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15 janvier 2011 6 15 /01 /janvier /2011 00:46

Au nom de la loi de sécurité nationale, de nombreux militants associatifs, politiques ou syndicaux ont été arrêtés en Corée du Sud depuis plus de soixante ans, au motif qu'ils seraient en lien avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) et/ou membres d'une organisation désignée comme favorisant l'ennemi. L'Association d'amitié franco-coréenne dénonce la loi de sécurité nationale de plus en plus souvent invoquée par le gouvernement Lee Myung-bak depuis 2008 pour réprimer l'opposition, comme portant atteinte aux libertés publiques. L'AAFC plaide également pour la libération de toutes celles et de tous ceux toujours emprisonnés au nom de la loi de sécurité nationale, en saluant leur courage. L'AAFC a pu rencontrer Hwang Sun qui nous a raconté l’histoire de son mari, M. Yoon Ki-jin, ancien président de Hanchongryon, militant pour la liberté et la réunification, aujourd'hui en prison pour ses idées. Hanchongryon, syndicat national des étudiants en Corée du Sud,  a été désigné comme une organisation favorisant l’ennemi, la Corée du Nord, par le gouvernement sud-coréen dans les années 1990.

 

YoonKijin.jpg

  Yoon Ki-jin (source : Jajuminbo)


Madame Hwang, bonjour. Votre mari, Yoon Ki-jin, a été président de Hanchongryon et, à ce titre, emprisonné au nom de la loi de sécurité nationale. Pouvez-nous nous présenter brièvement Hanchongryon et le parcours de votre mari ? 

 

hwang_IMG_2775.JPGYoon Ki-jin a été arrêté en 1996, à l’université Yonsei. Hanchongryon avait organisé un grand congrès national pour la réunification de la Corée à l'occasion du 15 août. Le gouvernement Kim Young-sam a interdit ce congrès et bloqué l'accès à l’université Yonsei, la police a écrasé des dizaines de milliers de participants tres violemment et les a arrêtés.

 

Après avoir été libéré de prison en décembre 1998, Yoon Ki-jin a été élu président du syndicat des étudiants de l’universite Myung-Ji. La police a considéré le syndicat comme une organisation illégale et l'a recherché, alors même qu’il avait légitimement été élu par les étudiants. L’année suivante, il a été élu président de Hanchongryon. Il est devenu le leader du mouvement étudiant pour la démocratie et la réunification de la Corée et a envoyé une délégation de Hanchongryon à Pyongyang en 1999.  A partir de 2000, après la déclaration commune du 15 juin, il s’est engagé dans un large mouvement populaire et légitime pour la réunification, en organisant des visites collectives en Corée du Nord.

 

Après la mise en place du gouvernement Roh Moo-hyun, tous les partis progressistes et leurs militants ont multiplié leurs efforts pour abroger la loi de sécurité nationale et il ont presque atteint ce but. Mais le jeu politique l’a déjoué. Lee Myung-bak a renforcé la loi de sécurité nationale et accru la répression sur les militants. Le 27 février 2008, deux jours après l'entrée en fonctions de Lee Myung-bak, la police a lancé un mandat d'arrêt contre Yoon Ki-jin en violation de la loi sur les réunions et les communications au regard de la loi de sécurité nationale. Il a dû se cacher chez un ami. Mon idée est que la police n’a pas osé l’arrêter sous le gouvernement Roh dans une ambiance de détente entre les deux Corée, mais dès l'avènement d'un gouvernement conservateur, elle a mis en oeuvre un plan préétabli. En plus la police a frappé l’ami qui a hébergé M. Yoon d'une amende de 5.000.000 won [environ 3.350 euros] pour avoir caché et aidé un criminel. C’est un acte honteux qu’on ne voyait même pas à l’époque de la dictature millitaire.

 

Prisonnier d'opinion, M. Yoon doit être libéré prochainement, mais un article qu’il a écrit en prison est retenu contre lui. De quels pouvoirs dispose le procureur ? N'avez-vous pas le sentiment que le but du gouvernement Lee Myung-bak est d'obtenir une conversion à des idées qui ne sont pas les siennes ?

 

Oui, l’objectif quand sont enfermés les militants est d’affaiblir et de limiter leur action et d'obtenir leur conversion. La liberté d’expression est opprimée, et on ne peut pas écrire en prison. Actuellement le procureur a accusé M. Yoon d'avoir écrit et diffusé des textes favorisant la Corée du Nord au regard de la loi de sécurité nationale ; à cause des lettres qu’il a écrites en prison, M. Yoon est harcelé sous prétexte d’une enquête. Mais il devrait sortir comme prévu et cette affaire se poursuivra sans mise en détention. En fait, il s'agit de gêner et limiter son travail après sa libération. Je vois cela comme une sorte de menace.

 

Le procureur examine également les trois destinataires des lettres pour avoir retapé des lettres manuscrites et les avoir distribuées. Il a appliqué à nouveau la loi de sécurité nationale pour diffusion de textes favorisant l’ennemi.

 

Le rôle de la loi en général est de garantir l’ordre de la société, mais en Corée du Sud, la loi de sécurité nationale correspond à un fonctionnement anormal. Lorsque M. Yoon  a été arrêté, la police a censuré son carnet où il avait inscrit des dates nationales de la Corée du Nord. Ce carnet est devenu une production favorisant l’ennemi. Cette loi contrôle même les idées, les pensées dans la tête des gens. Par exemple, si quelqu’un a écrit "Je veux tuer quelqu’un" dans son journal, la loi de sécurité nationale peut l’inculper de meurtre. 

