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9 août 2015 7 09 /08 /août /2015 21:33

Le 7 août 2015, à l'occasion du 70e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale en Asie suite à la capitulation japonaise le 15 août 1945, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) et l'Alliance coréenne ont organisé une conférence à Paris intitulée "Agir pour la paix et la sécurité collective en Asie du Nord-Est, 70 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale". Lors des débats animés par Patrick Kuentzmann, secrétaire général de l'AAFC, les orateurs et les participants, originaires de cinq pays  éprouvés par le conflit (Japon, Corée, Vietnam, France, Allemagne), et parmi lesquels des membres d'organisations pacifistes françaises et japonaises (dont le Mouvement de la paix), ont exprimé leur volonté commune d'agir pour la paix, le désarmement - tant conventionnel que nucléaire - et la mise en place de mécanismes de sécurité collective en Asie de l'Est. Par ailleurs, fondamentalement attachés à la défense des droits de l'homme et des libertés publiques, les participants ont relayé l'appel du Comité international pour les libertés démocratiques en Corée du Sud appelant à la libération immédiate du directeur du Centre des droits de l'homme Park Rae-gun, arrêté à Séoul le 16 juillet 2015 en tant que membre de l'Alliance du 16 avril, groupe civique sud-coréen qui exige une véritable enquête sur les causes du dramatique naufrage du ferry "Sewol", qui a causé plus de 300 morts au large de la Corée - pour la plupart des lycéens en voyage scolaire - le 16 avril 2014.

Français, Coréens et Japonais plaident pour la paix et le désarmement en Asie de l'Est

Dans son intervention intitulée "D'un conflit à l'autre : de la Seconde Guerre mondiale à la guerre de Corée, les tensions en Asie du Nord-Est et la nécessité de mettre en place des dispositifs de paix, de désarmement et de sécurité collective", Benoît Quennedey, vice-président de l'AAFC chargé des actions de coopération, a montré que la Seconde guerre mondiale - qui, en Asie, a commencé en juillet 1937 avec la guerre sino-japonaise, et s'est terminée le 15 août 1945 - a créé la situation géopolitique (division de la Corée, occupations du Japon et de la Corée) à l'origine de la guerre de Corée (1950-1953), et comment les tensions actuelles en Asie de l'Est découlent de ces deux conflits. Se prolongeant par des conflits de représentations (ainsi, le 15 août est considéré comme la fin de la guerre au Japon, mais marque bien la capitulation et la défaite de l'empire nippon et est célébré comme le jour de la libération en Corée), ces tensions sont de différents ordres :

- militaire (course aux armements, notamment nucléaires ; exercices militaires bisannuels américano - sud-coréens de grande ampleur au large de la Corée apparaissant comme les préparatifs d'un nouveau conflit),

- diplomatique (absence de traité de paix à la fin de la guerre de Corée, non-établissement de relations diplomatiques entre le Japon et la République populaire démocratique de Corée, absence d'excuses du Japon pour les crimes commis pendant la Seconde guerre mondiale, notamment lors de la normalisation des relations avec la République de Corée en 1965), 

- territorial (entre la Russie et le Japon à propos des îles Kouriles, sur les îles Dok - appelées Takeshima par le Japon - entre la Corée et le Japon, sur les Diaoyu/Senkaku entre la Chine et le Japon).

Dans ce contexte, l'AAFC appelle à la signature d'un traité de paix en lieu et place de l'accord d'armistice ayant clos les combats de la guerre de Corée, à la reconnaissance par le Japon des crimes commis à l'encontre des "femmes de réconfort", anciennes esclaves sexuelles (principalement coréennes) de l'armée japonaise, au soutien aux efforts de démilitarisation et de dénucléarisation et au refus de tout révisionnisme historique (notamment, sur l'usage désormais avéré d'armes chimiques par les troupes américaines pendant la guerre de Corée).

Puis Camille Fonseca est intervenue sur "La question du militarisme japonais contemporain et de la Constitution pacifiste japonaise". Elle a souligné que, 70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement japonais du Premier ministre Shinzo Abe est en proie à une tentation militariste teintée de révisionnisme historique. Depuis décembre 2012, le gouvernement Abe s'obstine à vouloir ressusciter le vieux rêve d'une partie de la droite et de l'extrême-droite japonaise : "en finir avec le régime d'après-guerre", c'est-à-dire avec la Constitution pacifiste dont l'article 9 n'autorise pas les soldats japonais à aller se battre à l'étranger. Si dès 1948 le contexte de la guerre froide a incité les Etats-Unis à encourager un réarmement limité du Japon, entraînant notamment la création en juillet 1954 des Forces japonaises d'autodéfense (jieitai), le Premier ministre de l'époque, Shigeru Yoshida, expliquant alors que l'article 9 de la Constitution n'interdisait pas l'autodéfense.

