Le 5 novembre et le 11 décembre 2013, la chaîne franco-allemande ARTE a diffusé un documentaire, en deux parties, de Pierre-Olivier François intitulé "Corée : l'impossible réunification ?". Refusant les partis pris, ce film permet de mieux comprendre la situation actuelle, loin des clichés qui émaillent ordinairement tout reportage sur la Corée, Nord comme Sud. Il offre ainsi une excellente base pour qui veut connaître les causes de la division et du conflit toujours latent qui touche les populations de la péninsule coréenne.
Pierre-Olivier François a réussi le tour de force d'apporter une analyse claire et synthétique de la situation historique et politique de la péninsule coréenne, sans parti pris, en donnant tour à tour la parole à des acteurs de premier plan - nord-coréens, sud-coréens et américains - sans oublier nombre d'experts reconnus sur la question coréenne, notamment américains, seuls manquant les experts chinois. Ce faisant, Pierre-Olivier François a encouru le risque de déplaire aux uns et aux autres - aux Sud-Coréens, en mettant sur un même plan les deux lectures antagonistes du déclenchement de la guerre de Corée et en donnant la parole à l'historien Bruce Cumings, un des meilleurs spécialistes de la guerre de Corée mais dont les thèses sont jugées indésirables à Séoul (pour Bruce Cumings, chaque partie se préparait à la guerre, au-delà de la question secondaire de qui a tiré le premier coup de feu) ; mais sans doute aussi aux Nord-Coréens, en donnant largement la possibilité de s'exprimer à Paul Wolfowitz, l'un des néo-conservateurs américains les plus intransigeants, qui avance ainsi la thèse - très controversée - selon laquelle la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) aurait noué une coopération avec la France dans le domaine de l'industrie chimique pour développer des armes de destruction massive. Cependant, les méthodes de travail de Pierre-Olivier François sont celles, éprouvées, du chercheur et du journaliste occidental et non de l'expert coréen. En Europe, on considère que l'on ne peut s'approcher de la vérité qu'en confrontant les différents points de vue, la prise de position relevant ensuite du militant, et plus du chercheur ou du journaliste.
La première partie, largement historique, a l'immense mérite de resituer la division et les tensions d'aujourd'hui dans un contexte qui fait apparaître la profonde unité culturelle de la Corée. Si les statues géantes des dirigeants nord-coréens font partie des images habituelles que nous avons de la RPDC, il est extrêmement éclairant de voir la même dévotion autour du lieu natal du Président Park Chung-hee et de sa statue géante, et de faire le parallèle avec les scènes de désolation de masse après son assassinat en 1979. Ces images ne sont pas enfouies dans un passé lointain : elles expliquent pour une large part l'élection de la fille du général Park, Mme Park Geun-hye, à la présidence en République de Corée (Corée du Sud) en décembre 2012. En Corée - dans toute la Corée - le confucianisme implique le respect des anciens et de l'autorité, et le deuil est démonstratif. Ces éléments d'analyse permettent de relativiser certaines de nos conceptions occidentalo-centrées qui font apparaître la Corée du Nord comme une contrée exotique. Ce sont aussi les mêmes mots, les mêmes accents d'émotion qui frappent le spectateur lorsque les Coréens, du Nord comme du Sud, évoquent le drame qu'ils ont subi à travers la division de leur patrie.
Le documentaire de Pierre-Olivier François est également exceptionnel par sa très riche collection d'images d'archive, qui impriment à son récit un rythme soutenu, nous tenant en haleine, un peu à l'image d'une enquête policière où l'on dénoue, peu à peu, les fils de l'intrigue.
Certains sujets, complexes, ne sont pas occultés : ainsi, des différents modèles de réunification, où le précédent allemand est à la fois une source d'inspiration (pour la "politique du rayon de soleil" des présidents Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun, et dans les visites d'étude conduites en Allemagne par des responsables sud-coréens), et un repoussoir, la réunification allemande par absorption de la RDA étant clairement rejetée par la Corée du Nord. Sans doute pourrait-on regretter que la démocratisation de la Corée du Sud ne soit que superficiellement traitée - le massacre de Kwangju en 1980 est absent, de même que la nature démocratique du régime sud-coréen est considéré comme un fait établi ne faisant pas discussion - ou encore que les conséquences économiques de l'embargo américain sur la Corée du Nord soient à peine évoquées, mais le format du film documentaire ne permet pas les mêmes approfondissements qu'un ouvrage d'analyse, et le choix a été fait de mettre l'accent sur les relations diplomatiques et intercoréennes, et pas sur les situations politiques, économiques et sociales propres à chacun des deux Etats de la péninsule coréenne.
Au final, ce documentaire - terminé avant les développements qu'ont connus les relations intercoréennes au cours de l'année 2013 - a aussi le mérite de montrer que, malheureusement, le chemin vers la réunification reste long, et qu'une telle perspective s'est éloignée dans la période récente. Rejetés dans l'opposition, les démocrates sud-coréens ont assisté, impuissants, à la déconstruction en règle de la "politique du rayon de soleil" qu'ils avaient conduite pendant dix ans, imputable à l'administration conservatrice de retour au pouvoir à Séoul en 2008, tandis qu'affleurent des reproches de leur part vis-à-vis du gouvernement nord-coréen dans son durcissement après 2008. Les responsables nord-coréens, pour leur part, soulignent qu'ils n'ont pas eu d'autre choix face aux Etats-Unis que de renforcer leurs capacités d'autodéfense, y compris nucléaires, les précédents irakien, afghan et libyen montrant le peu de crédit qui doit être accordé à la parole américaine. Quand la veuve du président sud-coréen Kim Dae-jung déplore que le mandat du Président Lee myung-bak (2008-2013) ait constitué cinq années perdues dans les relations intercoréennes, nous pouvons ajouter que ces dernières années ont aussi marqué un recul pour tous ceux qui veulent la paix dans cette partie du monde, l'une des dernières frontières de la guerre froide.
Présentation du film sur le site de la chaîne ARTE (y compris photo)
Le documentaire de Pierre-Olivier François est disponible en DVD chez ARTE Video.