Il y a 65 ans, les 6 et 9 août 1945, les Etats-Unis larguaient deux bombes atomiques sur les villes japonaises de Hiroshima et de Nagasaki. Parmi les centaines de milliers de victimes qui périrent dans ces deux bombardements atomiques ou dans les années qui suivirent, se trouvaient de 20.000 à 30.000 Coréens - peut-être davantage -, travailleurs forcés déplacés par les Japonais qui avaient annexé leur pays en 1910. Pendant la Guerre de Corée (1950-1953), les Etats-Unis menacèrent d'utiliser à nouveau la bombe atomique, et, aujourd’hui, la doctrine américaine d'emploi des armes nucléaires autorise à frapper préventivement la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord).
La menace nucléaire américaine est donc particulièrement ressentie en Corée, victime des armes atomiques dès 1945. Soumise à cette menace et en l'absence de traité de paix avec les Etats-Unis, la RPDC a choisi de se doter à son tour de l'arme nucléaire, un choix renforcé par l'attaque américaine contre l'Irak en 2003.
Dans un entretien accordé à l'agence de presse RIA Novosti à la veille du 65emeanniversaire des bombardements atomiques américains de 1945, Vaguif Gousseïnov, président de l’Institut russe des évaluations stratégiques et d’analyse, évoque la situation du programme nucléaire nord-coréen. Il constate l'absence d'unanimité entre les médiateurs internationaux réunis au sein du G-6, les pourparlers à six pays (deux Corée, Etats-Unis, Chine, Russie, Chine, Japon) sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Vaguif Gousseïnov compte davantage sur des négociations bilatérales, par exemple entre la RPDC et les Etats-Unis, pour parvenir à des résultats concrets. Selon lui, eu égard à son caractère essentiellement dissuasif, la RPDC ne renoncera à son arsenal nucléaire qu'en échange de sérieuses garanties de sécurité, à fournir d'abord par les Etats-Unis.
RIA Novosti - Dernièrement, la situation sur la presqu’île coréenne fait de plus en plus souvent la première page des journaux et des informations bien qu’à première vue il semblerait que rien de nouveau ne s’y passe. À quel point la situation a-t-elle changée en un an et quelles mesures devraient être prises dans le cadre du G-6 des médiateurs internationaux pour régulariser, ou du moins faire un pas vers la résolution de ce problème ?
Vaguif Gousseïnov - Vue de l’extérieur, la situation pourrait sembler se trouver dans l’impasse malgré l’intensité des négociations. Néanmoins, les positions des pays qui s’occupent de ce problème sont complexes et controversées du point de vue de la défense de leurs propres intérêts. Le meilleur exemple est celui des États-Unis qui suivent à la lettre le concept stratégique militaire établi par le Pentagone qui détermine le caractère obligatoire de la présence américaine dans cette région. Pour la Russie, cette région est tout aussi importante étant donné la proximité de la péninsule coréenne et, bien sûr, elle a ses propres intérêts géopolitiques, économiques et militaires dans cette région. Je pense que la réalisation d’un concept commun dans le cadre du G-6 des médiateurs internationaux est peu probable en raison de l’opposition des intérêts de ces pays. À mon avis, aujourd’hui nous observons plus souvent des négociations bilatérales, telles que Corée du Nord - Inde, Corée du Nord - Russie, Corée du Nord - États-Unis et ainsi de suite. Les négociations bilatérales pourraient bien conduire à des résultats concrets qui pourraient faire avancer la situation. À cet égard, la Chine a ses propres intérêts, la Corée du Nord, à son tour, ne peut pas accepter les conditions dictées par le G-6 des médiateurs internationaux. La raison en est la violation grave par les États-Unis de la souveraineté de l’Irak et l’invasion consécutive de l’Irak. Cependant, il faut rappeler que les autorités américaines avaient promis qu’au cas où la mise au point de l’arme nucléaire serait interrompue, les États-Unis ne recourraient pas à des mesures militaires à l’égard de l’Irak. Dans le cas présent, on peut comprendre les craintes de la Corée du Nord.
