Le 24 juin 2009, le bureau du procureur du district central de Séoul a annoncé l'inculpation de Lee Kyu-jae, Lee Kyeong-won, et Choi Eun-a, respectivement président, secrétaire général et responsable de la propagande de la branche sud-coréenne de l'Alliance pan-coréenne pour la réunification (Pomminryon), arrêtés le 7 mai dernier et emprisonnés depuis. Selon l’accusation, les trois dirigeants de la Pomminryon ont violé la Loi de sécurité nationale car ils sont « entrés en contact avec des agents du Nord [...] et ont agi sur ordre de Pyongyang » en « réclamant le départ des troupes américaines de Corée et en soutenant la détention d'armes nucléaires par le Nord. » La presse conservatrice, à l'instar du Dong-A Ilbo, fait écho à ces accusations, reprochant aux « gauchistes » de la Pomminryon d'avoir exigé le retrait de la statue du général américain MacArthur du port d'Incheon et d'avoir pris la tête des manifestations contre l'extension de la base militaire américaine de Pyeongtaek, à une centaine de kilomètres au sud de Séoul.
De son côté, le ministère sud-coréen de la Réunification accuse Lee Kyu-jae, Lee Kyeong-won, et Choi Eun-a d'avoir obtenu l'autorisation de se rendre en Corée du Nord sous de faux prétextes entre novembre 2004 et novembre 2007. L'Alliance pan-coréenne pour la réunification a aussitôt tenu une conférence de presse pour réfuter ces allégations. Pour l'Alliance, « le ministère de la Réunification a approuvé les opérations menées par l'organisation en application des lois régissant les échanges intercoréens. »
Fondée en 1990 par des Coréens du Sud, du Nord et de la diaspora favorables à la réunification de leur pays, la Pomminryon regroupe environ 31 organisations progressistes, syndicats et partis. Son premier dirigeant fut le pasteur Kang Hui-nam récemment décédé. La Pomminryon est désignée depuis 1997 comme organisation « favorable à l'ennemi » par la Cour suprême de Corée du Sud, mais les milieux conservateurs sud-coréens reprochent aux administrations des présidents Kim Dae-jung (1997-2002) et Roh Moo-hyun (2002-2007) d'avoir ignoré l'opinion de la Cour suprême et aidé la Pomminryon, par exemple en autorisant ses membres à se rendre plusieurs fois au Nord.
En s'en prenant aux militants pro-réunification les plus actifs en Corée du Sud, les conservateurs semblent surtout chercher à régler des comptes avec les administrations « libérales » précédentes et la politique « du rayon de soleil » accusée d'avoir affaibli la vigilance du Sud vis-à-vis du Nord. Ainsi, un des principaux actes du rapprochement intercoréen, la Déclaration commune Nord-Sud adoptée le 15 juin 2000 à l'issue du sommet entre le dirigeant nord-coréen Kim Jong-il et le président sud-coréen Kim Dae-jung, a été attaquée avec une violence inouie par le Grand parti national (GPN) actuellement au pouvoir en Corée du Sud. Le GPN et le président sud-coréen (conservateur) Lee Myung-bak avaient pourtant jusqu'à présent affirmé soutenir la déclaration du 15 juin 2000.
Cet acharnement semble continuer même après la mort de Roh Moo-hyun. Le mercredi 24 juin à l'aube, le mémorial érigé en son honneur par les citoyens devant l'entrée du palais Deoksu, au centre de Séoul, a été détruit par des groupes de droite. Selon les volontaires chargés de surveiller l'installation, environ 80 personnes portant des tuniques noires ou des uniformes militaires ont attaqué le mémorial, renversé les brûleurs d'encens et se sont emparé du portrait du président Roh. Selon les volontaires, la police présente sur les lieux n'a rien fait pour les empêcher. « Le site du mémorial est comme un lieu sacré visité par plus d'un million de citoyens au cours des sept jours de funérailles tenus pour l'ancien président Roh », ont déclaré les volontaires après l'attaque. « Détruire les brûleurs d'encens au milieu desquels était placé le portrait du président Roh constitue distinctement une sorte de crime. »
Hasard de l'histoire, ces événements choquants sont survenus alors qu'on s'apprêtait à commémorer le soixantième anniversaire de la mort de Kim Ku, patriote coréen, héros de la lutte antijaponaise, engagé en faveur de la réunification. Kim Ku n'était pas un « gauchiste », bien au contraire.
Né en 1876 à Haeju, dans la province du Hwanghae (aujourd'hui en Corée du Nord), Kim Ku s'engagea très tôt pour la défense de la souveraineté nationale coréenne. En 1894, il fut l'un des dirigeants de la révolte paysane du Tonghak, au cours de laquelle il lança une attaque contre les soldats japonais au fort de Haeju. Après le soulèvement du 1er mars 1919, Kim Ku s'exila en Chine. Il y établit un gouvernement coréen provisoire au sein duquel il occupa divers postes jusqu'à en devenir le sixième et dernier président.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Kim Ku s'engagea aux côtés des Alliés avec son Armée de libération de la Corée. Une fois la Corée libérée, Kim Ku s'opposa à l'accord signé à Moscou en décembre 1945 par les Etats-Unis, l'URSS et la Grande-Bretagne et prévoyant une mise sous tutelle de la Corée. En avril 1948, opposé à la tenue d'élections dans la seule partie Sud, Kim Ku participa, aux côtés de Kim Il-sung, à la Conférence conjointe des représentants des partis et des organisations sociales de Corée du Nord et du Sud, convoquée à Pyongyang dans l'espoir de parvenir à un Etat coréen unifié et indépendant.
Pour cet engagement en faveur de la réunification, Kim Ku fut assassiné le 26 juin 1949 à son bureau de Séoul par le lieutenant Ahn Doo-hee agissant pour le compte de la police secrète sud-coréenne, voire, selon certains historiens, de la CIA.
Kim Ku n'était pas un homme de gauche. Ce fut même un farouche anticommuniste. Néanmoins, il sut tendre la main à ses adversaires en mettant en avant l'intérêt de la nation coréenne, ce qui permit au président Kim Il-sung d'écrire dans ses mémoires :
« Une véritable collaboration est inconcevable si l’on ne place pas les intérêts nationaux au-dessus de tout et si l’on ne s’en tient qu’à son idéologie. Par contre, il est possible de s’unir avec toutes les couches sociales en mettant au premier plan la grande cause de la libération nationale. Voilà mon attitude en la matière. C’est en partant de cette position, après la Libération, que nous avons collaboré avec M. Kim Ku qui avait lutté jusque-là, toute sa vie, contre le communisme et qu’aujourd’hui nous en appelons à la raison de tous les Coréens pour réaliser l’union nationale. L’union nationale mènera à l’isolement des forces étrangères et des traîtres à la patrie. »
(Kim Il-sung, A travers le siècle, Mémoires, T.2, Editions en langues étrangères, Pyongyang, RPDC, 1992, p.52)
N'en déplaise aux forces conservatrices actuellement à l'oeuvre en Corée du Sud, promouvoir le dialogue intercoréen et la réunification n'est donc pas une affaire de gauche. Ce n'est pas non plus une affaire de droite. C'est une question de justice et de patriotisme, deux valeurs sur lesquelles peuvent se retrouver des gens au-delà de leurs divergences.
Sources : Dong-A Ilbo, Hankyoreh, JoongAng Ilbo, Wikipedia
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