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4 mars 2018 7 04 /03 /mars /2018 19:41

En janvier 2018, l'équipe de rédaction de Nord-Sud XXI - ONG de défense des droits de l'homme ayant statut consultatif auprès des Nations unies, et qui a été présidée par l'ancien président algérien Ahmed Ben Bella jusqu'à sa disparition le 11 avril 2012 - a publié un numéro de sa revue Un autre monde / Another world. Sous le nom "Réconciliation(s) ?", ce numéro a examiné notamment plusieurs situations de réconciliation nationale (Afrique du Sud, Libye, Palestine, Côte-d'Ivoire, Corée...). L'article consacré à la Corée, intitulé "Corée : la réconciliation souhaitable, la réunification nécessaire" avait été rédigé par Benoît Quennedey, président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) en novembre 2017, avant le rapprochement Nord-Sud à l'occasion des Jeux olympiques de Pyeongchang. Nous le reproduisons ci-après, avec l'autorisation de l'équipe de rédaction de Nord-Sud XXI. 

"Corée : la réconciliation souhaitable, la réunification nécessaire"

Corée : la réconciliation souhaitable, la réunification nécessaire

Pays de près de 80 millions d'habitants (l'équivalent de l'Allemagne), dont la superficie est inférieure de plus de moitié à celle de la France, la Corée a été un Etat unifié pendant au moins dix siècles de son histoire, avant d'être divisée au sortir de la Deuxième guerre mondiale, après 35 années d'une féroce colonisation japonaise (1910-1945). Au Sud du 38e parallèle, où se sont déployées les troupes américaines depuis septembre 1945, la République de Corée (Corée du Sud) a été fondée le 15 août 1948, à l'issue d'élections séparées, boycottées par de nombreuses forces politiques car s'étant tenues dans la seule moitié Sud du pays. En conséquence de cette initiative prise par des forces politiques au Sud ayant conduit à inscrire en droit une division alors de fait, la République populaire démocratique de Corée a été fondée le 9 septembre 1948 au Nord du 38e parallèle, où se trouvaient depuis 1945 des troupes soviétiques. La guerre de Corée, guerre civile internationalisée qui a causé près de 3 millions de morts entre juin 1950 et juillet 1953, a ensuite entériné la division du pays autour de la ligne de front, à proximité du 38e parallèle, se concluant par un simple accord d'armistice, et non un traité de paix qui devrait créer les conditions nécessaires pour empêcher les affrontements sporadiques qui ont continué d'endeuiller, de part et d'autre du 38e parallèle, la péninsule coréenne depuis plus de six décennies. Malgré la fin de la guerre froide, la réunification de la Corée semble difficilement réalisable dans un horizon proche : les 51 millions de Sud-Coréens et les 26 millions de Nord-Coréens ne peuvent toujours pas communiquer entre eux d'une manière ou d'une autre (courrier, téléphone, mél...), les échanges économiques et humains sont redevenus quasiment nuls après une courte décennie de présidences conservatrices à Séoul (2008-2017) et les tensions diplomatiques et militaires ont atteint un point paroxysmique à partir de l'été 2017. Cette escalade doit être resituée dans le contexte d'une volonté américaine de maintenir son hégémonie dans la région Asie-Pacifique, 28 500 GIs restant stationnés en permanence en Corée du Sud, théâtre, plusieurs fois par an, des plus grandes manœuvres militaires au monde en temps de paix. Pourtant, les raisons demeurent d'espérer une réconciliation et d'entrevoir, à terme, une réunification désirée ardemment par tous les Coréens, du Nord, du Sud et d'outre-mer.

 

La Corée est à la mode dans les médias, ou plus exactement la Corée du Nord, objet de tous les fantasmes et sujet privilégié de fausses nouvelles (fake news) : le pays prétendument le plus fermé au monde est nimbé d'un halo de mystère. Pour nous y être rendu à sept reprises entre août 2005 et août 2017, nous pouvons cependant témoigner que Pyongyang n'est en rien une destination inaccessible, et que celui qui veut voir la réalité nord-coréenne par lui-même en a la possibilité : des agences de voyage se sont spécialisées dans les visites du pays, qui est demandeur de coopérations dans tous les domaines (politiques, économiques, sociaux, universitaires, culturels, sportifs...). Depuis sa création en 1969, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) a d'ailleurs organisé à de multiples reprises des déplacements de délégations de Français en Corée du Nord et de Nord-Coréens en France, notamment l'accueil d'une troupe de jeunes artistes handicapés en février 2015 et d'une délégation du Comité coréen des relations culturelles avec les pays étrangers à Paris, les 23 et 24 juin 2017, dans le cadre d'une conférence internationale pour la paix et la réunification en Corée.

