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31 octobre 2023 2 31 /10 /octobre /2023 17:44

Alors que le paysage politique de la République de Corée (Corée du Sud) était dominé depuis près de dix ans, à gauche, par le Parti de la justice à la suite de l'interdiction (dans des conditions fortement critiquées) du Parti progressiste unifié (PPU), l'émergence dans les sondages du Parti progressiste, depuis sa victoire dans une législative partielle le 5 avril 2023, rebat les cartes - alors que le Parti progressiste s'affiche plus à gauche que le Parti de la justice et est, à ce titre, la cible de violentes critiques à droite et à l'extrême-droite, au motif qu'il s'agirait d'une résurgence du PPU, allant jusqu'à plaider pour l'interdiction du parti. Pour leur part, les démocrates, soumis à cette pression de la droite, ont refusé jusqu'à présent toute alliance électorale avec le Parti progressiste et son prédécesseur, le Parti Minjung.

Kang Seong-hee, après sa victoire dans la législative partielle du deuxième district de Jeonju, en avril 2023

Kang Seong-hee, après sa victoire dans la législative partielle du deuxième district de Jeonju, en avril 2023

Formé en 2017, le Parti progressiste (qui s'appelait jusqu'en juin 2020 Parti Minjung, qu'on peut traduire par Parti populaire) avait fait élire deux députés à Ulsan, bastion ouvrier, aux législatives de 2016. L'un d'eux avait été déchu de son mandat en décembre 2017 au motif d'une méconnaissance de la loi électorale, et l'unique siège sortant avait été perdu aux élections législatives du 15 avril 2020. Lors de ce scrutin, le Parti Minjung avait recueilli 1,06 % des voix au scrutin de liste, en-deçà du seuil de 3 % pour obtenir des députés à la proportionnelle. Par comparaison, le Parti de la justice avait réuni 9,67 % des voix au scrutin de liste et fait élire 6 députés, dont 5 au scrutin proportionnel et 1 au scrutin majoritaire. Toujours à gauche de l'échiquier politique, au scrutin de liste le Parti Vert de Corée avait alors rassemblé 0,21 % des voix et le Parti du travail, formation socialiste très critique vis-à-vis de la Corée du Nord, 0,12 %. Lors de l'élection présidentielle de 2022, la candidate du Parti progressiste, l'ancienne syndicaliste étudiante puis députée Kim Jae-yeon, n'avait recueilli que 0,12 % des voix, en portant l'ambition de devenir une présidente féministe - alors que le féminisme est très actif en Corée. 

Fort d'une base militante solide (estimée à 95 000 membres en mars 2023 ; par comparaison, le Parti de la justice comptait 53 000 adhérents en décembre 2020), le Parti progressiste a obtenu des succès aux élections locales : il compte dans ses rangs 1 maire (sur les 226 du pays), 3 députés régionaux (sur 872) et 17 conseillers municipaux (sur 2 988). 

A la différence du Parti de la justice, le Parti progressiste se revendique anti-impérialiste et a dénoncé la livraison d'armes létales à l'Ukraine dans le conflit qui l'oppose à la Russie. Se définissant comme "progressiste" plutôt que comme "socialiste" (un qualificatif souvent associé à la Corée du Nord en Corée du Sud), il est opposé au pouvoir des conglomérats (les chaebols) et se prononce pour un taux marginal d'imposition de 90 % sur les plus hauts revenus. Il défend les droits des travailleurs, des migrants, des femmes et des personnes LGBT. Plus ouvert au dialogue intercoréen que les démocrates, il s'oppose aux sanctions contre la Corée du Nord.

Le 5 avril 2023, Kang Seong-hee a été élu lors d'une législative partielle organisée dans le deuxième district de Jeonju, un bastion de l'opposition progressiste, en obtenant 39,07 % des suffrages contre 32,11 % à un indépendant proche des démocrates, permettant ainsi au Parti progressiste de revenir au Parlement. Kang Seong-hee avait obtenu le soutien du Parti Vert de Corée de la province du Jeolla du Nord mais pas du Parti de la Justice, et fait campagne sur une opposition résolue au Président Yoon Seok-yeol (conservateur). Au Parlement, une troisième formation à gauche est aussi représentée, le Parti pour un revenu de base : ancienne membre du Parti du travail,  Yong Hye-in a été élue sur la liste proportionnelle du Parti démocrate avant de rejoindre le Parti pour un revenu de base, dont le nom reflète les propositions mono-thématiques.

Le succès à la législative partielle de Jeonju-2 a redonné une certaine visibilité nationale au Parti progressiste, proposé dans les sondages par l'institut Realmeter depuis octobre 2023. Si les intentions de vote restent modestes (avec un pic à 1,8 % pour la troisième semaine d'octobre 2023), elles doivent être comparées avec celles du Parti de la justice, seulement crédité de 2 % à 4 % depuis juillet 2023, et dont le monopole électoral à la gauche du Parti démocrate pour les élections nationales apparaît ainsi entamé. Alors que le scrutin législatif est prévu en avril 2024, les démocrates conservent dans les sondages une large avance sur les conservateurs (jusqu'à 12 points), ce qui laisserait aux électeurs progressistes la possibilité de faire entrer au Parlement des candidats plus à gauche, soit en les soutenant au scrutin proportionnel s'ils ont une chance raisonnable de franchir le seuil de 3 % des voix, soit en choisissant entre plusieurs candidats progressistes dans les circonscriptions pourvues au scrutin majoritaire, dans les provinces - comme le Jeolla - où les conservateurs sont hors course, dépassant rarement 10 % des suffrages. 

