C'est une histoire aussi sinistre que rocambolesque qui a eu lieu en France et a impliqué les services de renseignement sud-coréens : en octobre 1979, l'ancien chef de l'Agence centrale de renseignement de Corée (du sud), la KCIA – prédécesseur de l'actuel Service national de renseignement (NIS)-, fut enlevé à Paris et éliminé par des agents aux ordres du régime sud-coréen de l'époque. Depuis 1979, malgré la mise en place d'une commission d'enquête en 2004, le mystère demeure sur les circonstances précises de cette affaire. Celle-ci est autant l'affaire d'une élimination, dans des conditions que certains qualifieront de « mafieuses », d'un ancien ami devenu gênant que l'affaire des différentes versions savamment distillées pour semer la confusion dans le public. Mais, malgré le brouillard volontairement entretenu, les services de renseignement sud-coréens apparaissent comme une organisation agissant selon le bon vouloir d'un régime alors dictatorial plutôt que selon la loi, en cumulant de manière exceptionnelle les compétences de la CIA et du FBI américains. Ainsi, en 1979, pour répondre aux besoins du régime sud-coréen aux abois, la KCIA a agi au mépris de la souveraineté d'un pays étranger – en l'occurrence la France – et même de la réputation internationale et de l'intérêt national de la République de Corée (du Sud).
L'ancien directeur de la KCIA, Kim Hyung-wook, lors de sa déposition devant la Chambre des représentants des Etats-Unis, en juin 1977
Né en 1925, Kim Hyung-wook dirigea de 1963 à 1969 l'Agence centrale de renseignement de Corée (Korea Central Intelligence Agency, ou KCIA, nom de l'agence sud-coréenne de renseignement entre 1961 et 1981), se montrant d'une fidélité sans bornes à l'égard du général Park Chung-hee, à la tête de la Corée du Sud de 1961 à 1979 et père de l'actuelle présidente sud-coréenne Park Geun-hye. En particulier, Kim Hyung-wook pilota en 1967 l'enlèvement de 17 citoyens sud-coréens résidant en Allemagne de l'Ouest d'où ils furent rapatriés à Séoul pour y être torturés sur des accusations de violation de la loi de sécurité nationale sud-coréenne et d'activités pro-Corée du Nord. Cet enlèvement faillit provoquer la rupture des relations diplomatique entre la République fédérale d'Allemagne et la Corée du Sud.
Puis Kim Hyung-wook tomba en disgrâce, prit ses distances avec le régime de Park Chung-hee, et, finalement, se réfugia aux Etats-Unis en 1973. Pendant son exil américain, il se montra un farouche opposant au régime Park, révélant la corruption et l'oppression de ce dernier. En juin 1977, il témoigna devant la Sous-commission sur les organisations internationales de la Commission sur les relations internationales de la Chambre des représentants , enquêtant sur les relations entre les Etats-Unis et la Corée du Sud. Là, l'ancien directeur de la KCIA dévoila notamment la corruption de membres du Congrès américain achetés par Park Chung-hee. En 1979, les mémoires de Kim Hyung-wook furent publiés au Japon, malgré les tentatives du régime Park de les bloquer.
Puis, en octobre 1979, Kim Hyung-wook se rendit en France, à Paris, où il disparut... quelques jours avant l'assassinat de Park Chung-hee par son propre chef des services de renseignement !
Depuis leur création, les services secrets sud-coréens – qu'il s'agisse de l'Agence centrale de renseignement, de l'Agence de planification de la sécurité nationale ou du Service national de renseignement – ont rarement hésité sur les moyens à employer, en Corée et à l'étranger. Ainsi, la KCIA aux ordres du général Park Chung-hee eut souvent recours à l'enlèvement et au meurtre vis-à-vis de ses opposants – dont l'enlèvement du futur président Kim Dae-jung, alors dissident, en 1973. Mais la disparition en 1979, à Paris, d'un ancien chef des services secrets sud-coréens devenu un farouche opposant au régime Park est sans doute l'énigme qui a suscité les hypothèses les plus folles.
