Le 28 décembre 2015 l'accord conclu entre les ministres des Affaires étrangères japonais et sud-coréen a profondément divisé l'opinion publique non seulement coréenne, mais également asiatique : dans tous les pays victimes de l'esclavage sexuel des "femmes de réconfort" organisé par l'armée japonaise avant et pendant la Seconde guerre mondiale, ce n'est pas une aumône que demandent les survivantes, mais bien des excuses des autorités japonaises au plus haut niveau où elles reconnaîtraient juridiquement leur implication dans ce crime de masse. Plus encore, des mesures doivent être prises pour que plus que jamais les femmes ne soient les victimes des guerres comme objet sexuel : sur tous ces points, l'accord conclu entre Tokyo et Séoul, en prétendant régler définitivement la question, ne résout rien et laisse béantes les plaies du passé. Des manifestations rassemblant les survivantes, à l'initiative notamment du Conseil coréen pour les femmes requises pour l'esclavage sexuel militaire du Japon, ont ainsi eu lieu en République de Corée (Corée du Sud). En France, un rassemblement s'est tenu à Paris, place du Trocadéro, à l'initiative d'étudiants coréens organisant un voyage pour la paix en Europe (France, Allemagne, Suisse, Autriche, République tchèque), du 28 décembre 2015 au 16 janvier 2016. Des rassemblements similaires auront lieu aux autres étapes de leur voyage pour affirmer haut et fort que, non, la question des femmes de réconfort n'est pas réglée par l'accord du 28 décembre 2015.
Le voyage pour la paix organisé en Europe par l'association "Papillons de l'espoir", réunissant cinquante étudiants sud-coréens, a pour but de sensibiliser aux questions liées à la paix, alors que la péninsule coréenne vit toujours à l'heure de la guerre froide qui a entraîné sa division et sa militarisation. L'exigence d'un monde de paix et de justice implique aussi que ne se reproduisent jamais les crimes du passé, et en particulier que soit réglée la question des "femmes de réconfort", euphémisme désignant les centaines de milliers d'esclaves sexuelles exploitées dans les bordels militaires japonais, il y a plus de soixante-dix ans, et dont les dernières survivantes exigent que justice soit rendue.
Dans ce contexte, le rassemblement qui s'est tenu place du Trocadéro à Paris le 1er janvier 2016, prévu de longue date avec le soutien du Conseil coréen des femmes de réconfort, a pris une importance particulière - alors que le jour même de leur arrivée en France les étudiants apprenaient la conclusion d'un accord entre les gouvernements sud-coréen et japonais. Cet accord témoigne de la volonté de la présidente sud-coréenne Mme Park Geun-hye, avec le soutien des Etats-Unis, de solder au moindre coût les crimes japonais du passé pour préparer les guerres de demain, en levant les obstacles au renforcement de l'alliance militaire entre Washington, Tokyo et Séoul.
Après un rappel du contexte politique et du contenu de cet accord par les Coréens en visite en France, des témoignages ont été donnés par des Japonais et Coréens vivant en France, des organisations pacifistes japonaises s'étant engagées de longue date, dans notre pays, pour la reconnaissance par Tokyo du crime de masse commis à l'encontre des esclaves sexuelles (lire sur le blog de l'AAFC le compte rendu de la projection du film documentaire Murmures, à l'initiative des associations Espace-Japon et Echo-Echanges, le 7 mars 2009, à l'occasion de la Journée internationale de la femme http://www.amitiefrancecoree.org/article-28590933.html).
Pour les Français, Benoît Quennedey, vice-président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) chargé des actions de coopération, a pris la parole. Il a rappelé l'engagement constant de l'AAFC pour faire connaître en France - y compris dans les milieux parlementaires - la question des femmes de réconfort en vue de sa résolution par une mobilisation internationale. Cette campagne date notamment de la visite en France en septembre 2013 d'une survivante, Mme Kim Bok-dong, dont l'AAFC avait aidé à l'organisation matérielle de la visite. Lors du récent accord du 28 décembre 2015, alors que les gouvernements occidentaux se félicitaient de ce qui constitue à leurs yeux une avancée, l'AAFC a publié immédiatement un article où elle a adopté le point de vue des victimes et de toutes celles et de tous ceux qui militent pour mettre fin à l'esclavage militaire, hier comme aujourd'hui : par ses zones d'ombre, ses omissions et l'obligation en filigrane qu'il impose aux autorités sud-coréennes de ne plus évoquer ce sujet dans les relations internationales, cette déclaration conjointe constitue un recul sans précédent du gouvernement sud-coréen, ayant soulevé une émotion légitime dans l'opinion publique sud-coréenne et asiatique - alors même que la question des femmes de réconfort originaires d'autres pays que la Corée était ainsi passée sous silence.
