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2 avril 2010 5 02 /04 /avril /2010 11:43

Après le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan, le gouvernement de Séoul a donné l'impression qu'il cherchait à dissimuler des informations sur ce qui s'est vraiment passé à bord du navire. Pour des familles de marins et des observateurs des affaires militaires, le président Lee Myung-bak et son gouvernement ont déformé et manipulé les faits concernant l'incident dans ce qui est apparu comme une tentative d'échapper à leurs responsabilités et de plaire à la frange la plus conservatrice de la société sud-coréenne, sans égard pour les victimes, leurs familles et la vérité.


CheonanOn ne sait toujours pas ce qui est arrivé au Cheonan (PCC-772), la corvette sud-coréenne de 1.200 tonnes qui a coulé suite à une mystérieuse explosion le 26 mars 2010 en mer de l'Ouest, près de la limite maritime avec la Corée du Nord. Le seul fait certain est que le Cheonan s'est brisé en deux après l'explosion, emportant par le fond 46 des 104 membres de son équipage. Les opérations de recherche et de sauvetage ont été retardées par le mauvais temps et la force des courants, diminuant les chances de retrouver d'autres survivants parmi les marins disparus. Le naufrage du Cheonan a mis en évidence l'incapacité de l'armée et du gouvernement sud-coréens à passer de la théorie à la pratique en cas d'urgence et les citoyens de Corée du Sud s'interrogent désormais sur l'aptitude de leur gouvernement à gérer les crises de ce genre et exigent des réponses. 


Dans un éditorial publié le 1er avril 2010, le quotidien sud-coréen Korea Times a pressé les autorités de « faire leur maximum pour remonter aux origines de l'incident et montrer leur capacité à en limiter les conséquences pour la défense du pays et la vie de tous les jours des gens. » Faute de quoi, s'est inquiété le journal, « les Sud-Coréens ne feront que considérer le gouvernement et l'armée d'un oeil soupçonneux. » Le président Lee Myung-bak a beau avoir demandé à ses ministres de faire preuve de clarté et de transparence et de tout révéler sur la perte du Cheonan, le quotidien sud-coréen a dit craindre que Lee ait seulement « fait semblant » ou que ses ministres « n'en aient tenu aucun compte ».


Le ministre sud-coréen de la Défense, Kim Tae-youg, a été particulièrement critiqué pour ses propos incohérents sur la cause probable de l'explosion. Après avoir d'abord exclu une attaque extérieure, il a commencé à évoquer une implication de la Corée du Nord dans le naufrage du Cheonan, fût-ce à cause d'une mine nord-coréenne égarée datant de la Guerre de Corée. Après tout, comme l'a rappelé le ministre, quelque 3.000 mines furent posées en mer de l’Ouest et en mer de l’Est entre 1950 et 1953, et deux de ces engins furent encore découverts en 1959 et en 1984. Selon plusieurs observateurs, le ministre de la Défense aurait ainsi cherché à fuir ses propres responsabilités et à plaire à la base la plus conservatrice du Grand Parti national au pouvoir à Séoul.


Le quotidien Hankyoreh a décrit les circonstances et les motivations possibles de ce revirement des autorités sud-coréennes.


Immédiatement après le naufrage du Cheonan, la présidence de Corée du Sud et l'armée décrivaient comme peu probable une implication de la Corée du Nord. Le soir du vendredi 26 mars, à l'issue d'une rencontre entre le président Lee Myung-bak et les ministères liés à la sécurité, la porte-parole de la présidence de Corée du Sud, Kim Eun-hye, se montrait prudente : « A l'heure actuelle, nous n'avons pas de réponse claire à la question d'un lien avec la Corée du Nord. » Le samedi 27 mars, s'exprimant devant l'Assemblée nationale de Corée du Sud, Lee Ki-sik, chef du bureau des opérations de renseignement de l'état-major interarmes, rejetait à son tour une quelconque implication de la Corée du Nord : « Aucun navire de guerre nord-coréen n'a été détecté, et il n'est pas possible que [les Nord-Coréens] aient approché de la zone où l'accident a eu lieu. » En outre, l'armée a indiqué à de multiples reprise n'avoir repéré aucune « tendance inhabituelle » dans les mouvements de l'armée nord-coréenne.


C'est le lundi 29 mars, devant la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale, que le ministre sud-coréen de la Défense a commencé à vouloir établir un lien entre le drame du 26 mars et la Corée du Nord : « La Corée du Nord pourrait faire quelque chose et puis garder le silence afin de se couvrir, ou elle pourrait avoir l'intention d'éviter les malentendus ou de provoquer au maximum . »


Le mercredi 31 mars, un responsable militaire sud-coréen est allé encore plus loin en avançant la possibilité d'une « provocation intentionnelle » de la Corée du Nord, tout en reconnaissant l'absence de preuves formelles : « Le gouvernement considère probable à plus de 90% que le responsable de l'attaque à la torpille [contre le Cheonan] est la Corée du Nord. »


Sous la pression des médias conservateurs, la présidence sud-coréenne est alors revenue sur ses premières déclarations, un responsable expliquant le 31 mars que la présidence « n'exclut pas la possibilité d'une implication de la Corée du Nord ».


