Selon un rapport des Nations unies réalisé en 2017 mais non publié à ce jour, ayant fuité dans les médias (le New York Times a publié un article à ce sujet le 27 février 2018, et des extraits ont aussi pu être lus par des membres de l'agence américaine Associated Press), la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) aurait coopéré avec la Syrie pour la production d'armes chimiques, dans le cadre de 40 livraisons par voie maritime entre la RPDC et la Syrie entre 2012 et 2017, via des sociétés-écrans. Ces échanges porteraient plus précisément sur des composants potentiels d'armes balistiques et chimiques : le rapport évoque "le transfert en Syrie de valves de résistances spéciales et de thermomètres connus pour être utilisés dans des programmes d'armements chimiques", ainsi que de céramiques résistant à l'acide et supposées avoir été utilisées pour des usines d'armes chimiques. Ces opérations auraient échappé aux services de renseignement américains. Elles ont été dénoncés comme une violation de l'embargo sur les armes à destination de la Syrie.
Toujours selon le rapport non publié auquel ont eu accès les médias américains précités, des techniciens nord-coréens travailleraient également sur des sites d'armes chimiques et de pièces pour missiles. Le gouvernement syrien a démenti, en déclarant qu'il n'y avait pas sur son territoire de telles sociétés nord-coréennes et que les seuls Nord-Coréens présents travaillaient dans le domaine de la coopération sportive, pour l'entraînement d'athlètes et de gymnastes.
Le gouvernement russe a mis en cause les méthodes selon lui insuffisamment rigoureuses des équipes des Nations unies en charge de ce dossier.
La nouvelle est intervenue à un moment critique, deux jours après de nouvelles accusations d'utilisation d'armes chimiques par les forces syriennes dans la Ghouta orientale. En outre, l'information conforte la politique nord-coréenne de Washington, alors que les Etats-Unis entendent renforcer les sanctions contre la Corée du Nord (ils ont d'ailleurs adopté des sanctions unilatérales qualifiées de "sans précédent", visant également d'autres pays, dont la Chine), en dépit de la trêve olympique (qui n'est d'ailleurs pas achevée, les Jeux paralympiques commençant dans quelques jours). Cette trêve a donné lieu à un spectaculaire rapprochement intercoréen, vécu à contre-coeur par l'administration Trump.
La question des armes chimiques en Syrie est particulièrement sensible : la Syrie, qui a rejoint la Convention sur l'interdiction des armes chimiques en 2013, a toujours nié avoir utilisé des armes chimiques (malgré des accusations d'utilisation dans la Ghouta orientale, avant que la Syrie ne rejoigne la Convention sur l'interdiction des armes chimiques). En janvier 2016 l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) a déclaré que le stock syrien d'armes chimiques avait été supprimé. Cependant, des accusations continuent d'être portées contre Damas sur l'utilisation d'armes chimiques, qui se serait poursuivie après 2013. Le 14 février 2018, le président français Emmanuel Macron avait affirmé que toute utilisation d'armes chimiques entraînerait une riposte contre le gouvernement syrien, mais qu'il fallait des preuves incontestables sur l'utilisation avérée d'armes chimiques prohibées contre les populations civiles. Les Etats-Unis avaient, quant à eux, décidé dès avril 2017 le lancement de 59 missiles de croisière contre la base syrienne à l'origine de l'attaque de Khan Cheikhoun, qui avait selon eux impliqué l'utilisation d'armes chimiques par les forces gouvernementales syriennes.
Le 1er mars 2018, l'agence officielle nord-coréenne KCNA a publié un démenti sur la coopération avec Damas en matière d'armes chimiques émanant du directeur de la presse de l'Institut pour les études américaines du ministère des Affaires étrangères de la RPD de Corée. Dans cette déclaration, Pyongyang a affirmé être opposé non seulement à la production et à la détention d'armes chimiques, mais à leur principe même - tout en dénonçant les Etats-Unis, principal producteur d'armes dans le monde (et ayant utilisé des armes chimiques - dont le napalm - et bactériologiques à grande échelle pendant la guerre de Corée), pour avoir monté de toutes pièces un dossier d'accusation servant leur politique belliciste à l'égard de la Corée du Nord. La RPDC est signataire de l'accord de Genève qui interdit l'utilisation d'armes chimiques en cas de guerre. En revanche, à l'instar de l'Egypte, du Soudan du Sud et d'Israël (qui a signé le traité mais ne l'a pas ratifié), la RPDC n'a pas rejoint la Convention sur l'interdiction des armes chimiques, qui vise à interdire les armes chimiques et à détruire les arsenaux existants, dans le cadre de vérifications menées sous l'égide de l'OIAC.
Nous publions ci-après une dépêche de l'agence Reuters, que nous avons traduite de l'anglais, qui resitue les lourds enjeux que comporte cette question : production ou non d'armes chimiques tendant à corroborer la thèse de leur utilisation, pouvant servir de justification à une intervention américaine, éventuellement dans le cadre d'une coalition ; rôle ou pas de la Corée du Nord permettant d'accroître les sanctions contre elle, comme le souhaite Washington qui ferait ainsi d'une pierre deux coups, en visant à la fois Damas et Pyongyang.
Médias d'Etat : la Corée du Nord nie un lien avec la Syrie pour la production d'armes chimiques"
Séoul (Reuters) - Selon des comptes rendus des médias d'Etat de jeudi dernier, la Corée du Nord a rejeté les rapports selon lesquels elle a coopéré avec la Syrie pour la production d'armes chimiques, les rejetant comme une fabrication des Etats-Unis pour accroître la pression sur elle.
L'agence publique KCNA a cité un porte-parole de l'institut de recherches sur les études américaines du ministère des Affaires étrangères : selon lui, l'argument des Etats-Unis selon lequel la RPDC a aidé la Syrie à produire des armes chimiques "n'a pas de sens".
Selon le porte-parole cité par KCNA, "comme nous l'avons clairement dit à plusieurs reprises, notre République ne développe, ne produit ni ne stocke des armes chimiques et est opposée aux armes chimiques elles-mêmes."
Robert Wood, ambassadeur américain à la Conférence du désarmement, a déclaré mercredi qu'il y avait historiquement une relation entre les deux pays en matière de missiles et de composants d'armes chimiques.
Deux cargaisons nord-coréennes à une agence gouvernementale syrienne en charge du programme d'armes chimiques du pays ont été interceptées ces six derniers mois, selon un rapport confidentiel des Nations unies sur les violations des sanctions contre la Corée du Nord.
La Corée du Nord est placée sous un régime de sanctions des Nations unies depuis 2006 à propos de ses programmes balistiques et nucléaires, et le Conseil de sécurité a accru les mesures en réponse à six essais nucléaires et à plusieurs lancements de missiles de longue portée.
Selon des sources diplomatiques ayant informé Reuters, le groupe de surveillance mondial des armes chimiques basé à La Haye a ouvert une enquête dimanche sur les attaques dans la région de Ghouta orientale, tenue par les rebelles et assiégée, pour déterminer si des armes interdites ont été utilisées.
La Syrie a signé la convention internationale d'interdiction des armes chimiques en 2014, comme partie d'un accord négocié par Moscou pour éviter les attaques américaines aériennes, intervenues comme mesure de rétorsion à une attaque utilisant un gaz neurotoxique ayant tué des centaines de personnes, pour laquelle Washington a accusé Damas. Dans les années qui ont suivi, les réserves déclarées de gaz mortels interdits de la Syrie ont été détruites suivant une surveillance internationale.
Reportage de Ju-min Park, publication par Alistair Bell
commenter cet article …