Le 15 janvier 1981, parut dans le quotidien français Le Monde un article intitulé « Corée du Sud : un ancien chef des services secrets aurait été enlevé, à Paris, en octobre 1979 puis exécuté par Park-Chung-hee », présentant une version spectaculaire de la disparition de l'ancien chef de la KCIA, soufflée par de mystérieux « opposants sud-coréens » :
M. Kim Hyung-wook se serait mis à fréquenter les maisons de jeux, à Paris, en compagnie de M. Lee Sang-ryul, qui avait gagné sa confiance. Selon les opposants sud-coréens, celui-ci 'administra, alors, un anesthésique à M. Kim, en fit un colis qui passa sans problème à la douane et l'embarqua sur un avion cargo de la KAL (la compagnie aérienne sud-coréenne)', le 7 octobre [1979]. 'Le 16 octobre, poursuivent les opposants, alors qu'éclataient les émeutes de Pusan, M. Kim Hyung-wook, encadré d'agents de la KCIA, était introduit dans une pièce située au sous-sol de la Maison Bleue (la résidence du président)', où l'attendait Park Chung-hee, alors chef de l'Etat, qui devait être assassiné à son tour dix jours plus tard. Après un échange d'invectives 'le président Park exécuta lui-même M. Kim Hyung-wook, tirant à deux reprises sur lui, pratiquement à bout portant, tout en vociférant'.
Dans un reportage diffusé par la chaîne sud-coréenne MBC le 28 novembre 1999, Edwy Plenel, directeur de la rédaction du Monde de 1996 à 2004, dit ne pas en savoir plus sur les sources de l'article du 15 janvier 1981 :
Comment cela a-t-il été écrit à l'époque ? Ceux qui traitaient ces sujets-là sont partis à la retraite ou ont quitté le journal. Donc le chef du service international de l'époque n'est plus au Monde, le responsable du desk Asie - ceux qui traitent les informations à Paris-même - n'est plus là. […] Je pense que c'était un des journalistes du service international, qui était en relation, ici, avec des opposants sud-coréens, qui a recueilli leurs témoignages et qui a donné cette information.
Il fallut attendre 2005, soit 26 ans après les faits, pour qu'émerge une version officielle de la disparition de l'ancien chef de la KCIA. Sans lever toutes les interrogations, loin de là.
En Corée du Sud, pendant la présidence démocrate de l'ancien opposant Roh Moo-hyun, une Commission pour la vérité du Service national de renseignement fut créée, en novembre 2004, dans le but de conduire « des activités de recherche de la vérité concernant l'exercice illégal de la puissance publique par le NIS dans le passé, lequel a contribué à des abus en matière de droits de l'homme et à d'autres activités illégales ». Cette Commission pour la vérité était composée de membres de l'agence de renseignement et d'experts civils. En particulier, il était demandé au NIS de faire « tous les efforts pour gagner la confiance du public et empêcher de tels méfaits de se reproduire ».
Parmi les affaires troubles sur lesquelles devait se pencher la Commission pour la vérité figuraient, entre autres, l'enlèvement de citoyens sud-coréens en Allemagne en 1967, l'enlèvement de l'opposant Kim Dae-jung en 1973, la destruction en vol d'un avion de la compagnie sud-coréenne Korean Air en 1987 et, bien sûr, la disparition de Kim Hyung-wook.
Concernant la disparition de l'ancien directeur de l'agence de renseignement, la presse sud-coréenne se fit largement l'écho de l'enquête avant et après la publication du rapport de la Commission. La perspective d'une élucidation de cette affaire, après tant d'années de supputations diverses, fut perçue par les plus optimistes comme l'occasion de renforcer la démocratie et les droits de l'homme en Corée du Sud. Comme l'écrivait le journal sud-coréen de gauche Hankyoreh dans un éditorial du 19 février 2005 :
L'affaire montre la vérité hideuse et nue d'une dictature qui a utilisé un montant important de fonds publics pour tenter de calmer quelqu'un divulguant ses aberrations et allant finalement jusqu'à l'assassiner pour le faire taire à jamais. Le pays et le peuple étaient tenus à l'écart par une agence de renseignement qui était le fidèle serviteur d'un homme au pouvoir absolu. C'est la confirmation que le pouvoir absolu corrompt absolument.
