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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 17:15

MDA logoLe 26 octobre 2012, à l'issue de la réunion de consultation annuelle sur la sécurité entre les États-Unis et la République de Corée (du Sud), le secrétaire américain à la Défense Leon Panetta a promis que les États-Unis continueraient de fournir un parapluie nucléaire à la Corée du Sud tout en déclarant que les deux pays examineraient la possibilité d'un système régional de défense antimissile. Le 7 octobre 2012, la Corée du Sud avait annoncé avoir conclu un accord avec les États-Unis pour accroître la portée de ses missiles balistiques de 300 à 800 km, afin qu'ils puissent atteindre n'importe quel point de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Pour la RPDC, cet accord n'est pas seulement dirigé contre elle, mais « motivé par l'objectif stratégique des États-Unis d'assiéger le continent asiatique et d'y perturber la paix et la stabilité afin d'établir leur domination sur la région de l'Asie et du Pacifique ».1 De fait, tout démontre que les moyens militaires déployés par les États-Unis en Corée et dans ses environs immédiats sont moins destinés à contrer la prétendue menace de la RPDC qu'à contenir la montée en puissance de la Chine identifiée comme le principal adversaire stratégique des États-Unis depuis le début des années 2000. Sous le gouvernement du président Lee Myung-bak, la Corée du Sud a été de plus en plus impliquée dans la « défense antimissile régionale » voulue par l'administration Obama, un concept qui a succédé, notamment pour des raisons de coût, à la « défense antimissile globale » prônée par l'administration Bush. Le concept d'un bouclier antimissile procurant l'invulnérabilité a vraiment fait surface au début des années 1980, à l'apogée de la Guerre froide, pour entrer dans une phase de réalisation concrète au début des années 2000 afin de protéger les États-Unis et leur alliés contre une prétendue menace venue de pays tels que la Corée du Nord. L'Association d'amitié franco-coréenne dresse ici un rapide historique du bouclier antimissile voulu par les États-Unis, un programme qui, en trois décennies, aura surtout fait la démonstration de son coût faramineux et du caractère fallacieux des prétextes avancés pour sa réalisation. 

L'idée de se protéger contre les missiles balistiques ennemis est née dès la fin de la Seconde Guerre mondiale et l'utilisation par l'Allemagne nazie des fusées V1 et V2. Au cours de la Guerre froide, avec l'apparition de vecteurs plus puissants traversant l'espace extra-atmosphérique pour atteindre leur cible sur un autre continent en moins de 30 minutes, les premiers moyens antimissile (ABM) à la disposition des États-Unis et de l'Union soviétique étaient surtout considérés par les stratèges des deux camps comme un danger majeur pour la paix. Ce paradoxe d'un système a priori défensif constituant une menace pour la paix n'est qu'apparent, car la stabilité stratégique était alors fondée sur un « équilibre de la terreur », ni les États-Unis ni l'Union soviétique n'ayant avantage à lancer en premier une attaque à l'aide d'armes nucléaires car celle-ci aurait déclenché une seconde frappe en représailles, l'une et l'autre ayant des effets dévastateurs. La crainte d'une destruction mutuelle assurée a donc évité un affrontement direct entre les deux superpuissances de la Guerre froide, au prix de nombreux conflits conventionnels périphériques. Si un des deux acteurs déployait des moyens antimissile, un tel équilibre n'existait plus et la course aux armements était relancée dans l'espoir de saturer les défenses de l'ennemi.

Conscients de ce danger, les États-Unis et l’Union soviétique signèrent en mai 1972 un traité établissant un lien entre la limitation des armements stratégiques défensifs et la limitation des armements stratégiques offensifs. Ce traité ABM visait à renforcer la stabilité mondiale et à limiter la course aux missiles intercontinentaux en maintenant une vulnérabilité mutuelle. De plus, le traité interdisait aux États-Unis et à l'Union soviétique de faire participer leurs alliés à leurs programmes antimissile et à placer de tels systèmes sur des plates-formes aériennes, navales, ou spatiales.

En mars 1983, parce qu’il trouvait immoral le concept de la destruction mutuelle assurée, le président des États-Unis Ronald Reagan lança l'Initiative de défense stratégique (IDS), surnommée la « Guerre des étoiles », un bouclier spatial utilisant des satellites pour identifier et détruire les missiles venus de la haute atmosphère. Ce projet fut aussitôt critiqué aux États-Unis, par leurs alliés et, bien sûr, par l'Union soviétique.

Aux États-Unis, on considérait que l'IDS était extrêmement coûteuse sans offrir de défense totale.

Les alliés des Américains redoutaient que l'IDS, à supposer qu'elle fonctionne, transforme les États-Unis en une forteresse inviolable, incitant au repli et à l'isolationnisme.

Pour l'Union soviétique, l'IDS violait le traité ABM de 1972 et remettait en question l'équilibre de la terreur concrétisé depuis 1949 par sa possession de l'arme nucléaire.