 

Si la Corée – et singulièrement la Corée du Nord – est réputée si méconnue, c'est d'abord par paresse intellectuelle ou désintérêt volontaire, notamment de la part des médias institutionnels qui façonnent l'opinion publique : une des myopies les plus fréquentes provient ainsi du refus de voir que la Corée du Nord est d'abord et avant tout coréenne, étant dépositaire d'une culture plurimillénaire propre à toute la péninsule, renforcée par une homogénéité ethnique.

 

Les Coréens du Nord et du Sud partagent une langue commune et (je l'ai constaté personnellement) s'intercomprennent, en dépit de différentes linguistiques mineures de prononciation et de vocabulaire, qu'on peut retrouver dans d'autres contextes (par exemple, si l'on compare le français parlé en France, en Suisse et au Québec). Les Coréens partagent la même histoire et les mêmes mythes fondateurs. Leurs attitudes culturelles au quotidien restent profondément marquées par l'empreinte confucéenne, laquelle respecte notamment l'autorité et les plus anciens. La vénération des dirigeants au Nord, qui semble si exotique aux Occidentaux, fait écho au culte des fondateurs des grands groupes sud-coréens (qui se perpétue elle aussi de génération en génération) ou encore à la statue géante, érigée dans sa ville natale, du général Park Chung-hee, ayant gouverné la Corée du Sud d'une main de fer (les opposants sont morts, au bas mot, par milliers) entre 1962 et 1979.

 

En opposant à l'envi et de manière forcée les deux Etats coréens, les médias institutionnels campent l'image d'une division prétendument indépassable entre deux Etats qui seraient devenus étrangers l'un à l'autre. Ils évacuent ainsi de facto la possibilité même d'une réconciliation ouvrant la voie, à terme, à une réunification, qui est pourtant l'une des dominantes du discours politique, tant à Séoul qu'à Pyongyang – même si les modalités d'un tel processus ne sont évidemment pas identiques (y compris entre les différentes forces politiques au Sud) et qu'il s'agit de « deux rêves dans un même lit », pour reprendre une expression coréenne.

 

Déplorant les uns et les autres une division nationale qui leur a été imposée par les grandes puissances en 1945, les Coréens se considèrent pleinement comme partie prenante du monde non occidental. Soutien actif des mouvements de décolonisation (hier en Algérie ou au Zimbabwe, aujourd'hui encore en Palestine) et de résistance à l'impérialisme américain (comme en Syrie et au Vénézuela), le Nord a été un modèle de développement économique socialiste après 1953, affichant alors les taux de croissance économique les plus élevés au monde, et l'un des moteurs du mouvement des non-alignés. Pour sa part, tout en cherchant une reconnaissance internationale (marquée entre autres par l'organisation des Jeux olympiques de Séoul en 1988), le Sud a aussi augmenté de manière visible son aide publique au développement, conjuguée à la volonté de faire connaître aux pays récipiendaires d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine le « miracle économique du fleuve Han » (du nom du fleuve qui traverse Séoul), ayant fait de l'un des pays les plus pauvres au monde en 1960, dépourvu de ressources minières, un des quatre « dragons asiatiques » puis une économie nationale d'une taille aujourd'hui comparable à celles de la France et de l'Italie. Ces deux images méritent certes des nuances et peuvent donner lieu à des objections : ainsi, l'économie nord-coréenne s'est effondrée entre 1990 et 1999, sous l'effet conjugué de la disparition de l'URSS et des démocraties populaires, d'erreurs de gestion, de catastrophes naturelles et d'un embargo aujourd'hui sans équivalent au monde ; l'économie sud-coréenne a connu un développement spectaculaire grâce à des injections massives de capitaux américains et japonais, et l'exploitation (ainsi que l'oppression) des travailleurs y ont été les plus fortes du monde industrialisé. Il n'en demeure pas moins que les Coréens, au Nord comme au Sud, partagent une même éthique (pour reprendre une analyse et des termes propres à Max Weber), ancrée dans des valeurs culturelles antérieures à la division, où l'importance cardinale de l'éducation et l'accent mis sur l'innovation sont quelques-uns des moteurs du développement économique et industriel. Les vicissitudes de l'histoire nationale ont aussi engendré un puissant sentiment patriotique dans un pays victime de la colonisation, la réunification étant largement considérée comme le point d'achèvement nécessaire d'un processus, sinon de libération, du moins de construction nationale.