Toutefois, à mesure qu'approchait la fin de l'enquête de la Commission pour la vérité, les versions de la disparition de Kim Hyung-wook, parfois incohérentes, se multiplièrent dans les médias sud-coréens.
Le 18 février 2005, quelques semaines avant la publication du rapport officiel de la Commission pour la vérité, le supplément mensuel du quotidien sud-coréen conservateur Chosun Ilbo distillait l'information d'un meurtre perpétré par des criminels opérant pour le compte d'agents de la KCIA, suivant une version qu'on peut penser être de nature à plutôt disculper la KCIA (compte tenu de la proximité du quotidien avec les services de renseignement) tout en donnant corps à des rumeurs salissant l'ancien maître espion devenu opposant accusé à demi-mots de vénalité :
L'ancien directeur de la KCIA qui a disparu, Kim Hyung-wook, a été assassiné à Paris en 1979 par une organisation criminelle locale aux ordres d'un agent de la KCIA, rapporte le Monthly Chosun. Il est dit que la KCIA a attiré Kim dans la capitale française où le gang s'est débarrassé de son corps, un service pour lequel il a été payé par l'agent.
La dernière édition du magazine publiée vendredi cite le témoignage de plusieurs anciens hauts responsables de la KCIA et de l'ancien député du Parti démocrate du millénaire Kim Gyeong-je, lequel fut le nègre de l'ancien directeur de la KCIA pour la rédaction de ses mémoires.
Mais l'agent désigné par les anciens responsables de la KCIA comme le cerveau de cette opération des services de renseignement à Paris a refusé de confirmer ces affirmations lors d'une rencontre avec le magazine.
Le magazine a rapporté qu'une actrice a été utilisée pour attirer Kim de son domicile dans le New Jersey à Paris,et que l'agent, se faisant passer pour un étudiant étranger, a guidé Kim dans la capitale française et l'a remis au gang parisien.
Dans un entretien accordé au Monthly Chosun, Kim Gyeong-je a dit que l'ancien chef de la KCIA lui a montré des 'lettres d'amour' envoyées par l'actrice d'origine coréenne juste avant qu'il disparaisse. L'ancien député a déclaré que Kim Hyung-wook est allé à Paris pour la rencontrer.
Plusieurs anciens hauts responsables de la KCIA ont affirmé que l'agent de renseignement est revenu en Corée deux jours après le meurtre. Ils ont dit que les services de renseignement français ne faisaient que suspecter ce qui était arrivé mais ne disposaient pas d'assez d'éléments pour mener une enquête active. Les anciens responsables ont attesté que les services de renseignement sud-coréens, ayant tiré les leçons de l'enlèvement bâclé du dissident Kim Dae-jung [qui sera élu président de la Corée du Sud en 1997], n'étaient pas impliqués eux-mêmes dans l'élimination de Kim. A la place, ils ont embauché un gang français local pour faire le boulot.
Pendant ce temps, Yun Il-gyun, qui était à l'époque le vice-directeur des opérations extérieures de la KCIA, a dit au Monthly Chosun qu'il s'est rendu au domicile de Kim dans le New Jersey en novembre 1978, et, après trois jours de négociations, a obtenu le manuscrit original des mémoires de l'ancien maître espion en échange de 500 000 dollars.
Mais Kim est revenu sur l'accord et a publié ses mémoires au Japon en avril 1979, date à laquelle les opérations ponctuelles destinées à empêcher leur publication ont cessé, a affirmé Yun. Son témoignage met fin à la croyance répandue que la KCIA avait offert à Kim 1,5 million de dollars pour arrêter la publication de ses mémoires, et que Kim est allé à Paris pour récupérer le million de dollars qu'il n'avait pas encore reçu.
