Le 22 juin 2014, la nette défaite des guerriers Taeguk sud-coréens face à l'Algérie (4-2) a pratiquement signifié une élimination de la compétition. Même s'il faut encore attendre le dernier match qui opposera les Coréens aux Belges le 26 juin prochain pour tirer tous les enseignements de la coupe du monde 2014, l'Association d'amitié franco-coréenne a d'ores et déjà recueilli les impressions d'Edouard Dupas, spécialiste du football coréen, que nous avions déjà interrogé sur ce blog.
Bonjour Edouard Dupas. Le match entre l'Algérie et la Corée du Sud s'est terminé par un score de 4-2 en faveur de l'Algérie. Quels sont les temps forts de ce match, et quel bilan peut-on en tirer ? Contre la Russie, les Coréens avaient fait de nombreuses fautes techniques... Leur qualité de jeu s'est-elle améliorée ?
Bonjour. Lors de cette Algérie-Corée du Sud (opposition inédite dans l'histoire de la compétition), je dirai que les guerriers Taeguk nous ont présenté deux visages :
- celui de la première mi-temps désastreuse (0-3), qui les a vu encaisser trois buts en pratiquant un jeu très faible à tous égards (qualité et précision des passes, rythme, enchaînements, propositions de courses/combinaisons/relais, prises de décision, lecture du jeu adverse, etc.), typique d'une formation qui n'est pas dans l’événement, timorée et en manque total de confiance. Ce n'est pas faire injure aux joueurs coréens que de dire les choses ainsi : aucune équipe de ce mondial brésilien n'avait jusque-là paru si démunie et si peu motivée ;
- celui de la seconde période, avec beaucoup plus d'engagement et d'envie qui a permis aux coréens de réduire la marque à deux reprises, par Son Heung-min et Gu Ja-cheol, deux joueurs qui évoluent dans le championnat allemand et y ont gagné une certaine réputation. Il y avait encore de la maladresse et de l'imprécision, un manque de rigueur en défense, mais au moins les Coréens ont tenté leur chance.
Je pense qu'il faudra attendre le résultat du match contre la Belgique pour tirer un vrai bilan de ce mondial. Mais pour l'heure, il est globalement mauvais : un match nul assez terne contre la Russie, une large défaite contre l'Algérie, avec au total 5 buts concédés pour 3 inscrits. Entre les deux matchs, je ne pense pas qu'on ait vu un grand progrès, sauf peut être dans la seconde mi temps du match de ce soir, où les joueurs se sont libérés de leur peur une fois menés 3-0...
Mais ce qui a le plus frappé les esprits, c'est le déchet technique et la fragilité de cette sélection : on est à ce titre bien loin de 2010 ou même de 2006, sans parler évidemment de 2002. La dynamique de 2010 est clairement perdue.
Comment voyez-vous la suite de la compétition pour les Sud-Coréens ?
Honnêtement, j'avais déjà de gros doutes sur les chances de succès des Sud-Coréens après avoir vu leurs piètres matchs amicaux à l'orée du mondial (défaite contre la Tunisie, la Russie, le Japon, les Etats-Unis, le Mexique, le Ghana), les difficultés dans la campagne qualificative (défaites contre l'Iran, nul contre l'Ouzbékistan et le Liban) et devant les choix de l'entraîneur Hong Myung-bo, qui bénéficie d'un grand crédit en Corée puisqu'il fut le capitaine de la plus glorieuse sélection nationale de l'histoire (celle de 2002) mais n'a peut-être pas toujours été lucide.
Les matchs contre la Russie et l'Algérie ont malheureusement confirmé les craintes que l'on pouvait avoir. Je pense que la Corée, à moins d'un miracle, ne pourra pas battre la Belgique. Elle repartira du Brésil avec des enseignements, à la sélection nationale d'en faire quelque chose, par exemple lors de la prochaine coupe d'Asie qui aura lieu en janvier prochain en Australie.
La sélection nationale sud-coréenne a repris de nombreux joueurs qui avaient décroché la médaille de bronze aux Jeux olympiques de Londres. Ce choix a-t-il été pertinent ?
Pas complètement, hélas. Si on peut concéder à Hong Myung-bo que la plupart des individualités avaient leur place dans les 23 de par leurs accomplissements professionnels, comme le défenseur Kim Young-gwon, les milieux Ki Sung-yueng, Koo Ja-cheol ou l'attaquant Ji Dong-won, qui ont beaucoup joué en club depuis 2012, quelques joueurs ne méritaient pas d'être convoqués pour un rendez-vous d'aussi haut niveau : je pense notamment à Park Chu Young (vierge de toute compétition depuis des lustres) ou à Kim Chang-soo, arrière-droit au pedigree peu impressionnant.