 

A combien estime-t-on ne nombre de prisonniers d'opinion emprisonnés, comme Yoon Ki-jin, en Corée du Sud, au nom de la loi de sécurité nationale ? Quelles actions sont entreprises pour sa libération et l'abrogation de l'anachronique loi dite de sécurité nationale ?

 

On ne peut pas estimer exactement le nombre de prisonniers d’opinion. Mais pour les prisonniers arrêtés en lien avec la réunification, un Américain, M. Jang Min-ho, a été impliqué dans une affaire manipulée par les services de renseignement. Han Sang-ryol, qui a aussi visité la Corée du Nord, est également en prison. Apres la division, en Corée du Sud, il y a toujours eu beaucoup de prisonniers d’opinion qui ont lutté contre la dictature et pour démocratiser la Corée du Sud et parvenir à la réunification de la Corée. 

 

Le gouvernement Lee Myung-bak n'a eu de cesse de réprimer les militants et les partis d'opposition. Il a effectué de nombreuses perquisitions aux domiciles des particuliers et dans les bureaux des partis. Outre la loi de sécurité nationale, il applique également la loi concernant les rassemblements et les manifestations pour bloquer les manifestations contre sa politique et arrêter les manifestants. Il applique aussi cette loi aux syndicats ouvrier en cas de grève, et la police arrête également souvent des ouvriers après les grèves pour des actes de violence criminelle. Des citoyens qui refusent le service militaire pour des raisons religieuses ou en raison de leur orientation sexuelle sont aussi en prison. Tous sont des prisonniers d’opinion, produit de la situation de division de la Corée.

 

Le gouvernement actuel applique également la loi sur les médias et la loi sur l'information et la communication pour réprimer les manifestations d'opinion publique sur Internet et contrôler les médias. En promulguant ces nouvelles lois, Lee Myung-nak renforce la loi de sécurite nationale et produit massivement des prisonniers d’opinion.

 

Mais avec le gouvernement Lee Myung-bak, il y a de nombreuses luttes à mener aux plans politique et économique, et la répression des militants progressistes s'est beaucoup renforcée. Dans ces conditions, il est difficile de concentrer les luttes contre la loi de sécurité nationale.

 

Le gouvernement a ordonné à M. Yoon de supprimer un texte critiquant le gouvernement sur le site de l’association, bien qu’il n’ait pas de rapport avec la publication de ce texte. Cet exemple témoigne de la grossièreté des méthodes gouvernementales. Avec une politique de ce niveau, il est difficile d’espérer abroger la loi de sécurité nationale dans les institutions.

 

Votre mari a-t-il pu voir ou contacter sa famille en prison ? Les dispositions ainsi prises sont-elles conformes aux conventions internationales dont la République de Corée est partie prenante ?

 

Oui, il y a beaucoup de problèmes. D’abord, quand il était recherché par la police, pour le voir, je devais changer de bus, de métro ou de taxi pour déjouer la poursuite des policiers qui me surveillaient en permanence. La police a bloqué aussi notre mariage, mais grâce aux invités nous avons pu célébrer notre mariage et mon mari a alors pu échapper aux policiers.

 

Dans la prison où il est détenu, les visites ont lieu dans une cellule séparée par une planche. On peut se parler au micro, mais on ne peut pas avoir de contact physique.

 

Des visites spéciales ont lieu certains jours comme les anniversaires, on peut se voir dans une chambre sous la surveillance d’un gardien, et cette chambre est aussi séparée par une fenêtre grillagée. On peut se tenir par la main, mais il n’a jamais pris dans ses bras nos enfants nés pendant son incarcération. Nos deux enfants pleurent à chaque visite, en prenant ses mains ils lui demandent de rentrer à la maison ensemble. Cela me rend très triste.

 

La loi de sécurité nationale viole la liberté de pensée et les droits de l’Homme, étant contradictoire avec la déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen. Cette loi contrôle même des notes prises dans un carnet ou des idées dans la tête des gens.

 

Actuellement, à la prison de Dae-jeon, il n’y a aucun chauffage pour les prisonniers. Ils doivent rester dans une cellule avec seulement une couverture, par des températures de moins 10 degrés. Les conditions de détention sont déplorables. Le ministère de la Justice a installé des moustiquaires en fer pour éviter les suicides des détenus. Mais ce dispositif bouche la fenêtre de la cellule. On ne peut plus voir dehors et les courants d’air sont bloqués. Alors les prisonniers restent l'été dans des cellules surchauffées. Les prisonniers d’opinion avaient obtenu le droit d’écrire en prison après un long combat, mais maintenant ce droit est nominal. Ils dénoncent leurs mauvaises conditions de détention par l'intermédiaire de leurs avocats et de leurs familles, mais le ministère de la Justice ignore leurs demandes.

 

En Corée du Sud, la prison est entendue comme un lieu où on purge une peine, plutôt que comme un lieu de rééducation. Alors les conditions de détention restent toujours aussi mauvaises que pendant l’époque de l’occupation par le Japon.

 

En Europe du Nord, j’ai appris qu'un suivi psychologique est proposé aux prisonniers après la sortie de prison. Je demande l'application d'un tel système en Corée.

 

Merci, Mme Hwang.

 

 

Propos recueillis le 12 janvier 2011 à Séoul (Corée du Sud)

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