Si les Nord-Coréens ayant fait défection en Corée du Sud sont devenus l'un des thèmes récurrents des documentaires occidentaux sur la Corée du Nord, les défections au Nord de Sud-Coréens, peu connues, ont également été fréquentes, depuis la partition de la péninsule coréenne en 1948. Le passage au Nord d'un leader religieux du Sud, Oh Ik-jae, en 1997, avait alors créé un choc politique en Corée du Sud.
Août 1997. A quelques mois d'une élection présidentielle qui devait, en Corée du Sud, marquer la première alternance démocratique avec l'arrivée au pouvoir de Kim Dae-jung, une des principales figures religieuses en Corée du Sud, M. Oh Ik-jae, réapparaît en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Quelques mois plus tôt, Oh Ik-jae, âgé de 68 ans, était encore conseiller aux affaires religieuses du parti de Kim Dae-jung. Auparavant, il avait dirigé pendant cinq ans, jusqu'en 1994, l'église Chondogyo, religion syncrétique formée à la fin du dix-neuvième siècle au confluent d'influences confucéenne, bouddhiste et chrétienne. Elle s'est notamment inspirée de la révolte paysanne, nationale et anti-féodale du Tonghak, en 1894.
A son arrivée à Pyongyang, Oh Ik-jae a déclaré à l'agence officielle nord-coréenne KCNA "Je pense que c'est un honneur infini d'être venu dans cette merveilleuse société dirigée par le général Kim Jong-il". Pris en charge médicalement, il a loué le système gratuit de santé de la RPD de Corée et également déclaré vouloir oeuvrer à la réunification de la Corée.
La majorité conservatrice, alors au pouvoir à Séoul, a exigé une clarification de Kim Dae-jung sur sa position vis-à-vis de la Corée du Nord, alors qu'il est maintenant avéré que le choix de M. Oh était individuel. Pour sa part, l'église Chondogyo avait souligné sa prise de distance avec Oh Ik-jae depuis 1994. L'église Chondogyo, qui compte quelque un million de membres au Sud, est également présente au Nord de la péninsule, avec quelque 50.000 fidèles. D'inspiration chondoïste, le parti Chondogyo-Chong-u est d'ailleurs l'un des trois partis politiques représentés à l'Assemblée populaire suprême de la République populaire démocratique de Corée. En 1950, les partis chondoïstes du Nord et du Sud de la Corée s'étaient unifiés, et avaient pris position en faveur de la Corée du Nord.
Alors que les défections au Nord, de Sud-Coréens sont traditionnellement présentées à Séoul comme des "enlèvements" afin d'en minimiser la portée, cette thèse n'avait pas pu être défendue dans le cas de M. Oh. Si ce dernier avait été présenté comme un espion de longue date de la Corée du Nord, un journaliste américain du New York Times, Nicholas D. Kristof, a souligné que rien ne permettait non plus d'étayer cette hypothèse, pourtant largement diffusée par les médias sud-coréens, conservateurs dans leur grande majorité.
Dans la compétition entre les deux Etats coréens pour s'affirmer comme le seul représentant légitime de toute la péninsule, les défections ont toujours été largement médiatisées par le camp bénéficiaire du ralliement. Elles ne sont ni nouvelles, ni exceptionnelles : après la Libération de la péninsule coréenne, en 1945, les collaborateurs des Japonais et les représentants des classes les plus riches ont gagné en nombre le Sud de la péninsule, alors que la zone de séparation du trente-huitième parallèle était facile à franchir. A contrario, des intellectuels, notamment des écrivains et la plupart des représentants de la génération des fondateurs du cinéma coréen dans l'entre-deux-guerres, ont rejoint le Nord, de même que de nombreux anonymes, paysans et ouvriers, attirés par les réformes sociales de la République populaire démocratique de Corée, notamment la réforme agraire. Sous le régime militaire en Corée du Sud (1961-1987), des dirigeants politiques et syndicaux, menacés par le pouvoir, ont également gagné le Nord.
Les difficultés économiques de la Corée du Nord pendant la dure marche, alors que la Corée du Sud offrait des conditions matérielles plus avantageuses, a orienté les flux migratoires dans un sens Nord-Sud, à partir de pays tiers, depuis les années 1990, à l'instar des migrations économiques observées dans d'autres parties du monde. Une proportion significative - mais difficile à évaluer - de Nord-Coréens ayant fait défection au Sud a toutefois choisi de retourner au Nord, ne s'habituant pas au mode de vie du Sud, et étant en butte à des comportements discriminatoires.
Dans ce contexte, les défections récentes de Sud-Coréens au Nord présentent un caractère plus exceptionnel que par le passé : le cas de Oh Ik-jae n'est toutefois pas isolé, alors que le commandement militaire sud-coréen a par exemple reconnu, en 2004, que des dégradations dans la barrière de barbelés avec le Nord étaient le fait non d'agents communistes infiltrés, mais d'un Sud-Coréen ayant rejoint le Nord.
Sources : AAFC, The New York Times
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