Une résolution du Conseil coréen des femmes de réconfort a été lue par les participants. Elle a souligné que si le Premier ministre japonais Shinzo Abe avait exprimé des excuses en disant éprouver des responsabilités, il avait passé sous silence que le crime systématique commis à l'égard des femmes de réconfort avait été initié par les autorités japonaises elles-mêmes. Par ailleurs, Shinzo Abe a fait le choix de ne pas exprimer lui-même ces excuses, mais d'en laisser le soin à un représentant du gouvernement - ce qui soulève des doutes sur la sincérité de son geste.
L'accord prévoit par ailleurs la mise en place d'une fondation, pour aider les victimes coréennes - pour un montant de 1 milliard de yen, soit 7,6 millions d'euros ou encore une minute du produit intérieur brut japonais. Mais le Japon se contentera de verser l'argent, n'étant pas impliqué dans la gestion de la fondation qui relèvera des autorités sud-coréennes. En outre, l'accord ne prévoit pas de mesures sur la recherche de la vérité historique ni sur les programmes éducatifs en histoire des deux pays - mais, ajoutons-nous à l'AAFC, doit-on s'en étonner dès lors que tant Tokyo que Séoul sont engagées dans des processus de révisionnisme historique impliquant un contrôle des manuels scolaires, pour disculper dans un cas les crimes de guerre japonais, et dans l'autre cas réhabiliter le régime militaire ultra-autoritaire de Park Chung-hee, le père de l'actuelle présidente sud-coréenne Park Geun-hye ?
La résolution du Conseil coréen des femmes de réconfort dénonce surtout vivement l'attitude des autorités sud-coréennes, l'accord prétendant régler de façon "définitive et irréversible" la question des femmes de réconfort en évitant de critiquer le Japon sur cette question dans les enceintes diplomatiques internationales - tout en s'engageant à résoudre la question de la statue érigée devant l'ambassade du Japon à Séoul par les associations sud-coréennes de défense des victimes (en d'autres termes, à la déplacer). Exigeant du Japon une reconnaissance de sa responsabilité légale, dans la continuité des demandes qu'il a exprimées notamment en 2012 lors de la douzième conférence de solidarité asiatique pour la résolution de la question de l'esclavage militaire sexuel japonais, le Conseil coréen des femmes de réconfort a conclu que "l'accord est le fruit d'une collusion d'intérêts diplomatiques qui trahit toutes nos demandes".
Au total, ce sont 300 personnes qui ont assisté, à un moment ou à un autre, au rassemblement organisé pendant une heure et demie par les étudiants coréens ce 1er janvier 2016 place du Trocadéro - leurs expressions artistiques et festives (danses, chants, mosaïque animée formant des motifs à l'aide de fragments d'images dessinées sur des cahiers), particulièrement réussies, attirant un public nombreux - malgré un vent glacial en ce jour de fête. La distribution de tracts, les jours précédents, avait aussi permis de faire venir de nombreux Coréens vivant en France.
Les participants ont été appelés à signer la pétition visant à recueillir 100 millions de signatures pour la résolution de la question de l'esclavage sexuel infligé par l'armée japonaise.
Alors que le nombre de personnes présentes a atteint un niveau sans précédent en France sur la question des femmes de réconfort, ce rassemblement n'avait, à l'heure où nous publiions cet article, pas été couvert par les médias sud-coréens en France, dans leur écrasante majoritaire conservateurs ou à capitaux publics, donc pro-gouvernementaux - contrairement aux précédentes manifestations organisées dans notre pays à l'initiative ou avec le soutien du Conseil coréen des femmes de réconfort. Visiblement, dans la Corée du Sud de Mme Park Geun-hye, toute voix discordante tendant à relayer un point de vue qui ne sert pas sa politique n'est pas bonne à faire entendre. Pour les faucons au pouvoir à Séoul, les actions du Conseil coréen des femmes de réconfort méritaient d'être médiatisées lorsqu'elles pouvaient servir leurs objectifs politiques visant à se refaire une virginité dans une opinion publique échaudée par les atteintes de plus en plus flagrantes aux droits politiques et sociaux, l'abandon des promesses électorales (notamment vis-à-vis des femmes) et la gestion scandaleuse de crises - comme le naufrage du ferry Sewol, où ont péri plus de 300 personnes, majoritairement des lycées en voyage scolaire. Le rassemblement le 19 avril 2015 à Paris, en faveur des victimes et de leurs familles, avait d'ailleurs fait l'objet d'un boycott semblable par les médias sud-coréens en France (lire sur le blog de l'AAFC http://www.amitiefrancecoree.org/2015/04/300-manifestants-a-paris-pour-exiger-la-verite-sur-le-naufrage-du-sewol.html).
Ce sera à présent aux électeurs sud-coréens de trancher quant à l'avenir de leur pays, notamment lors des élections législatives prévues le 13 avril 2016, auxquelles les Sud-Coréens vivant à l'étranger pourront participer.
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