Le 11 avril 2005, le magazine sud-coréen Sisa Journal, réputé pour le sérieux de ses analyses, sortit un scoop dans lequel un ancien agent de la KCIA, répondant au nom de Lee, avouait avoir enlevé et assassiné Kim Hyung-wook à Paris dans des conditions particulièrement sordides :
Nous avons enlevé l'ancien chef de la KCIA Kim Hyung-wook à Paris le 7 octobre 1979 dans un restaurant proche d'un casino. Nous surveillions l'entrée du restaurant où Kim avait prévu de rencontrer une actrice coréenne, et nous l'avons enlevé en prétendant être envoyés par l'actrice. Nous avons anesthésié Kim dans une Cadillac, nous l'avons emmené la nuit suivante dans un élevage de poulets situé à quatre kilomètres au nord-ouest de Paris, et nous l'avons jeté dans un broyeur pour en faire de l'aliment pour les volailles.
Au Sisa Journal, l'ancien agent livra aussi des détails sur la préparation et les suites de la mission : en 1978, M. Lee et les autres membres de l'équipe furent envoyés en Israël pour y être entraînés par le Mossad (le service de renseignement extérieur israélien). L'équipe chargée de l'assassinat quitta Israël dans un avion cargo et arriva en Belgique où les attendait une voiture pour les conduire à Paris. Ils restèrent à Paris seulement deux jours et, une fois leur mission accomplie, allèrent vers le sud, traversèrent la frontière espagnole comme de simples randonneurs et gagnèrent Gibraltar pour revenir en Israël toujours par avion cargo. Enfin, ils rentrèrent en Corée du Sud en passant par le Japon.
Mais Lee refusa de révéler si Park Chung-hee avait donné l'ordre d'éliminer Kim Hyung-wook. Ce détail avait son importance : une implication directe du président Park Chung-hee dans l'assassinat de son ancien chef des services secrets, en territoire étranger de surcroît, auraient pu ruiner les ambitions politiques de sa fille, alors à la tête du parti conservateur d'opposition en Corée du Sud. Comme l'écrivait le quotidien sud-coréen Dong-A Ilbo le 4 février 2005 :
S'il est avéré que l'ancien président Park a directement ordonné d'enlever et d'assassiner Kim Hyung-wook, cela pourrait porter un coup fatal à la fille de l'ancien président et actuelle dirigeante du Grand Parti national, Park Geun-hye, laquelle a repris l'actif et le passif de son père.
Bien sûr, les aveux de l'agent Lee au Sisa Journal firent réagir le NIS et la Commission pour la vérité. Le 26 avril 2005, un article du site sud-coréen Ohmynews cita une source du NIS participant à la Commission et selon laquelle les personnes impliquées dans l'affaire Kim Hyung-wook étaient prêtes à livrer leur « confession de conscience ». En revanche, toujours selon cette source, le NIS ne disposait d'aucun élément démontrant que la personne ayant parlé au Sisa Journal était bien un agent de la KCIA. Un autre élément particulièrement macabre du récit de M. Lee était pointé pour son incohérence par le chef de la Commission lui-même, le pasteur Oh Chung-il : comment transformer un corps humain en aliments pour volailles alors que ce type d'aliment est composé de matières sèches ?
Le 3 mai 2005, un autre article du site Ohmynews fit état de l'enquête menée par des journalistes de la chaîne MBC venus en France pour y vérifier les déclarations faites par M. Lee au Sisa Journal. En France, les journalistes de MBC découvrirent que le type de broyeur d'aliments pour volailles dans lequel Kim Hyung-wook était censé avoir été tué n'était pas en usage dans les années 1970. Quant à l'actrice qui, selon M. Lee, avait servi d'appât pour attirer Kim Hyung-wook à Paris, elle niait catégoriquement s'être trouvée dans cette partie du monde à l'époque.
