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14 août 2008 4 14 /08 /août /2008 18:03

Le président sud-coréen Lee Myung-bak avait promis d'être le "président de l’économie" et il semble prêt à utiliser tous les moyens pour tenir cette promesse. Le président Lee a ainsi décidé de gracier un certain nombre de chefs d’entreprises, dans le but, a expliqué la présidence sud-coréenne, de revitaliser l’économie nationale. Mais, loin de ces justifications, l'amnistie du 15 août est aussi l'occasion pour la nouvelle administration conservatrice en place en Corée du Sud de renforcer son emprise sur les médias du pays.

 

Le 12 août, Kim Kyung-han, ministre sud-coréen de la Justice, a rendu publique la liste des bénéficiaires de la traditionnelle grâce spéciale du 15 août qui marque cette année le 63eme anniversaire de la fin de la colonisation japonaise en Corée et le 60eme anniversaire de la fondation de la République de Corée (Corée du Sud). Parmi les 341.846 personnes qui seront ainsi remises en liberté ou réhabilitées, on trouve surtout des fonctionnaires sanctionnés avant l'entrée en fonction de l'administration actuelle, mais aussi des hommes politiques, des hauts fonctionnaires, des chefs d'exécutifs régionaux ou des personnalités du monde économique.


Plusieurs patrons de chaebols, les conglomérats familiaux sud-coréens, sont concernés. Il s’agit notamment de Chung Mong-koo, PDG du premier constructeur automobile sud-coréen Hyundai Motor (ici le 28 avril 2006, sortant du bureau du procureur), de Choi Tae-won, chef du groupe SK, et de Kim Seung-youn, patron du groupe Hanhwa.

 
Le président Lee Myung-bak, lui-même ancien PDG de la branche construction du géant Hyundai, s’est expliqué sur sa décision d’amnistier les patrons de chaebols. Il a affirmé avoir pris cette décision en tenant compte des difficultés que ces chefs d’entreprises rencontrent dans leurs activités à l’étranger. Il a ajouté que cette amnistie permettrait aux grands groupes de multiplier désormais leurs investissements et de faire preuve de transparence dans leur gestion. Selon Lee Myung-bak, les fonctionnaires et les hommes d’affaires impliqués dans des cas de corruption et d'autres irrégularités depuis son arrivée au pouvoir ne pourront pas bénéficier de cette grâce.

 

La Chambre de commerce et d’industrie de Corée du Sud s’est félicitée de ce geste tout en précisant que cette mesure allait permettre d’augmenter la transparence et l’éthique du management des entreprises. L’opposition et de nombreux groupements civiques dénoncent quant à eux une amnistie qui ne fera que renforcer le sentiment d’impunité des patrons.

 

Le fait est que la justice sud-coréenne se montre déjà très clémente vis-à-vis des crimes ou délits des dirigeants des chaebols, les juges invoquant souvent la nécessité de ne pas perturber l’économie. Par exemple, le patron de Hyundai Motor a notamment été accusé d’avoir détourné 90 millions de dollars mais n'a été condamné, en appel, qu'à 300 heures de travaux d'intérêt général. Le dirigeant de Hanwha, lui, avait employé des hommes de main pour passer à tabac des employés d’un bar qui avaient eu des démêlés avec son fils…

 

Kim Sang-jo, professeur à l'Université Hansung et directeur du groupement civique Solidarité pour la réforme économique, déclare que la grâce accordée par le président Lee est la négation même de la loi et des principes qu'il a pourtant promis de respecter strictement afin d'atteindre une croissance économique de 7%. Cette amnistie met ainsi le gouvernement en contradiction avec lui-même et affaiblit finalement le potentiel de croissance.

 

Parmi les amnistiés du 15 août, figurent également les dirigeants des trois principaux quotidiens conservateurs de Corée du Sud, Bang Sang-hoo, directeur du Chosun Ilbo, Kim Byung-kun, ancien vice-directeur du Donga Ilbo et Song Pil-ho, directeur du Joongang Ilbo, tous condamnés en 2001 pour évasion fiscale. Pour les critiques d'une telle mesure, si la grâce accordée à des hommes d'affaires est destinée à "sauver l'économie", l'amnistie de ces patrons de presse conservateurs ne trouve aucune justification autre qu'idéologique, ceux-ci ne s'étant pas excusés pour les délits commis et affichant même du mépris pour leurs juges.