Sources : 

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28 octobre 2023 6 28 /10 /octobre /2023 20:21

Il y a un an, le soir du 29 octobre 2022, dans le cadre des cérémonies d'Halloween, une bousculade dans le quartier d'Itaewon, à Séoul, virait au drame : 159 personnes - pour la plupart des jeunes, dont deux tiers de femmes - ont péri, étouffées et piétinées. Alors que des manifestations d'ampleur ont critiqué la gestion de la crise par le gouvernement, appelant à la démission du Président Yoon Seok-yeol, les procédures judiciaires restent en cours. 

Recueillement sur le lieu du drame, un an plus tard

Recueillement sur le lieu du drame, un an plus tard

Les familles pleurent leurs morts et les survivants restent affectés par un traumatisme qui ne disparaîtra jamais. La fête d'Halloween a viré au drame dans le quartier branché d'Itaewon : parmi les 159 victimes, 26 n'étaient pas coréennes - dont une française. Le chanteur et acteur Lee Jihan figure parmi les victimes.  

Le chanteur et acteur Lee Jihan est mort dans la bousculade d'Itaewon

Le chanteur et acteur Lee Jihan est mort dans la bousculade d'Itaewon

Comme souvent dans ces tragédies, les causes sont multiples et les responsabilités complexes : l'enquête a montré que des appels avaient été donnés aux autorités pour signaler le trop grand nombre de personnes rassemblées dans la ruelles étroites de la capitale sud-coréenne. En vain. 

Mis en cause, le ministre de l'intérieur et de la sécurité Lee Sang-min a fait l'objet, le 11 décembre 2022, d'un vote de défiance par l'Assemblée nationale, où l'opposition est majoritaire. Le Président Yoon Seok-yeol s'y est opposé. Une motion de destitution contre Lee Sang-min a finalement été adoptée par les députés le 9 février 2023, mais elle a été rejetée par la Cour constitutionnelle le 25 juillet 2023 : les juges constitutionnels ont estimé que la catastrophe ne s'explique pas par l'action d'une seule personne mais relève d'une multitude de causes. Quant à elles, les procédures judiciaires restent en cours.

En avril 2023, un projet de loi a été déposé pour indemniser les victimes, approfondir l'enquête sur les causes du drame et empêcher que de telles tragédies ne se reproduisent. Le texte n'a pas été adopté, la majorité présidentielle (conservatrice) s'y opposant en redoutant des conséquences comparables à celle du naufrage du Sewol, ayant engendré un mouvement de protestation de masse qui a conduit in fine à la destitution de la présidente Park Geun-hye

Mais la société coréenne a, elle, retenu les leçons : des cours de réanimation cardiorespiratoire (RCR) et pour prodiguer les premiers soins sont désormais donnés dans les établissements d'enseignement, tandis que les citoyens sont sensibilisés aux phénomènes de foule pour procéder à des signalements préalables. Des caméras de vidéosurveillance ont aussi été installées, y compris sur les lieux de la bousculade tragique. 

Pour la mémoire des victimes innocentes fauchées dans la fleur de l'âge, il incombe à nous, survivants, d'empêcher que l'inimaginable ne se reproduise. C'est notre devoir en tant que citoyens responsables et solidaires.

Principale source : 

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23 septembre 2023 6 23 /09 /septembre /2023 09:58

Le 21 septembre 2023, l'Assemblée nationale sud-coréenne a levé l'immunité parlementaire de Lee Jae-myung, qui dirige la principale formation d'opposition, le Parti démocrate (centre-gauche). Le vote survenu a une assez nette majorité (149 voix pour la destitution, 136 contre) a été une surprise dans la mesure où les démocrates disposent d'une majorité parlementaire de 168 sièges (sur 298). Battu d'une courte tête par le président Yoon Seok-yeol à l'élection présidentielle de 2022, Lee Jae-myung est hospitalisé depuis le 18 septembre après avoir engagé une grève de la faim il y a plus de trois semaines. Il dénonce une cabale politico-judiciaire. 

Lee Jae-myung sur son lit d'hôpital, le 21 septembre 2023

Lee Jae-myung sur son lit d'hôpital, le 21 septembre 2023

S'il y a un pays démocratique où le concept de guerre du droit (lawfare) a un sens, c'est bien la République de Corée (Corée du Sud). Alors que les juges penchent nettement du côté conservateur de l'échiquier politique, les anciens présidents - conservateurs ou démocrates - sont presque systématiquement visés par la justice à la fin de leur mandat, directement ou via leurs proches. L'ancienne présidente Park Geun-hye a ainsi écopé d'une très lourde peine qui dépassait manifestement les griefs de corruption lui étant imputés. Depuis, l'ancienne chef de l'Etat a été libérée. Signe du rapport ambigu entre justice et politique en Corée du Sud, le procureur général qui avait joué un rôle important dans son emprisonnement, Yoon Seok-yeol, a ensuite choisi de s'engager en politique du côté de l'opposition conservatrice (et du parti sous les couleurs duquel avait été élue la présidente Park), alors qu'il était jusqu'alors réputé indépendant, ce qui avait favorisé sa carrière sous des administrations démocrates. Born again comme conservateur assumé, Yoon Seok-yeol a accédé à la magistrature suprême en mai 2022. Et il a choisi, sept mois plus tard, de gracier son prédécesseur (conservateur) Lee Myung-bak (président de 2008 à 2013), qu'il avait lui-même fait envoyer en prison comme procureur...

Dans ce contexte, Lee Jae-myung dénonce une instrumentalisation de la justice à des fins politiques, alors que les procédures s'accumulent contre l'ancien avocat, défenseur des droits de l'homme et des minorités, notamment pour des faits supposés de corruption remontant à l'époque où il était maire de Seongnam, avant 2018. 

