Il y a trente-sept ans, le 17 août 1975, Chang Chun-ha, un combattant de la lutte pour l'indépendance de la Corée devenu un opposant au régime Yusin du général Park Chung-hee, était retrouvé mort. Le régime militaire de Séoul conclut à une mort accidentelle. Mais une autopsie réalisée récemment, à la demande de sa famille, a montré qu'un large trou dans le crâne ne pouvait avoir une origine accidentelle. La vérité doit être faite sur les conditions de l'assassinat de Chang Chun-ha, si la Corée du Sud veut tourner la page des années de plomb de l'ère Park Chung-hee.
Né en 1918 à Uiju, dans le Nord de la Corée, près de la frontière sino-coréenne, Chang Chun-ha rejoignit les combattants pour l'indépendance de la Corée, avant de devenir le secrétaire de Kim Ku dans le gouvernement provisoire en exil (photo de Chang Chun-ha à droite, devant un drapeau du gouvernement provisoire en exil que lui a donné Kim Ku, et dont il a fait don à l'Université féminine Ewha le 8 août 1975).
Nationaliste, conservateur, partisan d'une démocratie libérale, résolument pro-américain, Chang Chun-ha refusa de participer au gouvernement de Syngman Rhee, qui finit par faire assassiner Kim Ku, après que cette figure du combat pour l'indépendance de la Corée eut participé à une réunion au Nord avec le Président Kim Il-sung pour empêcher la partition du pays.
En avril 1953, alors que la guerre de Corée faisait encore rage, Chang Chun-ha reçut un appui financier des services secrets américains pour fonder un mensuel, Sasanggye, traitant de politique et de questions de société, qui allait être en 1962 lauréat du prix Ramon Magsaysay pour son combat en faveur de la démocratie et de la liberté de la presse.
En 1966, le régime du général Park Chung-hee interdit Sasanggye. En 1972, la promulgation de la Constitution Yusin marqua un nouveau durcissement du régime militaire, ouvrant les pages les plus sombres de l'histoire sud-coréenne. Chang Chun-ha s'opposa à la Constitution Yusin, en réunissant en seulement dix jours 400.000 signatures sur une pétition exigeant l'abrogation de la Constitution ultra-autoritaire et la mise en place d'un régime démocratique.
Chang Chun-ha est alors emprisonné, torturé et condamné à quinze ans de prison. Libéré de manière anticipée, son corps sans vie est retrouvé dans une montagne près d'Uijeongbu. Officiellement, il est conclu à une chute accidentelle du haut d'une falaise.
C'était compter sans l'opiniâtreté du combat de sa famille, et notamment de son fils aîné, Chang Ho-gwon (photo ci-dessous), pour faire triompher la vérité. Le 15 août 2012, une autopsie des restes du corps de Chang Chun-ha a révélé un large trou circulaire (de 5 à 6 centimètres de diamètre) dans le crâne, qui ne peut pas avoir une cause naturelle. La découverte en avait été faite par sa famille, le 1er août dernier, alors qu'elle déplaçait ses restes, suivant la tradition coréenne d'honorer les défunts.
Après la mort de son père, un espion sud-coréen avait conseillé à Chang Ho-gwon de "ne pas faire de bêtise" - alors qu'un journaliste japonais du Asahi Shimbun était venu prendre des photos du corps de Chang Chun-ha. S'étant fait défoncer la mâchoire par des voyous à la solde de la KCIA (les services de renseignement sud-coréens), Chang Ho-gwon s'enfuit en Malaisie, revint après la mort du général Park mais fut torturé par le nouveau pouvoir du général Chun Doo-hwan, et s'enfuit à nouveau, à Singapour, avant de ne rentrer dans la péninsule qu'en 2004.
Dans un entretien accordé au quotidien indépendant Hankyoreh, Chang Ho-gwon, aujourd'hui âgé de 63 ans, a raconté son combat pour que les commissions ayant enquêté sur les morts suspectes du régime militaire réexaminent le cas de son père. Mais les commissions étaient dotées de trop peu de moyens, et leurs travaux ont été clos par l'actuel Président conservateur, Lee Myung-bak, ancien opposant s'étant rallié à Park Chung-hee, et dont la conversion aux valeurs du régime militaire lui a permis de lancer une belle carrière professionnelle. En tant que fils d'un opposant, Chang Ho-gwon sera, lui, mis au ban de la société sud-coréenne de l'ère Yushin, contraint de mendier l'aide d'amis, interdit de travailler dans la fonction publique et les entreprises liées au régime Park Chung-hee. Aujourd'hui encore, il vit toujours modestement avec sa mère, veuve de Chang Chun-ha, Kim Hee-sook, âgée de 88 ans. Une existence à mille lieues de celle dorée de Park Geun-hye, la fille de Park Chung-hee aujourd'hui principale candidate du camp conservateur à l'élection présidentielle du 19 décembre 2012 : tandis qu'elle concourait déjà comme candidate à la candidature pour la droite en 2007, Park Geun-hye avait simplement déclaré qu'elle "était désolée pour les gens qui ont perdu la vie à l'époque de son père", sans plus de précisions. Par ailleurs, comme l'a déclaré Chang Ho-gwon, la réconciliation ne peut venir qu'après la révélation de la vérité.
Alors que l'utilisation d'une arme à feu pour tuer Chang Chun-ha est désormais avérée, Chang Ho-gwon veut maintenant connaître les responsables qui ont tué son père, afin que de tels événements ne se reproduisent plus jamais.
Sources : Hankyoreh (dont photos), The Korea Times, wikipédia.