Dans son numéro d'août 2023, Le Monde Diplomatique, sous la plume du professeur Koen De Ceuster, propose de quitter les sentiers battus sur la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) pour traiter d'un sujet largement ignoré, en tout cas en Occident : l'art et le statut d'artiste en Corée du Nord. Dans son article "A la recherche de l'artiste nord-coréen", traduit de l'anglais par Elise Roy, Koen De Ceuster s'appuie sur une étude de terrain menée avec d'autres universitaires en RPDC en 2018 (et ayant donné lieu à la publication, dirigée par Valérie Gelézeau et Benjamin Joinau, de l'ouvrage Faire du terrain en Corée du Nord) - notamment la visite des ateliers Mansudae, centre majeur de création artistique du pays, où il a pu rencontrer quelques-uns des artistes nord-coréens les plus réputés, en particulier Choe Chang Ho et O Un Byol. Cet article de fond a été publié alors qu'une exposition d'art nord-coréen est organisée à Paris du 1er au 10 septembre 2023, et qu'une autre est en préparation dans le cadre des activités menées par l'Association d'amitié franco-coréenne pour faire connaître la culture de - toute - la Corée.
Koen De Ceuster souligne la formation exigeante des artistes nord-coréens qui, dans le cadre du réalisme socialiste, doivent exprimer une sensibilité où ils sont conscients de leur rôle social et politique pour toucher le public. A l'instar du professeur Patrick Maurus qui, dans le cadre d'une conférence sur la littérature nord-coréenne organisée par l'AAFC en 2012, s'était appuyé sur sa rencontre avec des écrivains pour montrer leur inscription dans la société nord-coréenne, Koen De Ceuster met l'accent sur l'expression d'une sensibilité individuelle. Celle-ci donne toute leur valeur à des oeuvres d'exception, tout en respectant des canons qui ne sont pas sans rappeler ceux de l'art académique européen jusqu'au XIXe siècle :
Chargés de contribuer à révolutionner les coeurs et les esprits - une entreprise assimilée au point culminant de toute révolution socialiste -, l'art et la culture font partie intégrante de l'appareil de propagande. Non seulement le régime ne cherche pas à le cacher, mais il s'en glorifie.
Il peut paraître surprenant qu'une conception aussi étriquée laisse tout de même une place à l'individualité de l'artiste. Mais, pour atteindre le but fixé, une oeuvre doit aussi être frappante visuellement. C'est l'apanage des artistes d'exception. Voilà pourquoi l'éducation artistique nord-coréenne repose sur un second pilier : une stricte formation classique qui apprend aux étudiants les fondamentaux du métier - géométrie, perspective, dessin au crayon, dessin d'après modèle vivant, couleur, composition -, doublée d'un enseignement plus théorique en matière d'esthétique, de philosophie et d'histoire de l'art (coréen et mondial).
L'idée est que l'artiste maîtrise les styles et techniques établis (et autorisés) afin qu'il puisse ensuite développer son expressivité personnelle - qu'il travaille en peinture à l'huile sur toile ou, plus traditionnellement, à l'encre sur papier. Se former à l'art revient à apprendre une langue, à ce ci près que, une fois une langage acquis, l'artiste doit trouver sa propre voie.
Parmi les techniques de peinture, celle au lavis à l'encre - appelée en RPDC chosonhwa - ne permet pas la correction des erreurs, à la différence de la peinture à l'huile sur toile. C'est ce genre qu'a choisi Choi Chang Ho, connu en Asie de l'Est pour ses représentations des paysages de montagne, mais dont le thème de prédilection est la représentation des ouvriers et des paysans dont il se sent si proche, et à la personnalité ainsi décrite par Koen De Ceuster :
Sa voix grave et mélodieuse, sa manière de peser soigneusement ses mots, son flegme et son mépris des convenances dans la façon de s'habiller, tout ce qui se forge sa personnalité se reflète dans ses tableaux.
Pour illustrer l'article du Monde diplomatique, le chanteur d'opéra sud-coréen Choi Sang kyun avait mis à disposition plusieurs oeuvres de sa collection, constituée au gré de ses voyages au nord de la péninsule. Il en avait fait une présentation à Paris en juillet 2023.
Une exposition de peintures et photographies nord-coréennes, dont les pièces maîtresses sont issues de la collection Choi Sang Kyun, a été inaugurée le 1er septembre 2023, en présence de M. Choi, pour une durée de dix jours. M. Choi a fait une présentation des peintures ainsi montrées. L'exposition s'inscrit dans le cadre d'un festival accueilli et organisé par Pangée ONG - Ingénierie de Paix au 56 rue Mademoiselle à Paris 15e, et comportant également chaque soir la projections de films coréens.
Carton d'invitation du vernissage de l'exposition de peintures et photographies nord-coréennes à Paris 15e, du 1er au 10 septembre 2023
Une autre exposition d'autres oeuvres de la collection Choi Sang Kyun, en plus grand nombre, est actuellement en préparation par l'AAFC, dans le centre de Paris, à proximité de Beaubourg et des galeries d'art contemporain - dont les artistes nord-coréens forment une composante certes à part, mais qui a son public de connaisseurs et d'amateurs ayant émergé dans les années 2000, et pour lesquels Koen De Ceuster observe que "leurs productions sont peut-être déconnectées des mouvements artistiques internationaux du moment, mais cela n'enlève rien à leur talent, ni à l'importance de leur art".
Principale source :
À la recherche de l'artiste nord-coréen
Dans les années 2000, des collectionneurs spéculaient sur l'ouverture du marché de l'art contemporain en Corée du Nord. Des pays africains ou asiatiques passaient commande au Mansudae Art Studi...
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