Lee Jae-myung justifie sa grève de la faim par la dégradation de l'économie sud-coréenne, la gestion par l'Etat du rejet des eaux radioactives de la centrale nucléaire de Fukushima ou encore la dégradation des relations intercoréennes qu'il impute aux choix diplomatiques du Président Yoon.  

Le vote surprise de levée de l'immunité parlementaire de Lee Jae-myung a suscité la stupeur et la colère parmi ses partisans. il révèle les divisions chroniques du Parti démocrate, où les luttes de factions l'ont souvent emporté sur l'intérêt du camp progressiste, et s'inscrit dans la préparation des élections législatives d'avril 2024, pour lesquelles les démocrates sont favoris. Si l'état de santé de Lee Jae-myung le permet, il pourrait être arrêté dès la semaine prochaine, le 27 septembre 2023. 

Presque en même temps, un autre vote du Parlement a censuré - pour des motifs politiques - le Premier ministre Han Duck-soo, indépendant proche des conservateurs. Mais dans le régime présidentiel sud-coréen, le chef de l'Etat n'est nullement tenu de nommer un chef de gouvernement issu de la majorité parlementaire et ayant la confiance de l'Assemblée nationale. De fait, aucun observateur ne s'attend, à Séoul, à ce que le président Yoon tire les conséquences de ce vote de défiance en procédant à la destitution de son Premier ministre : il a le droit de s'y opposer.


MAJ : le 27 septembre 2023, la Cour centrale du district de Séoul a rejeté la demande du parquet de placer en détention provisoire Lee Jae-myung.

Sources : 

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10 juin 2023 6 10 /06 /juin /2023 20:20

Du 8 au 11 juin 2023, le Congrès mondial des Verts se réunit à Séoul, en République de Corée (Corée du Sud), avec comme mot d'ordre : "unir et responsabiliser le mouvement vert mondial". Réseau international des mouvements et partis politiques adhérents de la Charte des Verts mondiaux (soit 87 partis politiques et 9 organisations), le Congrès mondial des Verts (en anglais, Global Greens) organise sa cinquième réunion mondiale - et la première en Asie - après celles de Canberra en 2001, Sao Paulo en 2008, Dakar en 2012 et Liverpool en 2017. Le choix de la République de Corée rend compte du dynamisme du parti écologiste au pays du Matin calme, alors que l'implantation politique des Verts reste plus lente en Asie que sur les continents européen et américain. 

Le Parti Vert de Corée souhaite la bienvenue au Congrès mondial

Le Parti Vert de Corée souhaite la bienvenue au Congrès mondial

Les six principes de la Charte des Verts mondiaux, dont la signature en 2001 à Canberra a conduit à la création du Congrès mondial des Verts, sont la sagesse écologique, la justice sociale, la démocratie participative, la non-violence, le développement durable et le respect de la diversité. Il s'agit d'une structure internationale flexible, visant à fédérer les actions menées par les signataires de la Charte. Le réchauffement climatique et le nucléaire se sont affirmés comme deux des thèmes majeurs des rencontres internationales.

Hôte du Congrès, le Parti Vert de Corée, fort de plus de 10 000 membres (soit un nombre d'adhérents comparable à celui d'Europe Ecologie les Verts), a été constitué, sous sa forme actuelle, en mars 2012 - peu après la catastrophe de Fukushima, qui avait déclenché une vague de solidarité dans toute la Corée. 

Le mode de scrutin propre à la Corée, presque exclusivement majoritaire (une partie des sièges à l'Assemblée nationale sont toutefois attribués au scrutin proportionnel de liste, avec un seuil à 3 %), a entravé le développement du Parti Vert de Corée, qui jusqu'à présent n'a pas obtenu d'élus aux scrutins nationaux ni locaux. Le meilleur résultat aux élections législatives a été enregistré en 2016, avec 182 000 voix (0,77 %) pour la liste nationale qui était conduite par la réalisatrice Hwang Yoon, plaçant le parti au huitième rang national. En 2020, 59 000 voix ont été recueillies (0,21 %). Ces résultats sont toutefois loin de refléter le degré d'adhésion à l'écologie dans l'opinion publique sud-coréenne.

Outre les questions environnementales et le pacifisme, conduisant à une critique du colonialisme et de l'impérialisme occidentaux, le Parti Vert de Corée met aussi l'accent sur les droits des femmes et des minorités LGBTQIA+, ainsi que l'instauration du revenu universel de base, traduisant l'inscription des écologistes sud-coréens dans les débats qui animent la société.

Sources : 

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3 mars 2023 5 03 /03 /mars /2023 23:05

La pasteure Lim Bora nous a quittés à l'âge de 55 ans. Dans une société sud-coréenne toujours très conservatrice, elle s'était engagée avec courage, bravant l'hostilité viscérale des chrétiens conservateurs qui lui avait valu d'être la cible de très nombreux messages de haine. Si elle avait défendu les droits des personnes handicapées, le bien-être animal ou encore s'était encore opposée à la construction de la base navale militaire sur l'île de Jeju, c'est son combat en faveur des droits des personnes LGBT qui l'avait distinguée comme une Juste au sein des églises protestantes. Nous saluons la mémoire d'une militante exemplaire des droits de l'homme et pour la justice sociale, en adressant nos condoléances à sa famille, ses amis et ses proches.