Aujourd’hui, la préoccupation principale de la communauté internationale à l’égard de la Corée du Nord et de l’Iran concerne l’eventualité d’un recours à l’arme nucléaire par ces pays. À votre avis, quelle est la probabilité que l’arme nucléaire soit employée par la Corée du Nord?
Pour que la Corée du Nord recoure à l’arme nucléaire, il faudrait un événement qui pousse les autorités militaires et politiques à prendre une telle décision.
La Corée du Nord pourrait-elle jouer le rôle d’agresseur ?
Je ne le pense pas car dans les autorités coréennes il y a des gens intelligents qui ont évolué dans des conditions politiques particulièrement difficiles. À leur tour, ils sont bien conscients des conséquences de l’emploi de l’arme nucléaire. J’estime que la possession d’une arme nucléaire est une garantie de sécurité plutôt qu’une arme d’agression.
Quelles voies possibles voyez-vous pour l’unification de la Corée du Nord et du Sud en un seul État après 50 ans d’opposition aussi brutale ?
Dans l’état actuel des choses c’est très difficile car, outre l’opposition entre deux Etats, les intérêts de nombreux pays se croisent dans cette région du monde, c’est le cas des États-Unis, de la Chine, de la Russie, de la France, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et de bien d’autres. Pour cette raison, la résolution de ce conflit n’est probable qu’à condition d’élaborer conjointement certaines mesures. La résolution de ce conflit n’est possible qu’en élaborant un concept commun qui tienne compte des intérêts de toutes les parties et fixe des conditions mutuellement acceptables pour la Corée du Nord et la République de Corée. Cependant, je doute qu’une telle solution soit trouvée dans les années à venir.
À votre avis, la politique menée par la communauté internationale sur la coopération et la mise en œuvre de la technologie « nucléaire pacifique », à l’instar de l’Iran, pourrait-elle résoudre ce problème ? Les pays du G-6 de médiateurs internationaux fournissent de la matière première et, en échange, la Corée du Nord renonce à tous les programmes militaires nucléaires. Est-ce que l’Iran et la Corée du Nord accepteraient une telle proposition ?
Dans un futur proche, non. À l’heure actuelle, il n’y a pas encore de climat de confiance internationale favorable où les pays comme l’Iran et la Corée du Nord puissent aller dans le sens de la communauté internationale sous réserve de certaines garanties. Les évènements en Irak, lorsque les États-Unis ont renversé le pouvoir par la force militaire en sont un exemple récent. Pour cette raison, dans un futur proche, ces pays n’accepteront pas une telle proposition. Probablement dans 15-20 ans, une telle décision pourrait être prise, à condition d’améliorer les relations et de présenter de sérieuses garanties de la part de pays tels que les États-Unis, la Russie, l’Allemagne et d’autres.
Dans le monde contemporain, il ne semble pas y avoir de menace globale d’une catastrophe nucléaire. À votre avis, existe-t-il, à l’heure actuelle, une menace de conflits nucléaires locaux ?
Des catastrophes nucléaires locales sont déjà survenues dans différentes régions. En ce qui concerne la probabilité d’une catastrophe nucléaire, à l’heure actuelle, l’élite politique mondiale de tous les pays est bien consciente de toutes les conséquences de l’utilisation de l’arme nucléaire. Il existe beaucoup d’exemples historiques où les chefs d’État trouvaient un accord et une solution au problème dans des situations critiques, mais il est tout à fait possible que dans 10-12 ans, la situation puisse empirer, et dans ce cas il faudrait reconsidérer la menace d’une catastrophe nucléaire.
Propos recueillis par Samir Chakhbaz
Source : RIA Novosti, « Guerre nucléaire : hypothèses et réalité », 5 août 2010
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