Avec le temps, les forces du jieitai se sont considérablement développées. A partir de 1991, le jieitai a même été envoyé à l'étranger, le Japon se dotant d'une nouvelle législation qui l'autorise à participer à des actions dans le cadre de la Force de maintien de la paix des Nations Unis (loi PKO de 1992) ou pour des actions humanitaires. Dans l'opinion publique, l'envoi de soldats du jieitai à l'étranger a suscité à chaque fois une vive opposition, en particulier en 2003 lors de la Guerre d'Irak. Les dirigeants au sein du gouvernement PLD ont toujours expliqué que le jieitai ne participerait jamais à des combats à l'étranger parce que l'article 9 ne permet pas au Japon d'exercer le droit de légitime défense collective.

Les efforts actuels du gouvernement Abe de revenir sur l'article 9 de la Constitution s'inscrivent dans une démarche de déni de la défaite, comme l'ont montré les travaux du jeune politologue japonais Satoshi Shirai : les dirigeants japonais n'ont jamais admis la capitulation de leur pays : c'est ainsi que le 15 août, date de cet événement, est appelé "jour anniversaire de la fin de la guerre". Ce déni de la défaite explique également le développement d'un très fort courant révisionniste à partir des années 1990, notamment en réaction aux demandes de reconnaissance officielle des "femmes de réconfort", principalement coréennes. 

Lors de sa visite à Washington, fin avril 2015, le Premier ministre Shinzo Abe a prononcé un discours devant le Congrès et le Sénat américains réunis, promettant de faire adopter un "droit de légitime défense collective" avant l'été, revenant sur l'interprétation de l'article 9 de la Constitution. Mais la mobilisation de l'opinion publique a rendu ce projet impopulaire auprès d'une majorité de Japonais, hypothéquant ainsi son adoption, tout en entraînant un net recul de la cote de popularité du gouvernement.

Enfin, Stephen Cho (Alliance coréenne) a traité la question de "La Corée au coeur de la stratégie américaine du pivot asiatique" consistant en un recentrage des forces militaires américaines dans la région Asie-Pacifique. L'une des composantes du pivot asiatique est la remilitarisation du Japon. Il a également pour pendant le renforcement de l'alliance avec la Corée du Sud et la création d'un axe militaire Washington-Tokyo-Séoul, comportant la participation du Japon à des exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud et la mise en place d'un accord tripartite en matière de renseignement. Le gouvernement sud-coréen de Mme Park Geun-hye tend toutefois à se rapprocher davantage de la Chine (devenue le premier partenaire économique de la République de Corée) que du Japon. Ce rééquilibrage vers l'Asie, accentué après le déclenchement de la crise économique mondiale en 2008, vise à faire pièce à la montée en puissance militaire de la Chine et de la Russie.

La politique américaine en Asie est teintée d'hypocrisie quand elle prétend favoriser la résolution de la question des femmes de réconfort, alors qu'elle est un obstacle à la remilitarisation du Japon à laquelle Washington est favorable. De même, sur la question nucléaire, les Etats-Unis occultent le fait qu'ils ont été la seule puissance à l'avoir utilisée lors des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki, ayant fait par ailleurs de nombreuses victimes coréennes parmi les populations de ces deux villes japonaises, et que son usage a été à nouveau envisagé pendant la guerre de Corée.

En conclusion, Stephen Cho a expliqué que les progressistes sud-coréens étaient favorables à la transformation de l'accord d'armistice du 27 juillet 1953 en un traité de paix et qu'ils s'opposaient à la modification de l'article 9 de la Constitution japonaise. Par ailleurs, la démilitarisation de la Corée et de l'Asie implique un refus de toutes les armes de destruction massive, et devrait prendre place dans le cadre d'un système de sécurité collective, sur la base de l'expérience des conférences sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). Si les CSCE ne peuvent pas être considérées comme un modèle, d'autres régions du monde que l'Europe montrent la possibilité de relations de coopération équilibrées (comme l'ALBA en Amérique latine), fondées sur la solidarité entre les peuples.

Français, Coréens et Japonais plaident pour la paix et le désarmement en Asie de l'Est
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