La pasteure Lim Bora (photo Yang Chien-hao)

La pasteure Lim Bora (photo Yang Chien-hao)

Le combat pour la démocratie et les droits de l'homme a été une constante des engagements de Lim Bora. Dans les années 1980, alors qu'elle étudiait la théologie, elle n'hésitait déjà pas à affronter avec courage et détermination les forces de l'ordre dans des batailles de rue où succombèrent des militants pour la démocratie, tels que Yi Han-yeol

Elle considérait que son devoir pastoral devait la conduire aux côtés des opprimés et des délaissés. L'église Soemdol Hyangrin, qu'elle a fondée à Séoul en 2013, offre un refuge aux personnes LGBT rejetées par leurs familles et leurs proches. C'est au sein de la communauté sud-coréenne LGBT que les messages les plus émouvants de condoléances ont été écrits pour saluer la pasteure Lim Bora, trop tôt disparue, et qui reste un modèle. Mentionnons notamment sa condamnation des discriminations contre les personnes LGBT dans l'armée sud-coréenne, qui n'hésite pas à piéger les soldats pour découvrir leur orientation sexuelle, ou encore son engagement en mars 2021, après le suicide de la sergente Byun Hee-soo, qui avait été révoquée de l'armée car transgenre. La pasteure Lim Bora nous a montré le chemin pour la construction d'une société plus juste, plus tolérante, plus fraternelle.

Sources : 

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25 janvier 2023 3 25 /01 /janvier /2023 21:37

Les 18 et 19 janvier 2023, des raids policiers ont visé les locaux de la Confédération coréenne des syndicats (acronyme anglais, KCTU) et du Syndicat coréen de la santé et des travailleurs médicaux. Alors que la liberté syndicale n'a été consacrée en République de Corée (Corée du Sud) que tardivement, la KCTU n'ayant été autorisée qu'après l'entrée de la Corée du Sud à l'OCDE en 1997, les atteintes à la liberté syndicale restent trop nombreuses, tout particulièrement lorsque les conservateurs sont au pouvoir à Séoul : à l'AAFC, nous avions déjà dénoncé un raid policier au siège de la KCTU en novembre 2015, alors que le président de la KCTU Han Sang-gyun était arrêté en décembre 2015 pour "sédition" (sic). Nous avions aussi relayé en 2014 l'appel d'Amnesty international à la libération de Kim Jeong-woo. Toujours solidaires du combat des syndicalistes coréens pour la justice sociale et la liberté, nous reproduisons ci-après, traduit de l'anglais, un article publié par la Confédération syndicale internationale (CSI), à laquelle est affiliée la KCTU, sur les raids policiers des 18 et 19 janvier 2023.

Photo KCTU

Photo KCTU

Corée du Sud : les raids du Gouvernement contre les syndicats sont des attaques contre la démocratie

La CSI condamne les raids contre les locaux de syndicats coréens par les services de renseignement comme une attaque ouverte contre la démocratie et le mouvement du travail.

Les bureaux de la Confédération coréenne des syndicats (KCTU) et du Syndicat coréen de la santé et des travailleurs médicaux (KHMU) ont été ciblés par l'agence de renseignement sud-coréenne tôt dans la journée du 18 janvier. Selon les comptes rendus des médias, les raids se sont poursuivis le 19 janvier alors que la police ciblait les syndicats de la construction affiliés à la KCTU et à la Fédération des syndicats coréens (KFTU) [Note de la traduction : la KFTU est le plus ancien syndicat coréen, autorisé antérieurement à la KCTU, de tradition réformiste].

Dans une déclaration, la KHMU a dit que les forces gouvernementales avaient fouillé ses bureaux pendant plusieurs heures malgré son intention de coopérer : "Nous condamnons fermement la suppression du mouvement du travail par la sécurité publique. Nous allons combattre fermement contre cela... Nous ne cèderons jamais à la campagne de sécurité publique ciblée du Gouvernement".

Le secrétaire général adjoint de la CSI, Owen Tudor, a dénoncé les raids : "Nous soutenons fermement le mouvement du travail coréen face à cette agression ouverte et cette intimidation du Gouvernement.

C'est une attaque honteuse contre les syndicats et, en tant que telle, une attaque contre la démocratie en Corée du Sud. En tant que membre de l'OIT, le gouvernement coréen a le devoir de respecter les normes de l'OIT sur la liberté d'association. Cela implique de respecter les droits humains et les droits syndicaux et garantir que les syndicats puissent fonctionner à l'abri de la peur et de la persécution.

Les syndicats en Corée du Sud peuvent être fiers de leur histoire de lutte pour la justice sociale et de leurs victoires pour les travailleurs. Je sais qu'ils ne seront pas réduits au silence, qu'ils continueront leur travail malgré les intimidations, et qu'ils peuvent compter sur le soutien et la solidarité de toute la CSI.
"

Ce n'est pas la première fois que le gouvernement coréen réprime les syndicats. En 2021, le président de la KCTU avait été arrêté et en décembre les policiers avaient tenté de mener un raid contre les locaux syndicaux pour briser une grève des camionneurs.

Traduction de l'anglais de l'article publié le 20 janvier 2023 sur le site de la CSI : 

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12 décembre 2022 1 12 /12 /décembre /2022 23:53

Alors que la mobilisation se poursuit après la bousculade mortelle ayant causé 158 morts à Itaewon le 29 octobre 2022, l'Assemblée nationale - où l'opposition est majoritaire - a voté le 11 décembre 2022 une motion visant à la révocation du ministre de l'Intérieur Lee Sang-min. Le président conservateur Yoon Seok-yeol s'y est de facto opposé, en appelant à ce que prenne d'abord fin l'enquête de police sur les origines de la tragédie.

Itaewon, le soir du drame

Itaewon, le soir du drame

Les députés conservateurs (minoritaires) avaient quitté l'hémicycle au moment du vote, où la motion a ainsi été adoptée par 182 voix "pour" et un vote invalidé - l'Assemblée nationale comptant 300 sièges. 

