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7 décembre 2012 5 07 /12 /décembre /2012 21:47

cheonan epave rtbfEn mars 2010, le dramatique naufrage du navire sud-coréen Cheonan, à l'origine de la mort de 46 marins, avait été attribué à la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) par une commission d'enquête internationale exclusivement constituée de représentants des Etats-Unis, de la Corée du Sud et de leurs alliés. Alors que la RPDC a farouchement nié toute implication dans cette affaire, les médias sud-coréens indépendants ont montré les nombreuses lacunes de l'enquête officielle. Les preuves scientifiques ont également été apportées de la vraisemblance d'un accident imputable aux seules forces armées américaines et sud-coréennes. Pour empêcher que la réalité ne se traduise par un fiasco pour les conservateurs au pouvoir à Séoul, les services secrets sud-coréens n'ont eu depuis de cesse de multiplier les opérations de manipulation de l'opinion publique. La dernière en date est particulièrement éclairante : elle prétend que les marins nord-coréens à l'origine du naufrage auraient été décorés. Mais tout sonne faux dans ce nouveau mensonge dont l'Association d'amitié franco-coréenne décrypte les ficelles très grossières pour toute personne un peu familière des méthodes d'espionnage contemporaines. Au demeurant, l'objectif de cette énième opération de désinformation est clair : à douze jours de l'élection présidentielle sud-coréenne du 19 décembre 2012, où l'avance de quelques points dans les sondages de la candidate de droite Park Geun-hye n'est pas suffisante pour garantir le maintien au pouvoir des conservateurs, l'appareil de sécurité sud-coréen fait souffler "le vent du Nord" dans les voiles de sa favorite, sur fond de manipulations et d'intoxications dont les campagnes électorales sud-coréennes sont hélas coutumières.

 

Dans une dépêche en date du 7 décembre 2012, l'agence publique sud-coréenne Yonhap, dont les positions relaient celles du pouvoir conservateur - à l'instar de l'ORTF naguère en France - l'affirme sans ambages : "les officiers de la marine nord-coréens responsables du naufrage meurtrier du navire de guerre sud-coréen Cheonan en 2010 ont été décorés, a affirmé ce vendredi un transfuge".

 

Tout d'abord, le nom du précieux transfuge n'est pas révélé : peut-être n'existe-t-il tout simplement pas. Appelons-le M. X. (même si l'agence Yonhap préfère l'appeler Ahn Cheol-nam, cela sonne plus vrai et en plus, son nom évoque furieusement celui du populaire Ahn Cheol-su, dont la droite sud-coréenne essaie de récupérer les voix à l'approche de l'élection présidentielle, après son retrait en faveur du candidat de centre-gauche Moon Jae-in).

 

On ne sait même pas où M. X. a fait ses révélations. Selon Yonhap, ce serait "lors d'un événement organisé par le Forum pour la paix en Corée". Y avait-il d'autres personnes participant à ce forum dont on connaîtrait l'identité ? Bien sûr que non, car dans ce cas l'identité de M. X. ne serait plus secrète ! Il s'agissait donc d'un forum secret, avec de mystérieux participants fantômes... En tout cas, l'idée d'un "Forum" est excellente (avec un "F" majuscule, il s'agissait d'un événement majeur, assurément... Quel dommage qu'on ne puisse pas savoir précisément quand ni où "l'évènement" de ce forum a eu lieu...).  

 

Mais peut-être M. X. détient-il des preuves matérielles de ce qu'il avance ? Là encore, nous n'avons pas de chance : il faut se référer à un contact de M. X (dont nous sommes heureux d'apprendre  par ce fait que, même au Sud, il dispose encore de tels contacts) : selon M. X, "l'un de mes contacts a affirmé que son gendre était l'ingénieur en chef du sous-marin responsable de l'attaque contre le Cheonan". Le mystérieux gendre serait d'autant mieux informé que, d'après Yonhap "le gendre, dont l’identité n’a pas été dévoilée, a été promu commandant en second et a reçu le titre de héros de la RPDC après le naufrage, selon Ahn". La boucle est bouclée : au nom de la protection des sources (et, quelle heureuse coïncidence, de la famille du contact), on ne peut rien savoir, ni rien vérifier.

