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13 décembre 2011 2 13 /12 /décembre /2011 21:39

La BD "Quai d'Orsay" d'Abel Lanzac et Christophe Blain, et dont l'un des auteurs est un ancien conseiller - resté anonyme - du cabinet de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, narre de manière très vivante la façon dont le Quai d'Orsay a réagi lors de la guerre en Irak (dans le récit : le Lousdem). Si les personnages dépeints et les situations décrites correspondent à de subtiles combinaisons d'éléments réels et de fiction, la réalité apparaît souvent très proche du récit de la BD - qu'il s'agisse de la personnalité du ministre (Alexandre Taillard de Vorms dans la bande dessinée), de celle de son directeur de cabinet ou des négociations diplomatiques serrées qu'avait engagées la France, à la charnière des années 2002 et 2003, pour empêcher l'intervention américaine en Irak. Dans ce contexte, l'AAFC a étudié de près une situation décrite sur quelques pages dans le volume 2 de la série (pp. 80-82), dont nous avons tout lieu de penser qu'elle a été proche d'une situation réelle : la réaction française à une crise entre Washington et Pyongyang, fin 2002, sur un prétendu programme nord-coréen d'enrichissement d'uranium.

 

christophe_blain_abel_lanzac_BD_Quai_d_Orsay_couverture.jpgLes Etats-Unis s'apprêtent à envahir un pays au nom de la guerre contre le terrorisme, sous le prétexte (largement fabriqué par Washington) de la prétendue possession d'armes de destruction massive. Pour empêcher le conflit, le ministre français des Affaires étrangères est engagé dans une partie diplomatique avec ses homologues des autres pays membres du Conseil de sécurité des Nations Unies. En déplacement en Moscou, le chef de la diplomatie française est confronté à une nouvelle crise : la Corée du Nord vient d'annoncer la reprise immédiate de ses essais nucléaires.

 

Dans ce contexte, après une concertation avec son homologue russe, le ministre français des Affaires étrangères décide de "faire une conférence de presse sur l'heure", car "il faut réagir tout de suite sur l'histoire de la Corée" et - précise encore le ministre à ses conseillers - "montrer aux Américains qu'ils se plantent". Le ministre dicte aussitôt sa réaction : "La Corée du Nord vient d'annoncer la reprise de ses essais nucléaires... C'est une décision grave dont nous devons mesurer les conséquences... La communauté internationale doit prendre conscience de la responsabilité qui est la sienne... Nous devons forger une méthode pour endiguer la prolifération des armes de destruction massive...". Mais un stupide incident technique - il n'y a pas d'imprimante - interrompt le ministre sur sa lancée... et le lecteur de la BD de voir les conseillers du ministre chercher en vain, à quatre pattes, le fil de l'imprimante et une prise de secteur. Une heure plus tard, la conférence de presse annoncée a lieu entre les ministres des Affaires étrangères russe et français qui dénoncent une "guerre vaine" et font part de leur souhait d'une réunion imminente du Conseil de sécurité sur la question du terrorisme. Il n'est alors plus question de Corée du Nord, mais l'objectif recherché par la France chez Lanzac et Blain est en tout cas atteint : le secrétaire d'Etat américain téléphone à son homologue français pour annoncer qu'il accepte une réunion du Conseil de sécurité en janvier.

 

Janvier 2003 ? A l'époque, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) n'a pas encore procédé à son premier essai nucléaire - il faudra attendre octobre 2006 - mais à cette époque-là le programme nucléaire nord-coréen a singulièrement raidi les relations entre la RPDC et les Etats-Unis de George W. Bush. Plus précisément, à la suite d'une visite du sous-secrétaire d'Etat américain James Kelly à Pyongyang en octobre 2002, Washington affirme que Pyongyang conduirait un programme clandestin d'enrichissement d'uranium. La RPD de Corée dément, souligne qu'il s'agit d'une surinterprétation par James Kelly de propos que ce dernier dit avoir entendus à Pyongyang, mais les néo-conservateurs américains n'en ont cure : ils détiennent le prétexte pour rejeter l'accord-cadre sur le nucléaire signé avec la Corée du Nord en 1994. La BD "Quai d'Orsay" se situe bien à la même époque (quelques mois avant la guerre en Irak), et nous montre aussi un ministre français des Affaires étrangères dénoncer les errements de la diplomatie américaine, influencée par les néo-conservateurs, tant vis-à-vis de l'Irak que de la Corée du Nord.

 

Est-il raisonnable de penser, comme le narre la BD "Quai d'Orsay", qu'à propos de la Corée la France ait alors été amenée, à l'automne 2002, à réagir de façon précipitée et dans l'urgence, car elle était accaparée par le dossier irakien ? Une telle hypothèse nous semble vraisemblable : étant l'un des derniers pays de l'Union européenne à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la RPD de Corée, la France ne dispose alors pas de relais capables de nous fournir des informations de première main sur la situation coréenne. Malgré tout, ce sera un des mérites du ministre des Affaires étrangères de l'époque, Dominique de Villepin, d'avoir alors essayé de fonder une position française de la question nucléaire coréenne indépendante de celle des Etats-Unis, jusqu'à envisager - en 2003 et 2004 - l'ouverture de relations diplomatiques avec la RPD de Corée.

 

Si "Quai d'Orsay" apporte donc un récit cohérent de la façon dont la France a pu réagir à la crise survenue entre Pyongyang et Washington fin 2002, on mesure aussi les années perdues, après le départ de Dominique de Villepin du ministère des Affaires étrangères en 2004, pour que la France se dote à nouveau des moyens de comprendre et d'analyser de manière indépendante la politique de Pyongyang. Il faudra en effet attendre le dénouement de la mission de Jack Lang en 2009, puis l'ouverture d'une représentation diplomatique française dans la capitale nord-coréenne seulement en octobre 2011.

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