Les parlementaires proches du chef de l'Etat avaient brandi auparavant des pancartes où ils mettaient en cause Lee Jae-myung, l'adversaire malheureux (battu d'une courte tête : 47,83 % contre 48,56 %) de Yoon Seok-yeol à l'élection présidentielle du 9 mars 2022, L'un des proches de Lee Jae-myung, Jeong Jin-sang, est impliqué dans une affaire de corruption. Les démocrates ont dénoncé une manoeuvre pour éviter que toutes les conséquences ne soient tirées de la bousculade mortelle survenue à Itaewon, où les familles des victimes demandent que les responsables soient sanctionnés.

La position des conservateurs - et du président Yoon - est qu'il convient d'attendre la fin de l'enquête de police - ainsi que d'une enquête parlementaire - avant de se prononcer sur le maintien à son poste du ministre de l'intérieur. L'administration présidentielle considère ainsi que ce n'est pas à proprement parler un veto du chef de l'Etat.

Alors que les prochaines élections législatives sont prévues en avril 2024, Yoon Seok-yeol est devenu le président le plus rapidement impopulaire de la Corée du Sud, et la perte de confiance de l'opinion publique a encore grandi après la catastrophe d'Itaewon. Lors de la deuxième semaine de décembre 2022, il est crédité de 38 % d'opinions favorables et de 59 % d'opinions défavorables selon l'institut de sondages Realmeter. En cas d'élections législatives, et d'après le même institut, les démocrates (principale formation d'opposition) obtiendraient 45 % des voix et les conservateurs 39 %.

Sources :

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11 novembre 2022 5 11 /11 /novembre /2022 15:29

Après la bousculade dramatique ayant causé à présent 157 morts dans le quartier d'Itaewon le 29 octobre 2022, des manifestations ont eu lieu dans toute la République de Corée (Corée du Sud) le 5 novembre 2022 pour mettre en cause la réponse jugée insuffisante des autorités. Les manifestants ont fait le parallèle avec les défaillances dans la gestion en 2014 du naufrage du ferry Sewol, appelant à la démission du président conservateur Yoon Seok-yeol.

Tragédie du 29 octobre à Itaewon : les raisons de la colère

A l'appel de plusieurs groupes d'organisateurs, les veillées aux chandelles ont réuni au moins des dizaines de milliers de Coréens. Vêtus de noir et aborant des chrysanthèmes, symboles du deuil, ils ont exprimé leur colère. Au micro de la BBC, Kang Jee-joo, une étudiante de 22 ans, a déclaré : 

J'ai d'abord ressenti de la tristesse. Mais maintenant je suis en colère. Je suis ici parce qu'on aurait pu empêché cet incident. Ces personnes avaient presque mon âge.

Si les autorités ont reconnu ne pas avoir déployé suffisamment de forces de l'ordre sur le lieu du drame pour prévenir la catastrophe, leurs excuses - à l'instar de celles du ministre de l'intérieur - ne satisfont pas l'opinion publique qui estime que les autorités cherchent à se décharger de leurs responsabilités. Entre 18h34 et 22h11, donc jusqu'à près de quatre heures avant l'heure du drame, le numéro d'urgence 112 aurait reçu au moins 11 appels sur le risque qu'un mouvement de foule ne prenne un tour dramatique. Ces mises en garde n'ont manifestement pas été entendues. Il n'y avait que 137 membres des forces de l'ordre présents lors de la catastrophe, dont la plupart étaient en civil (seuls 58 policiers étaient revêtus de leur uniforme).  La préoccupation principale de la police semblait alors de lutte contre la consommation de cannabis.

Alors que la sécurité publique fait partie des missions régaliennes d'un Etat, ce manque de réactivité est d'autant plus imputé au chef de l'Etat qu'il est un ancien procureur. Les participants ont appelé à la démission du chef de l'Etat, dont la popularité est exceptionnellement basse six mois après son entrée en fonctions le 10 mai 2022.

Trois partis de l'opposition (Parti démocrate, Parti de la justice et Parti du revenu de base) - qui est majoritaire au Parlement - ont demandé la constitution d'une commission d'enquête parlementaire, à laquelle s'oppose la formation du chef de l'Etat, le Parti du pouvoir du peuple. Les parlementaires d'opposition à l'origine de cete initiative estiment nécessaire d'évaluer de manière indépendante les mesures de prévention du drame puis l'intervention des forces de l'ordre, critiquant ce qu'ils appellent une "auto-enquête".

Une manifestation est organisée par les Coréens en France le samedi 12 novembre 2022, à 17h, place du Trocadéro. Et parce que les mots ont un sens, et que des responsabilités doivent être établies, les organisateurs dénoncent la tragédie du 29 octobre - et non la bousculade d'Itaewon.

Sources : 

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11 novembre 2018 7 11 /11 /novembre /2018 13:37

Le 9 novembre 2018, le Président Moon Jae-in a remplacé les deux principaux acteurs de la politique économique du gouvernement : le ministre de l'Economie Kim Dong-yeon et le conseiller présidentiel en charge de l'économie Jang Ha-sung étaient ouvertement en désaccord, le second voulant poursuivre une politique de croissance basée sur l'augmentation des revenus (dont il est l'inspirateur, et qui figurait dans le programme du Président Moon Jae-in), quand le premier entendait mettre l'accent sur la déréglementation de l'économie. Kim Dong-yeon et Jang Ha-sung ont été remplacés respectivement par Hong Nam-ki et Kim Su-hyun. Alors que la politique économique est un sujet majeur de divergences entre le gouvernement et l'opposition conservatrice (avec la politique d'ouverture au Nord du Président Moon), les médias français ont très largement répété les éléments de langage figurant dans une dépêche de l'AFP, laquelle apporte une image complètement biaisée des termes du débat en reprenant les arguments douteux des opposants de droite au Président Moon. 