Pressée par ces révélations multiples, la Commission pour la vérité du Service national de renseignement publia un rapport intermédiaire sur l'affaire Kim Hyung-wook le 25 mai 2005 (le rapport final de la Commission, rassemblant toutes les affaires étudiées, ne sera publié qu'en 2007).
La version contenue dans ce rapport était quelque peu différente des versions avancées précédemment : d'après la Commission, Kim Hyung-wook avait été liquidé à Paris le 7 octobre 1979 par des agents de la KCIA et des hommes de main embauchés pour accomplir la sale besogne, et son cadavre abandonné dans une forêt. Dans son compte rendu du rapport de la Commission pour la vérité, le quotidien sud-coréen JoongAng Ilbo écrivait le 26 mai 2005 :
Selon le rapport du service de renseignement, Kim Jae-kyu, qui dirigeait l'agence entre 1976 et 1979, ordonna aux responsables de l'agence en France de tuer l'ancien chef espion 'renégat'
Le rapport présente en détail comment Kim Jae-kyu demanda en septembre 1979 à Lee Sang-yul, alors principal agent de la KCIA à Paris, d'organiser l'assassinat. Le rapport dit que M. Lee fit appel à deux fonctionnaires de l'agence à Paris ainsi qu'à deux Européens de l'Est pour accomplir le meurtre.
Le 7 octobre 1979, Kim Hyung-wook appela M. Lee pour emprunter de l'argent, affirme le rapport. Monsieur Lee fit venir l'ancien chef espion aux Champs-Elysées en lui disant qu'il lui présenterait des prêteurs.
Les fonctionnaires de l'agence et les Européens de l'Est enlevèrent M. Kim en utilisant la voiture officielle de M. Lee. Les deux Européens de l'Est possédaient un pistolet fourni par les membres de l'agence d'espionnage [sud-]coréenne. Le rapport affirme qu'ils ont tué M. Kim de sept balles dans une petite forêt à l'extérieur de Paris. Puis ils ont recouvert son corps de feuilles avant de quitter les lieux. Les agents coréens ont refusé de révéler où ils avaient abandonné le cadavre de M. Kim, a déclaré le service.
Le service de renseignement a dit que la description des événements était basée sur les déclarations des fonctionnaires coréens de l'agence et sur des documents internes du service de l'époque. Il a dit que M. Lee, figure clé de l'affaire, a refusé de faire la moindre déclaration. Les journalistes ont tenté en vain de contacter M. Lee.
Kim Jae-kyu a été exécuté en 1980 pour avoir assassiné Park Chung-hee. Un responsable du renseignement a déclaré hier : 'Il n'a pas été établi que le Président Park a demandé à Kim Jae-kyu de tuer Kim Hyung-wook. Nous avons besoin d'informations supplémentaires.'
Le rapport de la Commission offrait donc une nouvelle version de l'histoire (la troisième) et était loin de répondre à toutes les questions : Lee Sang-yul, si prolixe avec le Sisa Journal un mois plus tôt, était soudain devenu muet. Quant à l'absence d'« informations supplémentaires » permettant, notamment, d'établir l'existence d'un ordre direct de Park Chung-hee d'éliminer son ancien homme de confiance, l'opinion y était préparée dès le mois de mars 2005 quand on apprit que des documents utiles à la manifestation de la vérité avaient mystérieusement disparu, probablement détruits par les services de renseignement eux-mêmes :
On a appris […] que des documents importants relatifs à la disparition de l'ancien directeur de l'Agence centrale de renseignement de Corée (KCIA), Kim Hyung-wook et à l'enlèvement de l'ancien président, alors dissident, Kim Dae-jung, ne sont plus en possession du Service national de renseignement (NIS), amenant certains à penser qu'ils ont été détruits. La Commission pour la vérité enquêtant sur des incidents suspects du passé de l'agence nationale de renseignement a déclaré avoir obtenu des documents du renseignement au sujet du directeur de la KCIA qui a disparu, lequel avait fui aux Etats-Unis en 1973 et menait des activités en opposition au président de l'époque, Park Chung-hee, mais qu'il n'existe aucun rapport sur les mouvements de Kim à partir de la veille de son arrivée à Paris le 1er octobre 1979. Kim a disparu quelques jours plus tard, le 7 octobre. La Commission enquête sur la possibilité que ces documents aient été intentionnellement détruits. Elle a appelé à témoigner plusieurs personnes liées à l'affaire, dont Lee Sang-yul, un ancien agent de renseignement qui opérait alors en France sous couverture d'un fonctionnaire de l'ambassade [de Corée du Sud], mais elle affirme qu'elles ne se montrent pas coopératives.
