Alors que le mandat du président sud-coréen Lee Myung-bak (Saenuri, conservateur ; non rééligible) approche de son terme, à moins de trois mois de la prochaine élection présidentielle à Séoul, il est l'heure de dresser le bilan des relations intercoréennes au cours des cinq dernières années. Le constat est celui d'un grave recul dans le dialogue et les échanges Nord-Sud, ce que déplore vivement l'Association d'amitié franco-coréenne au moment où elle commémore le cinquième anniversaire de la déclaration conjointe Nord-Sud du 4 octobre 2007 qui apparaît plus que jamais comme la seule voie raisonnable vers la réunification de la Corée.
S'il n'a jamais officiellement tourné le dos aux déclarations communes Nord-Sud du 15 juin 2000 et du 4 octobre 2007, le pouvoir conservateur du président sud-coréen Lee Myung-bak a mené une politique nord-coréenne qui a sapé un à un les acquis du dialogue intercoréen de ses prédécesseurs démocrates Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun :
- après l'interruption - seulement un an après leur lancement - des visites sud-coréennes dans l'ancienne capitale royale de Kaesong, ce fut la fin du tourisme intercoréen des monts Kumgang, après la mort malheureuse d'une touriste sud-coréenne, le Sud étant resté fermé à toutes les propositions nord-coréennes de reprise de circuits qui avaient permis à près de 2 millions de visiteurs du Sud de découvrir les magnifiques montagnes de diamant et aussi d'abandonner certains de leurs préjugés à l'encontre de leurs compatriotes du Nord ;
- fin des échanges réguliers de familles séparées de part et d'autre du 38ème parallèle, malgré des reprises ponctuelles, à l'initiative notamment de la RPD de Corée, comme en septembre 2010 ; de même, un "niet" a presque toujours été opposé par les collaborateurs du président Lee Myung-bak à la poursuite des échanges sportifs et culturels, les défilés conjoints des athlètes du Nord et du Sud lors des cérémonies d'ouverture des Jeux olympiques appartenant désormais au passé ;
- fin des livraisons d'engrais et de céréales au Nord, même les catastrophes humanitaires ayant frappé la RPD de Corée n'ayant pas conduit les autorités sud-coréennes à assouplir leurs positions ; après le dramatique bilan du passage cet été des puissants typhons Bolaven et Tembin qui ont balayé toute la péninsule, le gouvernement de Séoul a proposé, comme l'an passé, des produits ne correspondant pas aux besoins exprimés par le Nord et s'est logiquement vu opposer, comme l'an dernier, une fin de non-recevoir de ses homologues du Nord, qui demandaient des céréales et des matériaux de construction ; en réitérant une offre dont il savait d'avance qu'elle ne serait pas acceptée par le Nord, le Sud a créé délibérément les conditions d'un blocage du dialogue ;
- net ralentissement du développement de la zone économique spéciale de Kaesong, qui n'en reste pas moins la seule politique intercoréenne à avoir survécu au changement de cap décidé à Séoul ; officiellement soutenus par le président Lee Myung-bak, le raccordement des liaisons ferroviaires intercoréennes et la poursuite des gazoducs sibériens jusqu'au Sud de la péninsule n'auront en réalité marqué aucun progrès en plus de quatre ans.
- parallèlement à la répression qui s'est abattue sur les militants sud-coréens pro-réunification (et qui n'a pas épargné l'AAFC, objet d'une surveillance policière accrue et de manoeuvres des services secrets sud-coréens en France), l'armée sud-coréenne a injustement accusé la République populaire démocratique de Corée du dramatique naufrage du Cheonan, ayant conduit à la mort de 46 marins sud-coréens, en l'utilisant comme prétexte à une cessation des échanges économiques et humains et à un renforcement des exercices militaires conjoints avec les Etats-Unis, ce qui fait peser un climat de confrontation dans la péninsule coréenne et en Asie du Nord-Est.