De gauche à droite : Hong Nam-ki et Kim Su-hyun, respectivement nouveau ministre de l'Economie et nouveau conseiller présidentiel chargé des politiques économiques

De gauche à droite : Hong Nam-ki et Kim Su-hyun, respectivement nouveau ministre de l'Economie et nouveau conseiller présidentiel chargé des politiques économiques

En apparence, la dépêche de l'AFP peut sembler factuelle : elle précise les changements d'acteurs, met en exergue le conflit qui opposait Kim Dong-yeon et Jang Ha-sung et rappelle les données macro-économiques de la Corée du Sud. En réalité, elle biaise - délibérément ? - les données politiques et économiques en soulignant implicitement que la politique du Président Moon Jae-in serait à l'origine d'un ralentissement de l'économie présenté comme inquiétant. Cette lecture partisane s'inspire directement de l'argumentaire de la droite conservatrice qui avait engagé la République de Corée sur une pente autoritaire avant d'être chassée par le peuple lors de la révolution des bougies. Cette présentation et cette analyse biaisées ne résistent pourtant pas à l'examen des faits. 

Le remaniement ministériel est d'abord décrit comme un "limogeage". Nous avons de la chance, le journaliste de l'AFP aurait pu parler de "purge" - mais l'accusation de "dictature"  (à laquelle les "purges" sont nécessairement liées) ne fait pas (pas encore ?) partie des faux procès lancés contre les démocrates coréens, qui sont au contraire - faut-il le préciser ? - les héritiers de ceux qui ont abattu le régime de la junte militaire. Le journaliste de l'AFP aurait été bien inspiré de rappeler que dans le système sud-coréen c'est le Président de la République qui forme le gouvernement sans le paratonnerre du Premier ministre, mais donner au lecteur des clés pour se forger sa propre opinion ne fait pas partie de la culture de l'AFP. 

Ensuite, la politique de relance économique du Président Moon Jae-in - d'inspiration keynésienne - est réduite à quelques appréciations sommaires et, bien entendu, décrite comme "sujette à controverse". Relisons les éléments de langage de l'AFP : 

À l'international, Moon s'est fait connaître pour son rôle dans la spectaculaire détente en cours avec le voisin du Nord armé de la bombe nucléaire. Mais à domicile, sa politique économique est de plus en plus sujette à controverse et sa cote de popularité descend dans les sondages. Son gouvernement a nettement augmenté le salaire minimum, réduit la durée du travail et transformé des contrats de travail temporaires en contrats à durée indéterminée dans le cadre d'une politique de redistribution destinée à stimuler une "croissance portée par les revenus".

AFP (via "La Tribune")

La désinformation commence dès la première phrase : Moon Jae-in a le mauvais goût de vouloir dialoguer avec le régime honni - forcément honni - du Nord car "armé de la bombe nucléaire" (le mot "armé" est employé de préférence à celui de "doté", car il occulte délibérément la stratégie de dissuasion nucléaire de la Corée du Nord qui a développé l'arme atomique pour ne pas connaître le sort de l'Irak ou de la Libye, et parce qu'il a le mérite d'introduire dans l'esprit du lecteur l'idée d'un risque de guerre fondé, forcément, sur la dangerosité d'un Etat puissance nucléaire).

Le processus de réécriture des faits continue en utilisant le procédé de l'omission : la cote de popularité du Président Moon Jae-in diminue. C'est un fait, indéniable, sauf qu'elle n'est jamais tombée en dessous de 50 %. Une précision que le journaliste de l'AFP juge sans doute contre-productive, car elle irait à l'encontre de sa démonstration. Et corréler cette cote de popularité sur la politique économique relève de la pure désinformation : la cote de popularité du président sud-coréen suit au contraire les développements internationaux autour de la péninsule coréenne, rebondissant lors des sommets inter-coréens. Et si elle baisse aujourd'hui, c'est d'abord parce qu'elle part de très haut (jusqu'à 75 % de satisfaits !). 

Vient enfin l'essentiel : la politique menée, basée sur une hausse du salaire minimum, une résorption de l'emploi précaire (par la transformation de contrats de travail en contrats à durée indéterminée) et la réduction du temps de travail. Tout cela est balayé en une demi-phrase, sans recontextualiser ni juger utile d'apporter des détails : rappeler que la durée maximum hebdomadaire de travail a été réduite de... 68 à 52 heures ou que la République de Corée est le champion de l'OCDE pour la durée du travail, ou encore que le travail précaire place la Corée du Sud très en-dessous des standards de l'OCDE, serait allé à l'encontre de la démonstration forcée imposée par l'AFP, et reprise par l'immense majorité des médias français. 

Après cette mise en bouche - ou ce conditionnement - est asséné l'argument d'autorité : la politique économique du gouvernement sud-coréen rompt avec le passé et aujourd'hui la croissance diminue. La boucle est bouclée : il faut accréditer l'idée que la Corée du Sud suivrait un mauvais chemin économique et devrait impérativement changer de cap. Citons là encore ce que dit l'AFP, qui fait pleinement coprs avec les conservateurs sud-coréens (qui, faut-il le préciser, recueillent 20 % des intentions de vote, soit moitié moins que les démocrates au pouvoir) : 

Il s'agit d'un revirement complet par rapport au modèle de croissance passé, porté par les exportations et les investissements des énormes conglomérats sud-coréens, et qui a vu l'économie sud-coréenne se hisser au quatrième rang asiatique.
Les critiques du gouvernement affirment que cette politique a eu l'effet inverse de celui escompté, en aggravant la situation des gens aux revenus les plus faibles et en forçant les petites entreprises à licencier, tandis que les mastodontes hésitent à investir au vu du renforcement des régulations. Le mois dernier, la banque centrale avait ramené sa prévision de croissance annuelle à 2,7%, contre un taux effectif de 3,1% en 2017. Au troisième trimestre, le taux de chômage a avancé de 0,4%, à 3,8%, le taux de chômage des jeunes s'établissant à 9,4%, soit son plus haut niveau depuis 1999.