 

Plusieurs experts qualifient ces mesures de grâce de "cour agressive" faite aux médias conservateurs par une administration désireuse de rester en bons termes avec eux en les récompensant pour leur couverture favorable de l'action du gouvernement et du Grand Parti national au pouvoir, notamment pendant les manifestations contre la reprise des importations de boeuf américain. 


Manifestation contre les importations de boeuf américain, le 8 juin 2008 à Séoul (photo : Hankyoreh)

 

Kim Seo-joong, professeur à l'université Sungkonghoe, décrit l'amnistie accordée à ces dirigeants de la presse conservatrice comme "une mesure symbolique destinée à renforcer les relations étroites entre gouvernement et médias." Le professeur Kim souligne que "les propriétaires de médias ont une grande influence sur la société et devraient respecter des normes sociales plus strictes. Leurs peines ne devraient donc pas être levées." Il est rejoint par Hwang Yong-seok, professeur à l'Université Konkuk, qui affirme que "rien ne justifie l'amnistie de propriétaires de journaux qui doivent avoir une plus grande responsabilité sociale et suivre une éthique bien plus stricte que dans les entreprises."

 

Certains observateurs remarquent que le Chosun Ilbo, le Donga Ilbo et le Joongang Ilbo sont susceptibles de créer des chaînes câblées ou des chaînes d'information en continu si le gouvernement les y autorise. Les dirigeants de ces journaux pourraient donc avoir été grâciés afin de rester à leur poste, voire d'occuper des positions plus élevées une fois qu'ils possèderont des chaînes de radio et de télévision.

 

En particulier, on s'attend à ce que Bang Sang-hoo retrouve son poste d'éditeur du Chosun Ilbo suite à l'amnistie du 15 août. La loi sur la presse interdit en effet à une personne d'occuper la fonction d'éditeur si elle est condamnée à une peine d'emprisonnement avec sursis.

 

Kim Young-ho, de la Coalition du peuple pour la réforme des médias, déclare que, "à la différence des entreprises ordinaires, la loi sur la presse est restrictive quant aux qualifications pour être éditeur parce qu'une fonction exercée dans une entreprise de médias l'est dans l'intérêt du public. On peut considérer que la décision d'amnistier les dirigeants de ces journaux ouvre la voie à une entrée de leurs entreprises dans le secteur de la radiotélédiffusion."

 

La justification "idéologique" de l'amnistie des patrons du Chosun Ilbo, du Donga Ilbo et du Joongang Ilbo est encore plus évidente quand on établit un parallèle entre cette amnistie et l'arrestation de l'ex-président de la KBS, la radiotélévision publique sud-coréenne.

 

Le 8 août 2008, suite à une demande de la Cour des comptes de Corée du Sud rendant responsable Jung Yun-joo, alors président de la KBS, de pertes s’élevant à 150 millions de dollars, le conseil d’administration de la chaîne a voté son licenciement. Le 11 août, ce licenciement a été signé par le président Lee Myung-bak et dès le 12 août, le jour même de l'annonce de l'amnistie, Jung Yun-joo a été arrêté à son domicile à la demande du Parquet. Cette arrestation faisait suite à son refus répété de se présenter devant le procureur dans l’enquête concernant sa mauvaise gestion de la KBS.



Ce licenciement puis cette arrestation ont provoqué l’émoi d’une partie de l’opinion publique inquiète de l’emprise grandissante des partisans du président Lee Myung-bak sur les médias publics. Les patrons de plusieurs diffuseurs qui avaient été critiques à l’égard de la politique de Lee ont été remplacés et des proches de la nouvelle présidence ont pris la tête de la chaîne d’information YTN, de la chaîne internationale sud-coréenne Arirang TV ou encore de l’opérateur satellite Skylife.


Dans ce contexte, les organisations civiques et l’opposition critiquent le licenciement de Jung Yun-joo, qu’elles considèrent comme une prise de contrôle des médias par le pouvoir. Les conservateurs justifient, au contraire, cette décision en accusant l’ex-patron de la KBS "d’incompétence" et de "gauchisme".

On n'a décidément pas fini de mesurer l'impact sur la société et la politique sud-coréennes des manifestations aux chandelles qui ont lieu
depuis avril, et de leur couverture par les médias de tous bords. (sources : Hankyoreh, KBS)

Le président sud-coréen Lee Myung-bak en Batman un peu particulier :

il libère les patrons de presse conservateurs et les dirigeants de chaebols coupables de corruption

et arrête les innocents, en l'occurrence Jung Yun-joo, président de la KBS

(caricature parue le 13 août 2008 dans le quotidien Hankyoreh)

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