L'administration Lee Myung-bak a invoqué la poursuite du programme d'autodéfense nord-coréen, notamment l'essai nucléaire du 25 mai 2009, pour imposer toute une batterie de sanctions et être à l'initiative de mesures répressives du Conseil de sécurité des Nations Unies vis-à-vis de la RPD de Corée. Mais il s'agit de prétextes fort opportunément utilisés, quand au contraire l'essai nucléaire nord-coréen d'octobre 2006 n'avait pas empêché, un an plus tard, la seconde rencontre intercoréenne au sommet, entre le Dirigeant Kim Jong-il et le Président Roh Moo-hyun. Si les anciennes administrations démocrates sud-coréennes tenaient compte des inévitables avancées et reculs dans le dialogue intercoréen pour faire progresser les échanges sur le long terme, les conservateurs au pouvoir depuis février 2008 ont suivi une ligne exactement inverse : en mettant en avant les tensions intercoréennes (dont ils sont parfois eux-mêmes directement à l'origine, comme dans le cas du Cheonan), et en minimisant systématiquement les avancées du Nord pour rejeter les occasions de reprise du dialogue, les autorités sud-coréennes ont mené consciemment une politique de déconstruction de la relation Nord-Sud.
En décidant d'organiser une réunion d'urgence des ministres chargés des affaires étrangères et de la sécurité le 26 septembre 2012, au lendemain d'une session de l'Assemblée populaire suprême de la RPD de Corée essentiellement consacrée à l'allongement de la durée obligatoire de scolarisation, le président Lee Myung-bak s'est inscrit dans une politique constante consistant à faire souffler le vent du Nord, en accréditant l'idée d'une menace venant de la RPDC, pour favoriser son camp à l'approche de chaque échéance électorale.
Au moment où des navires sud-coréens ont tiré sur des bateaux de pêche nord-coréens qui se seraient selon eux aventurés dans les eaux territoriales de la République de Corée, le département politique de la Commission de la défense nationale de la RPD de Corée a au contraire dénoncé l'intrusion répétée de la flotte du Sud dans les eaux territoriales nord-coréennes. Ces incidents, qui n'ont heureusement fait aucune victime, sont symptomatiques du climat du défiance qui s'est instauré entre les deux gouvernements coréens, à contre-courant de la déclaration du 4 octobre 2007 qui avait montré la voie à suivre en proposant l'instauration d'une zone de paix et de pêche conjointe dans les eaux disputées, alors que la ligne de limite Nord (Northern Limit Line, NLL) en mer de l'Ouest a été tracée unilatéralement par les Etats-Unis à la fin de la guerre de Corée. La candidate conservatrice à l'élection présidentielle de décembre, Mme Park Geun-hye, en parlant de l'application de la déclaration du 4 octobre 2007 dans le respect de la NLL, poursuit la ligne de l'administration Lee Myung-bak dans les relations intercoréennes, alternant faux appels au dialogue et vraies mesures de confrontation.
Le président Lee Myung-bak prétendait que seule la fermeté permettrait de faire prévaloir les intérêts du Sud dans les relations intercoréennes. Aujourd'hui, la péninsule est au contraire une zone de dangers accrus. Le renforcement de la défense sud-coréenne qui en a résulté a détourné des ressources qui auraient été mieux utilisées à l'amélioration de l'économie et du niveau de vie au Sud, dans un contexte de crise mondiale. Enfin, la politique délibérée de l'administration Lee Myung-bak d'étranglement économique de la RPD de Corée - en coupant les circuits d'échanges, à l'exception notable de Kaesong, sans doute car elle entraînerait la faillite des dizaines de PME sud-coréennes présentes au Nord de la DMZ - a créé une situation préjudiciable à la prospérité de tous les Coréens, qu'ils soient du Nord ou du Sud, tout en renvoyant à une échéance encore plus lointaine la convergence des deux économies. Cette convergence est pourtant l'une des conditions nécessaires à une réunification de la Corée dans les meilleures conditions possibles.
L'échec de la politique nord-coréenne du président Lee Myung-bak a apporté la preuve, par la négative, que la politique du rayon de soleil conduite entre 1998 et 2008 était la seule viable dans les relations Nord-Sud.
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