AFP (via "La Tribune")

Relisons bien ce qu'écrit l'AFP : auparavant la Corée du Sud suivait un "modèle de croissance", un modèle qui lui a permis de devenir la quatrième économie d'Asie. L'auteur de la dépêche n'ose pas parler de miracle, mais seul le mot manque, et l'idée implicite est limpide : la rupture avec le modèle produit des effets négatifs. 

La déformation des faits attend ici des sommets : non seulement ce n'est pas parce qu'un modèle a fonctionné qu'il sera toujours performant, mais plus fondamentalement le miracle du fleuve Han (qui traverse Séoul) est en partie la création d'économistes néolibéraux qui omettent quelques points pourtant fondamentaux : que la croissance sud-coréenne a été basée sur un dirigisme étatique accordant des avantages à une poignée de conglomérats liés au pouvoir militaire (les chaebols) ainsi que sur l'injection massive de capitaux étrangers, et pas sur l'application de la doxa libérale ; que les contreparties (très longues journées de travail, faible protection sociale, dualisme entre les grandes entreprises et le reste de l'économie, milices privées brisant les grèves et tuant au besoin les syndicalistes) sont la face cachée de ce qui n'est pas précisément un paradis des travailleurs. Enfin, les conglomérats ont dû être réformés de force, l'accumulation de dettes pourries au sein de ces entreprises étant une des causes directes de la crise asiatique de 1998, qui a conduit au plongeon de l'économie sud-coréenne et à l'injection la plus massive de l'histoire de capitaux des institutions financières internationales dans l'économie d'un pays. A l'époque le chômage (et singulièrement le chômage des jeunes) a atteint un pic en 1999, point certes mentionné par l'AFP mais en oubliant curieusement de faire la moindre référence à la crise asiatique de 1998.

Rapprocher la politique actuelle du ralentissement économique en cours relève non seulement de la mauvaise foi, mais de mensonges sur les mécanismes économiques : la politique de relance actuelle par les revenus produit nécessairement de la croissance à court terme (c'est sur le plus long terme que les économistes divergent, suivant leurs références), si bien que la croissance économique de l'année 2018 serait au contraire encore plus faible sans le soutien aux revenus et à la consommation des ménages. Si l'économie sud-coréenne s'est autant ralentie ces dernières années, c'est bien davantage du fait des effets à moyen et long termes des politiques de dérégulation des prédécesseurs libéraux-autoritaires du Président Moon, qui eux n'ont pas été avares en "réformes". Qu'il est loin le temps où le président Lee Myung-bak (au pouvoir entre 2007 et 2012, et aujourd'hui en prison pour corruption) promettait 7 % de croissance économique par an !

Ce qui est reproché au Président Moon Jae-in est bien son refus de s'inscrire dans la politique de déréglementation néolibérale : ne pas se soumettre aux injonctions des détenteurs de capitaux lui vaut une volée de bois vert, et suffit manifestement à justifier les arrangements de l'AFP avec la vérité. 

PS : la dépêche de l'AFP a été reprise pratiquement mot à mot par les médias suivants, entre autres : 

- Ouest France

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4 novembre 2018 7 04 /11 /novembre /2018 18:39

De longue date l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) s'est engagée pour la démocratisation de l'armée sud-coréenne et le recul du militarisme en Corée du Sud, y compris pour les droits des objecteurs de conscience - alors qu'au moins 20 000 jeunes hommes sud-coréens ont été emprisonnés depuis sept décennies parce qu'ils refusaient d'accomplir le service militaire, en l'absence de toute forme alternative de service civil. Coup sur coup, dans un contexte de réchauffement des relations inter-coréennes, deux décisions importantes ont été prises : le 28 juin 2018, la Cour constitutionnelle a enjoint les autorités sud-coréennes d'introduire un service civil alternatif d'ici le 31 décembre 2019 ; le 1er novembre 2018, la Cour suprême a reconnu l'objection de conscience en se prononçant contre la peine d'emprisonnement d'un objecteur qui est Témoin de Jéhovah. L'AAFC salue ces progrès majeurs, qui sont aussi le fruit de la mobilisation internationale - et notamment de la médiatisation de cas célèbres, comme celui de Lee Yeda, premier objecteur de conscience sud-coréen à avoir obtenu l'asile politique à ce titre dans le monde - en l'occurrence en France. Mais le combat ne s'arrête pas aujourd'hui, compte tenu des lourdes interrogations sur les formes alternatives de service civil, des limites posées par la Cour suprême dans sa décision du 1er novembre 2018, ainsi que des discriminations persistantes à l'égard des objecteurs de conscience. Nous reproduisons ci-après un article publié sur le site du Comité international pour les libertés démocratiques en Corée du Sud (CILD) le 3 novembre 2018, faisant le point sur la portée et les limites des récentes décisions prises par la Cour constitutionnelle et la Cour suprême de la République de Corée. 

La Cour suprême de la République de Corée

La Cour suprême de la République de Corée

Dans une décision rendue le 1er novembre 2018, une majorité des juges de la Cour suprême (huit sur treize) de la République de Corée a reconnu non coupable un objecteur de conscience, témoin de Jéhovah, au titre de son refus d'effectuer le service militaire. Le Comité international pour les libertés démocratiques en Corée du Sud (CILD) salue une décision majeure, tout en appelant à la vigilance sur sa portée, puisque la Cour suprême a limité sa jurisprudence aux cas où l'objection de conscience est "ferme, solide et réelle".