L'absence de preuves démontrant un ordre direct de Park Chung-hee déçut les défenseurs de la démocratie en Corée du Sud, comme le journal Hankyoreh qui écrivait dans un éditorial du 27 mai 2005 :
On ne peut pas dire que l'affaire Kim Hyung-wook a été révélée dans sa totalité. Il est difficile de croire l'explication selon laquelle la KCIA a fait seule ce qu'elle a fait, juste pour se protéger elle-même. La KCIA était une organisation subordonnée à Park, les événements menant directement à ce qui est arrivé concernaient la publication par Kim de mémoires traitant de détails intimes du régime et son témoignage à leur sujet devant une commission de la Chambre des représentants des Etats-Unis, et, de plus, Park montra en plusieurs occasions sa rage et son sentiment de trahison. Il y a besoin d'une clarification sur l'existence ou non d'un ordre de Park [pour éliminer Kim Hyung-wook]. Il y a eu tant de controverse quant à savoir si la KCIA avait entrepris d'elle-même d'enlever Kim Dae-jung en 1973, que ce serait beaucoup de penser qu'elle aurait pu fait une telle chose de sa propre initiative plus tard.
De leur côté, le Grand Parti national et les médias conservateurs sud-coréens, opposés au Président Roh Moo-hyun et méprisant la Commission pour la vérité du Service national de renseignement, n'avaient de cesse de mettre en doute la crédibilité de cette dernière. Ainsi, deux jours après la sortie du rapport de la Commission, le Chosun Ilbo, principal organe conservateur en Corée du Sud, publia un article critiquant un rapport « plein d'angles morts » et appelant à « enquêter sur la Commission » :
Une Commission pour la vérité du Service national de renseignement (NIS) sondant des épisodes troubles du passé du service a décidé de mettre fin, pour ainsi dire, à un mystère qui ne veut pas partir, à savoir ce qui est arrivé à l'ancien directeur de l'Agence centrale de renseignement de Corée (KCIA) Kim Hyung-wook. Tout ce que nous savons avec certitude est qu'il a disparu pendant la présidence de Park Chung-hee.
La Commission pour la vérité a publié un rapport intermédiaire dans lequel nous apprenons que des agents de la KCIA basés à Paris, sur les ordres du successeur de Kim à la tête de la KCIA, et un duo de gangsters d'Europe de l'Est qu'ils ont embauchés pour 100 000 dollars, ont emmené l'ancien maître espion dans une forêt à l'extérieur de Paris et l'ont abattu avec un pistolet à silencieux.
Il est dit que les témoignages en ce sens proviennent de l'homme de la KCIA à Paris à l'époque, Shin Hyeon-jin, qui a pris part à l'opération. Mais le rapport est plein d'angles morts.
Pour commencer, il est écrit dans le rapport que les tueurs ont recouvert le corps de Kim avec des feuilles mortes avant de quitter les lieux. Il a été dit que ces bois où Kim a été assassiné étaient situés à 50 mètres d'une route de banlieue. Il est donc difficile d'avaler que personne ne soit venu à cet endroit en 26 ans. Où sont passés les restes de Kim ? Shin, en tout cas, n'a pas pu se rappeler où se trouvent les bois, révèle la Commission. La cible du meurtre qu'il a commis était l'ancien chef de son organisation, mais Shin ne peut pas se rappeler où il l'a fait. Cela n'a aucun sens.