 

Après une phase d'opposition radicale (chacun des deux Etats prétendant alors représenter toute la péninsule coréenne), Nord et Sud-Coréens ont ensuite adopté des déclarations communes et mis en place, progressivement et suivant un processus non uniforme où des reculs ont succédé à des avancées, des instruments d'échanges intercoréens dans les différentes domaines. Après le communiqué conjoint Nord-Sud du 4 juillet 1972, définissant les principes d'une coexistence pacifique et de coopérations en vue de parvenir à une réunification graduelle du pays par les Coréens eux-mêmes, sans ingérence extérieure, les deux Etats sont entrés simultanément aux Nations unies en septembre 1991 et deux rencontres au sommet ont eu lieu à Pyongyang, donnant lieu à des déclarations conjointes.

 

En juin 2000, le dirigeant nord-coréen Kim Jong Il a accueilli au Nord le président sud-coréen Kim Dae-jung, ancien opposant politique qui avait été condamné à mort par la junte militaire, et dont l'élection, en 1997, avait marqué la première alternance politique démocratique en Corée du Sud. En octobre 2007, c'est à nouveau le dirigeant nord-coréen Kim Jong Il qui a reçu à Pyongyang le président sud-coréen Roh Moo-hyun. La mise en cause des conditions du dialogue intercoréen par les présidents conservateurs sud-coréens, et la dégradation des relations internationales avec la poursuite de la constitution d'une capacité de dissuasion nucléaire autonome par Pyongyang, ont ensuite ruiné un à un les acquis du dialogue intercoréen. Outre la fin des réunions de familles séparées par la division, la mesure la plus spectaculaire a été la fermeture en février 2016 du parc industriel de Kaesong, au Nord de la péninsule, où quelque 60 000 ouvriers nord-coréens travaillaient dans plus de 120 PME sud-coréennes. De nouvelles perspectives de reprise des échanges sont ouvertes par l'élection à Séoul en mai 2017 d'un nouveau président démocrate, Moon Jae-in. Son arrivée au pouvoir a fait suite à la destitution, puis à l'emprisonnement, de sa prédécesseur, la conservatrice Mme Park Geun-hye, sur fond de scandale de corruption et de dérive autoritaire des institutions sud-coréennes ayant entraîné des manifestations ininterrompues de millions de Coréens pour exiger – et obtenir – le départ du pouvoir de la fille de l'ancien général Park Chung-hee.

 

Si le contexte actuel d'escalade entre les Présidents Kim Jong Un et Donald Trump n'avait, en novembre 2017, jusqu'alors laissé aucun espace à une reprise des échanges intercoréens qui devrait résulter d'une diminution des tensions diplomatiques et militaires, plusieurs obstacles s'opposent à une reprise du dialogue Nord-Sud, tel qu'il a existé jusqu'en 2008 :

- la subordination diplomatique et militaire de la Corée du Sud aux intérêts stratégiques américains, alors même que sur les sujets de contentieux nippo-sud-coréens, les Etats-Unis ont toujours privilégié les Japonais ;

- l'existence d'un puissant lobby (politique, militaire, religieux) néoconservateur anti-Corée du Nord en Corée du Sud, appuyé par des services de renseignement tentaculaires et jamais réellement démocratisés, qui veut accélérer un hypothétique effondrement de la Corée du Nord prédit, vainement, depuis un quart de siècle ;

- une difficulté des progressistes sud-coréens à envisager les rapports avec le Nord en dehors des schémas binaires du soutien ou de l'opposition au système politique et social nord-coréen, dans une société travaillée par un puissant anticommunisme où la loi de sécurité nationale punit toujours tout contact entre Nord et Sud-Coréens non autorisé préalablement par le gouvernement.

 

Notre conviction est que la réunification de la Corée, en tant qu'horizon indépassable, traduit un sentiment politique profondément ancré dans la culture nationale, et a ainsi vocation à donner lieu, tôt ou tard, à de nouvelles politiques d'échanges économiques, humains, sociaux et culturels entre le Nord et le Sud. Une plus grande incertitude porte sur le processus de réunification lui-même, alors que les exemples historiques sont rares et ne peuvent en aucun cas être calqués tels quels sur le contexte coréen :

 

- à l'issue d'une guerre civile internationalisée (dans le cas du Vietnam),
- dans le cadre d'une absorption d'un Etat (la RDA) par un autre (la RFA),
à la suite d'une concertation ayant finalement échoué (le Yémen, les anciens dirigeants sud-yéménites ayant finalement dénoncé les conditions de la réunification),
​​​​​​​- après des discussions impliquant une puissance tierce (le Royaume-Uni) dans une organisation politique se rapprochant d'un système fédéral (la Chine et Hong Kong, étant entendu cependant que Hong Kong était plus de 200 fois moins peuplé que la Chine et qu'il s'agissait plutôt de solder un héritage de la colonisation que de mener un processus de réunification).

 

En définitive, ce sera bien aux Coréens eux-mêmes de définir les modalité de leur coopération pour progresser vers la réunification, comme le principe en avait été posé dès 1972.

 

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