Avec près de 20 000 objecteurs de conscience emprisonnés depuis 1950, et 930 cas pendants devant les tribunaux, s'agissant des seuls témoins de Jéhovah pour lesquels des statistiques consolidées sont disponibles, la République de Corée enregistre le triste record d'être le pays au monde emprisonnant le plus grand nombre d'objecteurs de conscience. Le refus de reconnaître l'objection de conscience était régulièrement dénoncé par les organisations de défense des droits de l'homme comme contraire aux libertés fondamentales et aux engagements internationaux de la République de Corée, dont les autorités donnaient une interprétation infondée juridiquement de sa situation d'Etat techniquement en état de guerre (faute d'accord d'armistice signé entre les deux Corée, depuis la fin des combats de la guerre de Corée le 27 juillet 1953). Des objecteurs de conscience avaient ainsi obtenu le statut de réfugié politique dans le monde - et pour la première fois en France avec Lee Yeda.

Le 28 juin 2018, la Cour constitutionnelle - qui avait longtemps, contre toute évidence juridique, cherché à justifier sur la base de la Constitution le refus de toute forme d'objection de conscience - avait déjà opéré un revirement de jurisprudence, en déclarant anticonstitutionnelle l'absence de formes alternatives de service civil au service militaire, et en enjoignant au gouvernement de changer la loi d'ici le 31 décembre 2019. Le CILD avait salué cette décision, tout en en soulignant les limites - concernant les incertitudes sur la durée et la forme que revêtirait le nouveau service civil alternatif, l'absence de décriminalisation de l'insoumission (mais aussi, avaient relevé de nombreux juristes, de l'objection de conscience en soi), le maintien des formes de répression contre les objecteurs de conscience avant le changement de la législation et l'absence de politique de lutte contre les discriminations, très fortement ancrées socialement, à l'encontre des hommes n'accomplissant pas leur service militaire, et qui pourraient continuer à être traités comme des criminels par leurs potentiels employeurs. Un témoignage des discriminations est apporté par l'acharnement du système judiciaire sud-coréen à l'encontre du chanteur et acteur Yoo Seung-jun, interdit d'entrée en République de Corée car accusé d'avoir pris la nationalité américaine pour ne pas effectuer son service militaire. Si la décision rendue par  la Cour suprême décriminalise clairement l'objection de conscience (contrairement à la Cour constitutionnelle le 28 juin 2018), elle ne lève aucune des incertitudes et des inquiétudes mises en exergue par le CILD.

Sous ces réserves, la Cour suprême va changer la vie du requérant, Oh Seung-heon, 34 ans, marié et père de famille de deux enfants, qui avait été condamné à 18 mois de prison en juillet 2013 pour la Cour du district de Changwon pour son refus de porter les armes, et donc d'accomplir le service militaire, pour des raisons religieuses, comme d'ailleurs son père et son frère cadet, également témoins de Jéhovah. Une brochure d'Amnesty International Corée sur l'objection de conscience soulignait que les témoins de Jéhovah considèrent qu'ils naissent criminels au regard de la loi sud-coréenne.

La Cour suprême a formulé les observations suivantes à l'appui de sa décision, en mentionnant la liberté de conscience au titre des droits fondamentaux, ainsi que les valeurs démocratiques :

Obliger les objecteurs de conscience à accomplir leur service militaire en imposant des sanctions telles que des poursuites criminelles constituent une atteinte à leurs droits fondamentaux, notamment la liberté de conscience. Obliger uniformément à l'accomplissement de leurs obligations militaires et recourir à des poursuites pénales criminelles pour les sanctionner ceux qui ne satisfont pas à leur devoir [militaire] est également contraire à l'esprit de la démocratie libérale, à l'esprit de tolérance et de magnanimité. L'opinion de la majorité [des juges] est que le refus de servir militairement suivant de vrais motifs de conscience constitue l'une des raisons légitimes que la loi sur le service militaire énonce comme exception à l'application de poursuites.

Si la décision rendue est exceptionnelle, elle est toutefois limitée par des considérants selon laquelle l'objection de conscience doit être "ferme, solide et réelle", et les juges ayant émis une opinion dissidente se sont engouffrés dans la brèche en parlant de l'impossibilité selon eux d'apprécier la sincérité de l'objection de conscience. En d'autres termes, même pour le cas pourtant patent des témoins de Jéhovah, rien ne garantit que le droit à l'objection de conscience sera à nouveau reconnu, et qu'en sera-t-il des autres motifs d'objection de conscience, notamment pacifistes et anti-militaristes ? des personnes ayant changé de religion plus ou moins récemment ? du cas des conscrits (notamment issus de minorités sexuelles) victimes d'abus encore très rarement reconnus et punis ? des militants politiques refusant de porter les armes contre le Nord, dans un pays où le service militaire sert la propagande et le bourrage de crâne anti-Corée du Nord - ceux-ci étant des insoumis au sens juridique, mais pas des objecteurs de conscience ? Si la Cour suprême a assurément pris une décision qui va dans le bon sens, il serait naïf de croire que le combat juridique et politique est gagné d'avance, dans une société sud-coréenne où le militarisme reste omniprésent.

Le jour même où la Cour suprême rendait sa décision tombait le cas du footballeur Jang Hyun-soo, banni à vie de l'équipe nationale pour s'être soustrait à ses obligations militaires - car avoir été exempté du service militaire en raison de ses performances sportives ne vous exonère pas d'accomplir des périodes militaires. Et le plus triste dans l'affaire Jang Hyun-soo est sans doute le plaider coupable et les excuses présentées par l'intéressé, confirmant - si besoin était - qu'être soldat et/ou accomplir ses obligations militaires constitue toujours un devoir sacré pour la majorité de l'opinion publique sud-coréenne.

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