Le 7 octobre 2012, la Corée du Sud a annoncé avoir conclu un accord avec les Etats-Unis pour étendre la portée de ses missiles balistiques, afin qu'ils puissent atteindre n'importe quel point de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Alors qu'un tel accord rappelle la subordination de la Corée du Sud aux Etats-Unis sur les questions de défense, ces déclarations doivent être resituées dans le contexte préélectoral de la Corée du Sud, où faire souffler "le vent du Nord" doit permettre de relancer la campagne de la droite et de sa principale candidate, Mme Park Geun-hye. La RPD de Corée a a vivement réagi par la voix du porte-parole de la Commission de la défense nationale, dans une déclaration rendue publique le 9 octobre, qui affirme notamment que face à la menace américaine le programme balistique nord-coréen lui permet d'atteindre le territoire des Etats-Unis.
Quand en 1972 la Corée du Sud avait fait allégeance à la puissance militaire des Etats-Unis en se plaçant sous le "parapluie" américain, elle avait accepté de limiter la portée de ses missiles à 112 miles (soit 180 km), en contrepartie d'un accès à la technologie balistique des Etats-Unis. Mais les gouvernements sud-coréens successifs n'ont ensuite cessé de vouloir à la fois disposer des missiles américains, et aussi d'étendre la portée de leurs propres missiles balistiques : en 2001, les Etats-Unis ont autorisé la Corée du Sud à augmenter à 300 km la portée de ses missiles. Le 7 octobre 2012, le conseiller sud-coréen à la sécurité nationale Chun Yung-woo a annoncé qu'un nouvel accord avec les Etats-Unis permettait aux missiles sud-coréens d'avoir une portée jusqu'à 800 km (soit 497 miles), afin de pouvoir atteindre tout point du territoire nord-coréen.
Selon la Corée du Sud, il s'agit de renforcer les "capacités d'autodéfense" face à une hypothétique "attaque ou provocation" nord-coréenne. Selon Chun Yung-woo, "si la Corée du Nord nous attaque ou nous provoque, nous serons en mesure de neutraliser ses capacités balistiques et nucléaires dans un premier temps". Le message est clair : il n'est que la reprise telle quelle d'un vieux fantasme des néoconservateurs américains de porter une attaque en premier contre la RPDC, et notamment sur ses sites nucléaires, laquelle déclencherait évidemment une riposte nord-coréenne et pourrait ainsi dégénérer en un conflit ouvert. C'est au regard de ces risques de guerre qu'une telle option a finalement été écartée par les anciens présidents américains, au plus fort du contentieux sur les armes nucléaires. Les faucons au pouvoir à Séoul sont d'ailleurs conscients qu'ils déclencheraient alors une guerre, lorsque le porte-parole M. Chun parle de "première étape" qui en appellerait donc d'autres. Et pour boucler le schéma d'une attaque sud-coréenne dans des circonstances qui ne dépendraient que du bon vouloir de Séoul, les termes employés sont délibérément flous : M. Chung parle de possible réaction à une "provocation" nord-coréenne en des termes vagues, sans chercher à les expliciter. Les accusations mutuelles de Séoul et de Pyongyang d'intrusion dans leurs eaux territoriales sont suffisamment fréquentes pour offrir le prétexte à une attaque qui, pour être lancée par Séoul, ne devrait pas moins en avoir l'aval des Etats-Unis (mais peut-être la Corée du Sud espère-t-elle forcer plus facilement la main d'un Mitt Romney aux accents plus guerriers que Barack Obama ?).
Mais augmenter la portée des missiles sud-coréens ne viserait pas que la RPD de Corée : avec des missiles pouvant atteindre une cible à 800 km, elle viserait également le Nord-Est de la Chine et l'Extrême-Orient russe. La mise en place de la base de Jeju est déjà justifiée, à demi mot, par une volonté de contenir la puissance militaire grandissante de la Chine. L'initiative sud-coréenne doit ainsi s'interpréter comme s'inscrivant dans un plan plus global, concerté avec les Etats-Unis, d'escalade militaire américaine contre la Chine et la Russie, que préparent les exercices militaires conjoints américano-sud-coréens à répétition.
Exercices militaires conjoints américano-sud-coréens le 13 septembre 2012 (source : CNN)
Première visée, la République populaire démocratique de Corée a réagi vivement par un communiqué de sa Commission de la défense nationale (CDN) en date du 9 octobre : "la déclaration sur la politique de missiles balistiques, que le régime [sud-coréen] qualifie de 'plus grande réalisation' qu'il a obtenu de son maître américain dans les années récentes est le produit d'une [...] conspiration du maître et de son esclave pour porter la situation dans la péninsule coréenne à un point extrême de tension et déclencher une guerre contre la RPDC à tout moment." Pour la CDN, cette déclaration sud-coréenne est la preuve du manque de sincérité des Etats-Unis dans leurs propos apaisants. Le communiqué nord-coréen déclare que la RPDC est prête à "annihiler les impérialistes américains, ennemi juré du peuple coréen", et que l'Armée populaire de Corée dispose de missiles balistiques capables d'atteindre non seulement le "territoire sacré" sud-coréen, mais aussi la Japon, Guam et les Etats-Unis.
Kim Jong-un visitant l'unité 318 de l'Armée populaire de Corée en août 2012 (source : KCNA)
L'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) a toujours fait du combat pour la paix en Corée l'une de ses lignes directrices, en soutenant l'initiative internationale d'une pétition pour la conclusion d'un traité de paix en Corée, en lieu et place de l'accord d'armistice ayant mis fin aux combats de la guerre de Corée en 1953. Dans ce contexte, elle condamne vivement les déclarations sud-coréennes du 7 octobre 2012 comme génératrices d'une escalade militaire et de tensions non seulement dans la péninsule coréenne, mais plus largement en Asie du Nord-Est. Au moment où elle-même célébrait le cinquième anniversaire de la déclaration conjointe Nord-Sud du 4 octobre 2007, elle plaide pour le retour au dialogue intercoréen, sur la voie de la paix et de la réunification de la péninsule.
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