiques avec la RPDC dans le secteur privé, en relevant par ailleurs les problèmes humanitaires rencontrés par la Corée du Nord.

Jetée au port de Dandong, en Chine, par lequel transite une part importante du commerce sino - nord-coréen.

Jetée au port de Dandong, en Chine, par lequel transite une part importante du commerce sino - nord-coréen.

Les "faucons" américains s'étaient bruyamment félicités après être parvenus à un accord avec la Chine sur un nouveau train de sanctions - d'une ampleur sans précédent - contre la RPD de Corée. Et effectivement, si leurs désirs étaient appliqués à la lettre ils porteraient un coup particulièrement rude à l'économie nord-coréenne - que nous avions estimé à potentiellement 10 points de PIB - entraînant la mort de nombreux civils, notamment d'enfants : un schéma qui, même s'ils s'en défendent, est conforme à leur volonté de mettre à genoux la population nord-coréenne dans l'espoir d'un effondrement de la RPDC, que l'administration Obama cherche ainsi à provoquer à défaut, pour les administrations américaines successives, de la voir survenir depuis plus de vingt ans.

Un des points essentiels concerne les restrictions aux exportations nord-coréennes de minerais - dont nous soulignions déjà, dans notre édition du 23 février, qu'elles méritaient d'être précisées.

Lee Je-hun, du quotidien sud-coréen Hankyoreh, a apporté les précisions suivantes, au regard des informations apparues ultérieurement dans les médias : 

Citant la copie du projet de résolution qu'elle a obtenue, l'agence Reuters a rendu compte que l'or, le titanium et les terres rares seraient soumis à un embargo, alors que le charbon et le minerai de fer seraient exclus de la liste des sanctions dès lors qu'ils seraient utilisés à "des fins concernant les moyens d'existence" et que ces sommes ne seraient pas détournées vers le développement des programmes nucléaires et balistiques de la Corée du Nord.

L'or, le titanium et les terres rares constituent des ressources importantes de la RPD de Corée qui, davantage exploitées (surtout en ce qui concerne les terres rares), pourraient offrir d'importantes perspectives de développement à la RPD de Corée. Il n'est d'ailleurs pas anodin que la Chine ait accepté d'inclure les terres rares dans cette liste de produits soumis à une interdiction d'exportation : au regard des réserves connues ou estimées, le principal concurrent de la Chine pour l'exploitation des terres rares est... la Corée du Nord.

Néanmoins, les principaux minerais exportés par la Corée du Nord sont aujourd'hui le charbon (plus de 1 milliard de dollars en 2015) et le fer, d'abord à destination de la Chine (on notera par ailleurs que d'autres exportations minières significatives, comme le cuivre et la magnésite, ne sont actuellement pas citées dans la presse : qu'en sera-t-il pour elles ?). Cette dernière n'a donc pas intérêt à perdre une source d'approvisionnements.

La question est de savoir comment s'assurer que le produit des exportations nord-coréennes va à l'amélioration des conditions de vie de la population, et non aux programmes nucléaires et balistiques ? Une telle "traçabilité" est en pratique quasi-impossible, sauf par une pratique douteuse d'amalgame entre entreprises relevant de secteurs d'activité totalement différents : les Etats-Unis sont peut-être prêts à franchir un tel pas, mais la Chine certainement pas... les médias chinois s'étant d'ailleurs empressés d'affirmer que les sanctions n'affecteraient pas les moyens d'existence des populations.

Il en va de même pour les restrictions aux livraisons de carburants pour les avions. Potentiellement, une telle mesure est de nature à asphyxier l'économie nord-coréenne. Mais la Chine, principal fournisseur de la RPDC en pétrole et en produits dérivés du pétrole, n'entend visiblement pas s'engager sur cette voie en étant soucieuse d'assurer le fonctionnnement normal de l'économie nord-coréenne, alors que les Etats-Unis avaient rêvé d'un embargo total sur les livraisons d'hydrocarbures à la RPDC.

Enfin, le projet de sanctions exclut l'aide humanitaire et, plus généralement, toute mesure de nature à porter atteinte au "bien-être" des populations. Les Etats-Unis et leur alliés iront peut-être plus loin, via des sanctions unilatérales, que les sanctions des Nations Unies dans leur logique d'affamer les populations nord-coréennes - ainsi, en Corée du Sud, même l'aide humanitaire à la RPDC est soumise à autorisation gouvernementale (!). Mais au regard de la faiblesse de leurs liens commerciaux, voire humanitaires, avec la RPD de Corée, leur marge de manoeuvre est limitée.

Prise de court par les initiatives nord-coréennes, la Chine revient au centre du jeu diplomatique. Tout en réaffirmant qu'elle appliquerait bien les sanctions (la semaine dernière, le blocage de livraisons de charbon nord-coréen par les douanes chinoises était apparu comme un signe avant-coureur des nouvelles sanctions), elle n'a aucune raison de privilégier une interprétation non conforme à la lettre du projet de résolution, quelles que soient les tentatives des Etats-Unis de chercher à imposer une lecture politique et non juridique... et alors que la Russie examine en détail le projet de résolution. Cette préoccupation est d'autant plus légitime que, par le passé, la Chine et la Russie se sont fait imposer des lectures non juridiques de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies - par exemple, en ce qui a concerné les actions contre la Jamahiriya arabe libyenne du colonel Mouammar Khadafi.

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