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24 mars 2013 7 24 /03 /mars /2013 12:15

Le 24 mars 2013, le commandant des forces américaines en Corée et le chef d'état-major sud-coréen ont signé et rendu public un "plan combiné contre les provocations" nord-coréennes entrant en vigueur immédiatement, ce qui signifie notamment l'absence de contrôle parlementaire sur cet accord prévoyant des opérations militaires que pourraient lancer conjointement les Etats-Unis et la Corée du Sud en cas (et le terme est flou, à dessein) de "provocation" nord-coréenne. Document secret n'ayant de public que le nom, comportant d'inquiétantes zones d'ombre quant aux mesures effectivement prévues, il s'inscrit également dans un plan de communication pour accréditer l'idée que les troupes sud-coréennes auraient leur mot à dire dans l'hypothèse d'une action militaire menée sous commandement américain. Le "plan combiné contre les provocations" a des antécédents, dans le droit de fil de mesures d'exception malheureusement trop connues, attentatoires aux libertés publiques et autorisant aujourd'hui les guerres américaines de par le monde sous les prétextes les moins avouables : celles-ci sont mises en oeuvre au nom de la lutte contre le "terrorisme" - concept tout aussi vague et laissé à la seule appréciation du commandement américain que celui de "provocation".

L'armée américaine stationnée en Corée du Sud et, au-delà, dans la région Asie-Pacifique, voulait depuis longtemps agir comme elle veut et quand elle veut - sans donc en référer nécessairement au pouvoir politique - contre la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Ce voeu semble maintenant exaucé avec la signature, le 24 mars 2013, d'un "plan combiné contre les provocations" nord-coréennes par le chef d'état-major sud-coréen, le général Jung Seung-jo, et le général James Thurman, commandant des forces américaines stationnées en Corée du Sud, lesquelles comptent toujours 28 500 hommes et dirigeraient les opérations menées conjointement avec le Sud en cas de conflit.

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Aux termes d'une déclaration conjointe du commandement américain et des forces armées sud-coréennes, il s'agirait d'"améliorer la capacité combinée pour nous permettre de répondre immédiatement et de manière décisive à toute provocation nord-coréenne". Tout cela est bien vague : qu'est-ce qu'une provocation nord-coréenne? Quelle serait la réponse engagée? S'agit-il vraiment d'engager les troupes américaines, épaulées par leurs alliés sud-coréens, sur un nouveau théâtre d'opérations extérieures, alors que le budget militaire des Etats-Unis subit des coupes et que les opérations menées en Afghanistan sont loin d'être couronnées de succès ?

Ce plan est présenté comme le résultat de plusieurs années de négociations bilatérales depuis deux graves incidents survenus en 2010 : le dramatique naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan ayant conduit à la mort de 46 marins, et les affrontements autour de l'île Yeonpyeong (4 morts côté sud-coréen, pas de bilan officiel côté nord-coréen). Mais aucune preuve valable n'a été apportée d'une implication nord-coréenne, comme les Etats-Unis et la Corée du Sud le prétendent, dans le naufrage du Cheonan, ce point étant suffisamment admis par les ministères des Affaires étrangères des grandes puissances pour que cet incident, officiellement attribué à la Corée du Nord par les Etats-Unis et leurs alliés, soit en réalité le seul à n'avoir pas entraîné de nouvelles sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies. S'agissant de l'incident de l'île Yeonpyeong, si une riposte nord-coréenne a bien eu lieu, les Etats-Unis n'ont pas pu démentir les accusations de la RPD de Corée selon laquelle son territoire aurait été touché par les exercices militaires alors en cours. En particulier, l'imagerie satellitaire américaine aurait pu apporter toutes les preuves matérielles que les tirs d'obus ayant déclenché la réaction nord-coréenne seraient restés au sud de la ligne de démarcation Nord (NLL), frontière maritime de fait entre les deux Corée depuis 1953, comme les Etats-Unis le soutiennent.

Si le "plan opérationnel conjoint" rendu public le 24 mars 2013 présente comme une nouveauté l'action combinée des troupes américaines et sud-coréennes face à de biens vagues "provocations" nord-coréennes (et non plus dans la seule hypothèse d'une guerre), même ce point reste entouré de nombreuses zones d'ombre. Selon les déclarations américaines, il serait désormais acquis que les forces des Etats-Unis stationnées dans la zone Asie-Pacifique pourraient également être mobilisées. Mais d'après des sources militaires citées dans la presse sud-coréenne, il existe des conditions, non rendues publiques, pour que les Etats-Unis répondent favorablement à une demande d'intervention sud-coréenne, et les moyens alors engagés par les Etats-Unis ne seraient pas précisés dans le "plan opérationnel conjoint". Visiblement, il s'agit de faire croire à l'opinion sud-coréenne que les Etats-Unis soutiendraient la Corée du Sud à sa demande, alors que le commandement des troupes sud-coréennes en cas de conflit restera américain au moins jusqu'en 2015. En réalité, les Etats-Unis restent les seuls maîtres militaires au sud de la péninsule coréenne.