La Commission n'a pas non plus été en mesure de fournir des preuves matérielles parce que les tueurs ont égaré le pistolet à silencieux.
Parmi les dix membres civils de la Commision, aucun n'a rencontré Shin, apparemment. Les membres civils sont placés là pour surveiller la Commission afin que le NIS, qui est après tout la partie probablement coupable dans ces épisodes troubles, ne puisse pas fabriquer les résultats de l'enquête qui lui conviennent. Et ces membres civils ont simplement entériné ce que les responsables du NIS leur ont dit de leur enquête sur leurs anciens collègues et n'ont demandé aucune autre preuve.
Pourquoi cette hâte ? Quelle urgence a incité la Commission à rendre publics les résultats de cette enquête bâclée ? Si les questions sur le passé sombre de l'agence finissent par donner naissance à davantage de soupçons et de théories du complot, nous devrons mettre en place une autre commission pour la vérité afin d'enquêter sur la Commission pour la vérité.
Il est vrai que les conclusions de l'enquête de la Commission pour la vérité étaient loin d'être satisfaisantes. Mais, à la décharge de la Commission, les conservateurs sud-coréens, par l'intermédiaire de leurs médias, quand ce ne sont pas les services de renseignement eux-mêmes, ont bien contribué à embrouiller les choses et à lui mettre des battons dans les roues, y compris en répandant des rumeurs et en dissimulant des éléments nécessaires à la manifestation de la vérité.
Ainsi, quelques jours avant la publication du rapport de la Commission pour la vérité, la presse sud-coréenne fit état d'une nouvelle version (la quatrième, au moins) de la disparition de Kim Hyung-wook, à partir d'un « document déclassifié » américain contredisant l'hypothèse d'un assassinat à Paris. Le 20 mai 2005, il était écrit dans le Chosun Ilbo :
Un document déclassifié du département d'Etat américain contredit l'histoire selon laquelle l'ancien directeur de la KCIA Kim Hyung-wook a été attiré à Paris et assassiné dans des circonstances tout droit sorties d'un thriller d'espionnage, donnant une nouvelle vie à un mystère qui refuse de partir. Le document indique aussi que Kim s'est évaporé le 9 octobre 1979, deux jours après ce qu'on pensait.
L'édition de New York du Hankuk Ilbo a rapporté qu'un 'Rapport hebdomadaire sur la situation en Corée' adressé par le département d'Etat à l'ambassade des Etats-Unis en Corée [du Sud] le 29 février 1980 a affirmé être certain que Kim avait quitté Paris le 9 octobre avec un autre Coréen et s'était rendu à Dhahran en Arabie Saoudite en passant par Zurich en Suisse. C'est là qu'on perd sa trace.
Le rapport a dit que l'ambassade du Japon à Washington avait donné au département d'Etat les résultats des investigations menées en continu par Tokyo avec la police de Paris [sic] concernant la disparition de Kim. Il a ajouté que la police française n'avait pas eu d'autre choix que de clore son enquête après la confirmation que Kim était parti pour l'Arabie Saoudite.
Malgré le brouillage volontaire des pistes, toutes les versions - ou presque - de l'affaire Kim Hyung-wook s'accordent sur un point : des agents sud-coréens en poste à Paris ont joué un rôle dans la disparition de l'ancien chef de la KCIA, suivie de son meurtre probable. Plongés dans la tourmente de révélations sur un passé peu glorieux, les services de renseignement sud-coréens ont plus tard su se montrer reconnaissants pour le soutien apporté par la fille du général Park et ses amis conservateurs. Le retour d'ascenseur a pris la forme d'une élection présidentielle manipulée en 2012... La fille du général Park Chung-hee est désormais au pouvoir en Corée du Sud et les services de renseignement sud-coréens, rebaptisés NIS en 1999, peuvent à nouveau se comporter en dignes héritiers de la KCIA de la « grande époque ». En Corée comme à l'étranger.
Sources :
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