 

1 beon number 1Doit-on ajouter qu'on ne trouve aucune trace - ni dans les médias nord-coréens, ni même dans les médias sud-coréens - que des marins nord-coréens auraient été promus héros de la RPDC après le naufrage? Seulement des rumeurs, complaisamment entretenues par la presse sud-coréenne de droite, qu'il y aurait eu de telles promotions, sans le début d'un commencement de preuve matérielle. Au demeurant, pour le naufrage du Cheonan, les pièces à conviction ont été fabriquées : la torpille nord-coréenne repêchée, quel heureux hasard, quelques semaines avant la conclusion officielle de "l'enquête" (qui cherchait alors désespérement un élément de preuve matérielle à exhiber) portait une inscription utilisant une graphie peu ou pas utilisée au Nord de la péninsule, et qui aurait dû disparaître sous l'effet de la chaleur de l'explosion. Par ailleurs, les éléments marins attachés à ladite torpille prouvaient qu'elle avait été immergée des mois avant la date du naufrage, apportant la preuve irréfutable qu'elle rouillait au fond de la mer bien longtemps avant le naufrage...

 

A défaut de preuves matérielles, il faudra donc se contenter des déclarations du mystérieux M. X., du gendre inconnu de M. X. et de ses contacts improbables au Nord de la péninsule.

 

Pour donner une apparence de crédibilité à ces pseudo-révélations diffusées complaisamment à douze jours de l'élection présidentielle sud-coréenne, des détails sont inventés : auraient été décorés "le capitaine, son adjoint, le chef mécanicien et le maître d'équipage du sous-marin" nord-coréen (et pas l'ingénieur en chef, le mystérieux gendre de M. X ? Il y a décidément des contradictions ou, tout au moins, des zones d'ombre dans les déclarations de M. X). Faut-il préciser qu'aucune preuve matérielle de la présence d'un sous-marin nord-coréen, au moment et sur les lieux de l'incident, n'a pu être produite par la pseudo-enquête officielle américano - sud-coréenne ?

 

De même, les décorations dateraient d'octobre 2010, soit dans le mois ayant précédé une attaque meurtrière sur l'île de Yeonpyeong, et pour laquelle il est indéniable qu'il y a eu des échanges de tirs de chaque côté, Nord comme Sud. Dans la fabrication des faux en renseignement, ce genre de procédé est habituel : les éléments inventés doivent s'inscrire dans un récit vraisemblable pour celui qui l'entendra. Seul problème : il n'a jamais été prouvé à aucun moment que les affrontements autour de l'île Yeonpyeong aient été prémédités par le Nord, bien au contraire.

 

Enfin, la nouvelle de ces révélations est bien tardive. Pourtant, M. X. est censé "a[voir] travaillé pour le gouvernement nord-coréen, a[voir] fait défection au Sud à la fin de l'année dernière". Depuis fin 2011, M. X. a donc mis bien du temps a retrouver la mémoire ou plutôt - si on croit ses révélations embrouillées - à renouer avec un contact sur une affaire vieille de deux ans (octobre 2010, selon ses dires). M. X. est décidément un cas exceptionnel et, pour tout dire, extraordinaire : c'est le seul officiel nord-coréen ayant fait défection au Sud et qui est mieux informé quand il vit en Corée du Sud que quand il travaillait pour le gouvernement nord-coréen !

 

Arrêtons-là l'ironie : l'agence Yonhap s'est prêtée à une misérable mise en scène des services sud-coréens et de la droite, affolée par la possibilité de perdre le pouvoir et ,sans doute aussi, par l'idée que la vérité émerge enfin, en cas d'alternance, sur le naufrage du Cheonan. M. X. n'existe évidemment pas, pas plus que le gendre de M. X., et l'événement du Forum où les révélations auraient été faites ne s'est jamais tenu. De tels mensonges ne servent pas la cause de la démocratie sud-coréenne, quand une grande agence de presse comme Yonhap abandonne tout esprit critique pour relayer la propagande du gouvernement sortant, qui la contrôle.

 

Sources : AAFC, Yonhap.

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