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28 mai 2017 7 28 /05 /mai /2017 15:08

En 1958, un groupe d'intellectuels français (dont faisait notamment partie Francis Lemarque, futur membre fondateur de l'AAFC), qui s'étaient opposés à la guerre de Corée, se rend en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) : plusieurs œuvres rendront compte de leur expérience, notamment Coréennes de Chris Marker et le film franco-nord-coréen Moranbong de Jean-Claude Bonnardot, sur un scénario d'Armand Gatti. Dans le groupe, le réalisateur Claude Lanzmann, auteur de Shoah, avait déjà raconté une brève d'histoire d'amour, platonique, avec une infirmière nord-coréenne, Kim Kum-sun, dans son livre Le lièvre de Patagonie. Près de 60 ans plus tard, il en a fait un film de cent quarante minutes, Napalm, présenté en sélection officielle au festival de Cannes.

Quand on parle de la Corée du Nord il y a des figures imposées (le triptyque « famine – dictature – armées nucléaires »). Pour avoir refusé de s'y soumettre dans son film Napalm, Claude Lanzmann s'est naturellement attiré les foudres d'une bonne partie de la critique qui, au mieux, a décrit comme un OVNI ce que le réalisateur refuse de classer dans la catégorie des documentaires. Pourtant, la confession intime qu'il livre est passionnante à plus d'un titre. Elle émane d'un homme qui, pas plus en 1958 qu'aujourd'hui (ses remarques sur les guides ou la nourriture suffisent amplement à le prouver), n'idéalise ni même ne défend la RPD de Corée - les compagnons de voyage de Claude Lanzmann lui ont fortement reproché, en 1958, d'adopter un regard systématiquement critique, mais il pouvait en tout cas faire valoir une activité de résistant qui a forcément résonné pour les Nord-Coréens, la RPDC tirant sa légitimité de la résistance à l'occupation japonaise). Ainsi elle permet de comprendre les évolutions dans la relation que la Corée du Nord a entretenue avec l'Occident et surtout d'offrir un témoignage dépouillé de toute considération lourdement politique.

 

Pourtant, le premier voyage de Claude Lanzmann en 1958 était éminemment politique. À cette date, le Parti communiste français est la plus grande force politique française - le général de Gaulle, qui allait instaurer peu après la Cinquième République, ayant d'ailleurs estimé a posteriori que, sans les événements du printemps 1958, les communistes auraient probablement pris la tête du gouvernement français. Avec le Mouvement de la paix, le Parti s'est engagé résolument dans les manifestations (interdites) contre la guerre de Corée, qui ont fait deux morts à Paris, tombés près de la place de Stalingrad. La délégation d'intellectuels dont fait partie Claude Lanzmann est reçue avec honneurs à Pyongyang – où elle rencontrera à deux reprises le Président Kim Il-sung – et ses membres sont loin d'être tous, loin s'en faut, des membres du Parti communiste français (Claude Lanzmann n'avait d'ailleurs pas sa carte au PCF). Au-delà de leurs sensibilités politiques diverses, ils sont animés par le même refus de la guerre, une guerre civile internationalisée qui, pendant trois ans, a causé des millions de morts. Le titre du film Napalm est d'ailleurs hautement significatif : avant la guerre du Vietnam, la Corée a été le premier théâtre d'opérations militaires où l'armée américaine a fait un usage intensif du napalm.

 

En 1958, les visiteurs occidentaux qui se rendent à Pyongyang sont déjà invités à témoigner de la volonté du peuple nord-coréen de bâtir le socialisme et de reconstruire leur pays dévasté au rythme de Cheollima, le cheval ailé des légendes coréennes qui parcourt 1.000 ri par jour. Claude Lanzmann le reconnaît : lorsqu'il revient en Corée du Nord en 2004, à l'occasion d'une extension dans le cadre d'un séjour en Chine où il présentait Shoah, le visage de la capitale s'est radicalement modifié.

 

Après cette visite fortuite - c'est seulement après son arrivée à Pékin en 2004 que Claude Lanzmann apprend qu'il peut visiter pendant quatre jours la RPDC, en compagnie d'Anglo-Saxons qu'il décrit comme des adeptes de Noam Chomski enchantés de « découvrir le communisme pur et dur » - Claude Lanzmann envisagera de revenir en Corée du Nord y tourner un film, de manière tout à fait officielle – nous l'avons d'ailleurs croisé à plusieurs reprises aux réceptions de la délégation générale nord-coréenne en France, à l'instar d'autres artistes ou de journalistes ayant des projets de visite en Corée du Nord. Cette troisième visite au Nord de la Corée interviendra finalement en 2015.

 

Il venait y retrouver les souvenirs d'une brève idylle – ce qui aurait été, selon lui, impossible à expliquer aux Nord-Coréens, si bien qu'il leur a parlé d'un film documentaire sur le Taekwon-do, le sport national de combat coréen pour justifier son déplacement de 2015.

 

Victime d'un coup de fatigue lors de son séjour en 1958, il lui est fait une piqûre de vitamines « dans le gras de la fesse » par une jeune infirmière, Kim Kum-sun, sous le regard de militaires. Un baiser sera échangé en cachette, des messages échangés sous forme de dessins... et une lettre reçue d'elle, six mois après son retour en France. Revenant sur son histoire d'amour, Claude Lanzmann l'avoue : « Ça marque, une histoire comme ça ! Elle n'a jamais cessé de me hanter. »

 

Quelque romancée qu'elle puisse être, c'est une histoire humaine, profondément humaine – qui en rappelle d'autres (comme celle entre une Est-Allemande et un Nord-Coréen qui étudiait à Berlin après la guerre de Corée, mariés puis séparés après son retour en Corée et qui se sont revus un demi-siècle plus tard) – et s'inscrit dans la continuité des leçons d'humanité que nous a prodiguées Claude Lanzmann dans ses documentaires sur la Seconde guerre mondiale et le génocide des Juifs, qui représentaient jusqu'ici la totalité de sa filmographie.

 

Le réalisateur n'a pas souhaité revoir Kim Kum-sun. Elle était plus jeune que lui, né en novembre 1925 et alors âgé de 32 ans. Mais à quoi bon ? C'est le souvenir de la Kim Kum-sun de 1958 qui a ému et hanté Claude Lanzmann pendant toutes ces années, et c'est cette seule image qu'il faut garder.

 

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