Certains observateurs ont vu dans cette évolution de la position de la présidence sud-coréenne une stratégie visant à répondre à certains milieux conservateurs affirmant, sans la moindre preuve, que le Cheonan avait été attaqué par la Corée du Nord, le gouvernement dissimulant ce fait pour ne pas compromettre la reprise des pourparlers à six sur le programme nucléaire nord-coréen ou un troisième sommet inter-coréen. L'administration sud-coréenne a dû tenir compte de ce groupe de pression conservateur qui représente la majeure partie de ses soutiens.


Selon d'autres observateurs, l'armée a tenté de détourner l'attention du public en évoquant un « impact externe » ou même une « attaque extérieure », pour éviter que certaines personnes soient appelées à prendre leurs responsabilités ou que des réparations soient demandées par les familles des marins disparus.


Un député du Parti démocratique, principal parti sud-coréen d'opposition, Park Young-sun, a rappelé que, « en Corée du Sud, les dirigeants de l'armée et la presse conservatrice ont tendance à conclure que ce genre d'incident est un acte ennemi et à fomenter un climat de terreur. » Le député Park a ajouté que, en cas de contrôle de l'information par ces franges les plus conservatrices de la société sud-coréenne, « il deviendra possible de délibérément reconstituer l'incident d'une manière déconnectée de la vérité. » Une allusion évidente à l'emprise croissante de l'administration Lee Myung-bak sur les médias depuis deux ans.


Par la voix d'un haut responsable cité par le quotidien Hankyoreh, la présidence sud-coréenne a reconnu que « si le gouvernement refuse de donner une réponse honnête, les gens deviendront méfiants et cela ne contribuera pas non plus à la sécurité nationale à long terme. » Ce responsable a ajouté que le gouvernement « doit rapidement fournir l'information nécessaire pour que les gens fassent leur jugement. »


Les responsables militaires devront surtout apporter des réponses « honnêtes » à trois questions - pointées par le Korea Times - sur une des pires catastrophes navales survenues en Corée du Sud :


1) Pourquoi l'armée sud-coréenne a-t-elle donné trois heures différentes pour l'explosion qui a provoqué la perte du Cheonan? L'armée a d'abord déclaré que l'explosion avait eu lieu à 21h45. Elle a ensuite annoncé 21h30, puis 21h25. La police maritime a dit de son côté que l'explosion avait été entendue à 21h15.


2) Pourquoi le Cheonan naviguait-il sur des hauts fonds, à seulement 1,8 kilomètre au large de l'île de Baengnyeong ? Il est inhabituel qu'un navire aussi gros soit si proche des terres. Quelle était sa mission?


3) Pourquoi un autre navire de guerre, le Sokcho (PCC-778), était-il en opération à proximité du Cheonan à l'heure de l'incident? Au lieu de se porter immédiatement au secours du navire en perdition, le Sokcho a ouvert le feu sur des cibles volantes non identifiées qui se sont avérées par la suite être des oiseaux, selon les radars militaires.


Les choses auraient pu être bien différentes si le Sokcho avait agi au bon moment pour sauver les marins du Cheonan. Ces derniers ont malheureusement dû attendre l'arrivée d'un bâtiment de la police maritime sud-coréenne pour être secourus. Quelle mission était plus importante pour le Sokcho qu'une opération de sauvetage?


L'armée sud-coréenne est donc critiquée pour avoir agi tardivement, mais aussi pour avoir perdu du temps dans ses recherches de l'épave du Cheonan. Il a fallu près de trois jours pour retrouver la poupe où se trouvaient plus de 30 marins, avec l'aide d'un pêcheur l'ayant localisée grâce à son sonar. Au bout de trois jours, il n'y avait presque plus d'espoir de retrouver des survivants.


Les mauvaises décisions prises par l'armée après le naufrage du Cheonan et les revirements successifs du gouvernement ont poussé le Korea Times à écrire qu'un système de gestion de crise délabré a rendu le gouvernement et l'armée incapables de mener les opérations de recherche et de sauvetage. « Le ministre et ses supérieurs devront porter toute la responsabilité pour leur échec à gérer correctement cet incident », a conclu le Korea Times.


Sources :

Hankyoreh, « Government shifts tenor on N.Korea-Cheonan connection », 1er avril 2010

KBS, « Il n’ y a aucune preuve impliquant la Corée du Nord dans le naufrage du Cheonan », 30 mars 2010

 Korea Times, « Questions Grow Over Crisis Management Capability », 1er avril 2010


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