Le 25 janvier 2010, Cultural Action, association civique coréenne basée à Séoul, a annoncé faire appel d'une décision du Tribunal administratif de Paris, rendue le 24 décembre dernier, afin d'obtenir la restitution d'archives royales de la dynastie Choseon, pillées par les troupes françaises lors de leur tentative d'invasion de la Corée en 1866. Retour sur un contentieux vieux de près d'un siècle et demi.
C'est le seul réel sujet de contentieux diplomatique dans les relations bilatérales entre la France et la République de Corée (du Sud) qui, par sa forte portée symbolique, représente un enjeu pour l'ensemble des Coréens, du Nord, du Sud et de la diaspora.
En 1866, après la mort de missionnaires chrétiens français en Corée, une expédition française conduite par le contre-amiral Pierre-Gustave Roze pénètre en Corée. Si l'aventure militaire se solde par un fiasco pour les troupes françaises, celles-ci s'emparent, lors de leurs retraite, de 297 volumes du millier faisant partie des archives royales de la dynastie Choseon (1392-1910), appelées Oegyujanggak et conservées sur l’île de Ganghwa, sur la côté occidentale. D'autres livres ont été détruits lors de l'incendie provoqué par les soldats français lors de leur départ.
Classés par erreur dans les collections chinoises de la Bibliothèque nationale de France, à l'instar par ailleurs de nombreuses autres pièces de collection coréennes en France (notamment celles du Musée Guimet) jusqu'à la deuxième moitié du vingtième siècle, les volumes sont retrouvés et identifiés en 1978 par un historien sud-coréen vivant à Paris, Park Byeong-seon.
La demande de restitution des archives pillées en 1866 fait alors l'objet d'intenses négociations entre les gouvernements français et sud-coréen, ce dernier soulignant qu'il s'agit d'éléments du patrimoine national volés. La question est évoquée lors des discussions d'achat de la technologie du TGV par la Corée du Sud, mais les Coréens sont profondément déçus par l'absence de restitution des archives royales en France malgré le choix de l'entreprise française. Le 15 septembre 1993, en visite à Séoul, le président français François Mitterrand a seulement restitué le premier tome d'un ouvrage en deux volumes, le Hyikyungwon-Wonsodogam-Uigwe, enregistré à la Bibliothèque nationale sous le nom "Coréen 2495" (photo ci-dessous : François Mitterrand restitue l'ouvrage au Président Kim Young-sam, source Yonhap).
Plusieurs options ont été envisagées, notamment un prêt sur le long terme. Par ailleurs, une édition numérique a été remise par la France à la Corée pour les besoins des chercheurs. Les autorités sud-coréennes observent toutefois que la question de la restitution n'est pas résolue.
Une association civique coréenne basée à Séoul, Cultural Action, a engagé une action juridique, mais sans succès jusqu'à présent : dans une décision rendue le 24 décembre 2009, le Tribunal administratif (TA) de Paris a rejeté cette demande au regard de considérants juridiques attendus, à savoir le principe d'inaliénabilité des collections françaises faisant partie du domaine public, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ces biens ont été acquis. Le TA a ajouté que le pillage n'était pas juridiquement interdit par le droit international en 1866. Le 25 janvier, Cultural Action a annoncé qu'elle faisait appel de cette décision. "Nous faisons appel parce que ne pas le faire signifierait que nous acceptons ce jugement injuste du tribunal français", a déclaré Hwang Pyung-woo, membre de l'association. Cultural Action demande également que la propriété coréenne des livres soit reconnue, en critiquant la position du gouvernement sud-coréen prêt, selon elle, à accepter un prêt permanent sans régler cette question.
Tout en étant consciente que l'enjeu du débat dépasse les relations franco-coréennes, dans la mesure où la restitution des objets acquis par la France lors des guerres priverait nos musées d'une partie importante de leurs collections, l'Association d'amitié franco-coréenne soutient pleinement la demande du peuple coréen de reprendre possession de biens acquis par la force, d'une valeur historique de première importance pour le peuple coréen. Des restitutions ont déjà été décidées par le gouvernement français pour des biens d'autres pays. En effet, un accord ne pourra être que politique ; il pourrait également conduire à la reconnaissance, par la France, de l'erreur qu'a constituée l'expédition coloniale de 1866, ce qui solderait définitivement un contentieux ancien de plus de 140 années.
Sources : AAFC, Yonhap
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