Ce que je reprocherais en outre à Hong, c'est aussi de n'avoir pas assez essayé de convaincre l'ancien capitaine Park Ji-sung de jouer une dernière coupe du monde, d'avoir convoqué trop peu de joueurs d'expérience, comme Cha Du-ri ou Lee Jung-soo, et d'avoir négligé des joueurs locaux que ses prédécesseurs de 2011 et 2012 avaient identifiés et (re)lancés : Lee Yong-rae, Kim Jae-sung, Han Sang-woon, Yoon Bitgaram, Kim Chi-woo, etc. Pour ce mondial, Hong a fait un pari risqué : celui de la jeunesse. Il ne l'a pas gagné, mais ses choix pouvaient se comprendre après le succès des jeux olympiques et quelques matchs internationaux plutôt convaincants : 2-0 contre la Grèce, 1-0 contre le Costa Rica, 2-1 contre la Suisse.... Et les joueurs que je cite étaient peut-être en méforme, ou de mauvaise entente avec les "olympiques"... La vie de sélectionneur n'est pas de tout repos.
Quel regard peut-on aujourd'hui porter sur les joueurs sud-coréens évoluant en France, notamment par rapport aux autres pays européens ?
Il n'y a désormais plus qu'un seul joueur sud-coréen évoluant dans le football professionnel français aujourd'hui, il s'agit du jeune Kim Kyung-jung. Cet élément important de l'équipe nationale espoir fut recruté par Bordeaux après la coupe du monde des moins de 20 ans en 2011, puis prêté au Stade Malherbe de Caen, pour le compte duquel il a joué une dizaine de matchs de ligue 2 et devrait découvrir le plus haut niveau en août prochain, puisque apparemment, le club normand a voulu conserver le joueur.
Lee Yong-rae (FC Nantes) Nam Tae-hee (Valenciennes) et Song Jin-hyung (FC Tours) ont tous quitté l'hexagone. La France, si l'on excepte le cas de Park Chu-young, qui a fait une belle carrière à Monaco, n'a jamais été une terre promise pour les footballeurs coréens qui y ont toujours eu les pires difficultés à s'y adapter et s'y épanouir. J'ai lu que le jeune Kim Shin avait été recruté par l'Olympique Lyonnais il y a quelques mois, mais il devrait rester dans la réserve du club un bon moment.
Pour voir des joueurs coréens performants en Europe, il faut plutôt lorgner du côté de l'Allemagne (Gu Ja-cheol, Hong Jeong-ho, Park Joo-ho, Park Jung-bin, Son Heung-min, Ryu Seung-woo, Lee Jun-hyeob, Kim Jin-soo, Ji Dong-won) ou de l'Angleterre (Yun Suk-young, Kim Bo-kyung, Lee Chung-yong, Ki Sung-yong).
L'Europe méditerranéenne n'accueille elle les Coréens qu'au compte-gouttes : Kang Min-woo au Vitoria de Setubal (Portugal) et Kim Young-gyu dans la réserve de l'Ud Almeria, rien de plus. Le jeune prodige de l'académie du FC Barcelone Baek Seung-ho avait un temps défrayé la chronique en 2010-2011, mais il est retourné en Corée et l'on n'a plus de nouvelles de lui.
Ce mondial révèle-t-il une évolution de la hiérarchie des équipes asiatiques, notamment dans la perspective de la prochaine coupe d'Asie ?
Les 4 représentants de la confédération asiatique de football ont connu des fortunes diverses mais n'ont pas été ridicules : l'Australie a mis le Chili en difficulté et failli vaincre la Hollande (1-3, 2-3) dans un groupe extrêmement difficile, l'Iran qu'on annonçait comme la plus faible équipe du mondial a su tenir en échec le champion d'Afrique nigérian 0-0 pour son premier match et contenir l'Argentine de Messi pendant 89 minutes lors du second. Une sacrée performance pour une sélection nationale essentiellement composée de joueurs locaux. Le Japon qui était censé être le meilleur espoir de l'Asie dans cette coupe du monde a malheureusement chuté d'entrée contre la Côte-d'Ivoire après avoir mené au score (1-2) et n'a pas su rectifier le tir contre la Grèce (0-0). Quant à la Corée, elle était bien partie avec son nul contre la Russie de Fabio Cappello (1-1) mais a raté son match contre l'Algérie (2-4). Le bilan est défavorable, mais pas totalement catastrophique.
Au niveau hiérarchique, il faudra attendre les derniers matchs pour se prononcer mais je dirai que l'Iran est l'équipe qui s'est montrée la plus à son avantage, solide et disciplinée devant une adversité terrible. Viennent ensuite l'Australie, qui s'est admirablement battue pour une équipe à la préparation chaotique et jouant de malchance avec les blessures, puis le Japon, et en dernier la Corée. Nous verrons la semaine prochaine si une équipe asiatique parviendra à se hisser en 8èmes de finales ou non. Le temps est peut-être venu pour les autres équipes asiatiques de monter en puissance : Chine, Iraq, Ouzbékistan, Emirats Arabes Unis, Jordanie, Palestine, ou pourquoi pas... la Corée du Nord ?
Merci Edouard Dupas.