L'aveu du contenu réel de ce plan - pouvoir attaquer la Corée du Nord en tout point sous le prétexte vague d'une "provocation" nord-coréenne - est venu d'indiscrétions, diffusées volontairement ou non, de sources proches du dossier. Sous couvert d'anonymat, dans un entretien au quotidien sud-coréen de langue anglaise The Korea Times, un responsable sud-coréen du ministère de la Défense a déclaré : "Le plan opérationnel de l'armée sud-coréene prévoit maintenant de frapper l'origine de la provocation de l'ennemi et ses forces de commandement et de soutien. [...] Suivant le type de provocations et les circonstances opérationnelles, les Etats-Unis avec leurs armes peuvent frapper les territoires nord-coréens." Il s'agit donc bien de "frappes" militaires essentiellement (sinon exclusivement) américaines, contre "l'origine de la provocation", sans exceptions, ce qui peut donc inclure le QG nord-coréen et le commandement militaire nord-coréen, aujourd'hui sous l'autorité du Dirigeant Kim Jong-un. Même si ces déclarations peuvent apparaître comme des rodomontades, elles ne doivent pas être prises à la légère : pour ne citer que deux exemples, la CIA a une longue expérience de tentatives d'assassinat contre des dirigeants étrangers, une de ses principales cibles ayant longtemps été le dirigeant cubain Fidel Castro, et l'hypothèse d'attaques aériennes ciblées - en l'occurrence contre les sites nucléaires nord-coréens - avait déjà été envisagée par les faucons américains il y a vingt ans, avant d'être heureusement abandonnée. En effet, la présidence des Etats-Unis avait alors compris que, mise en oeuvre, cette menace entraînerait de graves risques de guerre. Il s'en était suivi le premier accord international, en 1994, sur le nucléaire nord-coréen.

L'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) ne peut accepter que demain, les populations coréennes, soient à nouveau les victimes des appétits militaires de ses puissants voisins. Elle ne peut accepter que la péninsule coréenne puisse redevenir, soixante ans après l'armistice de la guerre de Corée, un nouveau champ de batailles meurtrier au profit des intérêts américains. Fondamentalement attachée à la paix, refusant toute nouvelle escalade des tensions dans la péninsule coréenne, l'AAFC appelle au retrait du "plan combiné contre les provocations". L'AAFC appelle également à ce que l'ensemble des dispositions de ce plan militaire secret soient rendues publiques. L'AAFC appelle, enfin, à l'ouverture d'un débat public sur les meilleurs moyens de résoudre, par le dialogue, la question coréenne, en impliquant pleinement le pouvoir politique sur des questions trop importantes pour la paix du monde pour être laissées à la seule appréciation des faucons militaires américains et de leurs acolytes sud-coréens. Une telle exigence de transparence et de débat passe par des discussions publiques au Parlement et l'ouverture sans exclusive de discussions avec toutes les parties impliquées et l'ensemble des acteurs concernés.

Tel est le sens de la lettre qu'avait adressée en ce début d'année André Aubry, président de l'AAFC, à l'ambassadeur américain en France (voir ci-dessous). Ce courrier est resté sans réponse : manifestement, le représentant du gouvernement américain en France juge la diplomatie secrète plus conforme aux intérêts de son pays que d'avoir le courage de nous répondre. Mais l'AAFC poursuivra son chemin suivant la seule ligne qu'elle a fixée lors de sa création il y a plus de quarante ans, pour la paix et la réunification de la Corée.


Source principale : The Korea Times (deux articles datés du 24 mars 2013 : "S. Korea, US sign combined operational plan against N. Korea" ; "US to fight limited NK provocation", dont photo).

 

 

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Texte de la lettre adressée le 28 janvier 2013 par André Aubry, président de l'Association d'amitié franco-coréenne, à S.E. Charles H. Rivkin, ambassadeur des Etats-Unis d'amérique en République française :

Monsieur l’Ambassadeur,

Œuvrant depuis 1969 au renforcement des liens d'amitié et de coopération entre les peuples français et coréen, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) s'inquiète de la montée des tensions en Corée. À la veille du soixantième anniversaire de la signature de l'armistice ayant mis fin aux combats de la guerre de Corée, les conséquences de l'absence de traité de paix dans la péninsule coréenne se font une nouvelle fois cruellement sentir.

Les sanctions prises à l'encontre de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) suite au lancement d'un satellite artificiel le 12 décembre 2012, lesquelles s'ajoutent à une liste déjà longue, compromettent gravement les chances d'une reprise du dialogue entre les États-Unis et la Corée du Nord. Or, un tel dialogue est nécessaire à la conclusion d'un véritable traité de paix qui augurerait d'une nouvelle ère de prospérité en Corée, en Asie et dans le monde.

En outre, la menace militaire permanente qui pèse sur la RPDC ne peut qu'inciter ce pays à se doter des moyens d'une dissuasion destinée à préserver les intérêts qu'il considère comme vitaux, selon des principes qui ne sont pas sans évoquer ceux suivis par le général de Gaulle pour la force de dissuasion française.

Pour sa part, l'AAFC considère qu'une paix durable est le préalable à une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible dans la péninsule coréenne. Dans cette perspective, l'AAFC participe activement aux campagnes pour un traité de paix en Corée.

Nous espérons que vous vous ferez l'interprète de ces préoccupations auprès des autorités de votre pays et nous nous tenons à votre disposition pour évoquer ces questions avec vous-même, vos collaborateurs ou vos services.

Veuillez agréer, Monsieur l’Ambassadeur, les assurances de notre très haute considération.

 

André Aubry, ancien sénateur-maire, président de l'Association d'amitié franco-coréenne

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