En 1991, l'IDS a perdu sa raison d'être avec la disparition de l'Union soviétique avant d'être officiellement stoppée par le président Bill Clinton en 1993. En dix ans, l'Initiative de défense stratégique lancée par le président Reagan n'avait abouti à aucun système d’interception opérationnel. Rétrospectivement, l'annonce de l'IDS et des programmes de recherche associés ne pourrait avoir servi qu'à étouffer financièrement l'Union soviétique en l'amenant sur le terrain d'une compétition militaro-économique détournant les crédits alloués à la course aux armements d'autres secteurs indispensables de l'économie soviétique.

Après la fin de la Guerre froide, il a été considéré que la stabilité stratégique devait être assurée dans un cadre multilatéral grâce aux régimes existants de non-prolifération, de contrôle des armements et de désarmement. Néanmoins, en 1999, saisissant le prétexte du lancement d'une fusée par la RPD de Corée l'année précédente, le Congrès des États-Unis adopta la loi sur la défense antimissile nationale (National Missile Defense Act, NMD), indiquant qu'il entrait dans les intentions des États-Unis de construire un bouclier antimissile, limité, « aussitôt que la technologie le permettra ».

La NMD présentait deux différences majeures par rapport à l'Initiative de défense stratégique abandonnée quelques années auparavant : il fallait pouvoir défendre les États-Unis contre une offensive mineure, composée d'une vingtaine de missiles intercontinentaux et d'une centaine d'ogives nucléaires, chimiques ou biologiques, non contre une attaque massive, et les moyens antimissile (radars, intercepteurs) se trouvaient au sol, et non dans l'espace.

A côté de cette défense antimissile nationale destinée à protéger le territoire des Etats-Unis, l'administration Clinton envisageait une défense antimissile de théâtre (Theater Missile Defense, TMD) destinée aux unités militaires des Etats-Unis basées outre-mer, dont les forces américaines stationnées en Corée du Sud. Malgré les demandes américaines, le gouvernement sud-coréen du président Kim Dae-jung refusa de se joindre à la TMD car celle-ci ne correspondait pas à l'intérêt national de la Corée du Sud eu égard à son coût, à ses performances insuffisantes, aux relations inter-coréennes ou aux relations entre la Corée du Sud et ses voisins. La défense antimissile de théâtre voulue par l'administration Clinton préfigurait la défense antimissile régionale aujourd'hui prônée par l'administration Obama et à laquelle a choisi de s'associer le gouvernement sud-coréen du président Lee Myung-bak arrivé au pouvoir en 2008.

dick-cheney-angry.jpgLa défense antimissile nationale voulue par le président Clinton fut considérée comme trop timide par plusieurs politiciens néo-conservateurs qui occupèrent à partir de 2001 de hautes fonctions dans l'administration Bush, dont Dick Cheney, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz. Pour ces néo-conservateurs, dans la période de l'après-Guerre froide, les États-Unis n’ayant à l’échelle mondiale aucun rival, « la grande stratégie de l’Amérique [se devait] de préserver et accroître cette position favorable pour une durée à venir aussi longue que possible ». Un bouclier antimissile intégrant des composantes terrestres, maritimes, aériennes et spatiales faisait partie de cette stratégie visant à maintenir « la prééminence militaire américaine qui est le corollaire de la stratégie de domination mondiale des États-Unis ». Pour les néo-conservateurs le régime de non-prolifération avait failli en permettant à des pays considérés comme hostiles aux États-Unis – Corée du Nord, Irak, Iran, Libye, Syrie – de se doter de capacités balistiques présentées comme « un grave défi pour la paix américaine et la puissance militaire qui la protège ».2

Arrivé au pouvoir en janvier 2001, le président George W. Bush annonça le 13 décembre de la même année que les États-Unis se retiraient du traité ABM de 1972. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, au nom de la « guerre contre le terrorisme », les États-Unis voulaient avoir le droit de déployer un système de défense antimissile sur tout le territoire américain et chez leurs alliés, et de placer de tels systèmes sur des plates-formes aériennes, navales, ou spatiales. Le 17 décembre 2002, le gouvernement américain annonça officiellement la relance de la défense antimissile nationale, rebaptisée défense antimissile (Missile Defense, MD) car elle se voulait désormais extra-territoriale et globale, sous le contrôle d'une Agence de la défense antimissile (Missile Defense Agency, MDA), dépendant du département de la Défense des États-Unis. Quand l'administration Bush quitta le pouvoir en 2009, le budget annuel de ce programme s'approchait des 10 milliards de dollars, le bouclier antimissile devant être opérationnel en 2013.

Grâce au bouclier antimissile voulu par l'administration Bush, un missile balistique intercontinental ennemi aurait dû être détruit au maximum 30 minutes après son lancement, selon la séquence suivante3:

1) Le missile ennemi est lancé.

2) Les satellites de surveillance détectent la menace.

3) L'état-major est alerté

4) Les navires équipés du système de combat Aegis4 détectent le missile avec leurs radars pour déterminer sa trajectoire et tentent de l'intercepter.

5) Un avion disposant d'un laser embarqué (Boeing YAL-1) tente de détruire le missile en vol.

6) Les intercepteurs sont lancés.

7) Si toutes ces mesures ont échoué, des radars et lanceurs mobiles traquent le missile.

8) En cas d'échec, les batteries de la défense antimissile terminale en haute altitude (Terminal High Altitude Area Defense, THAAD) font feu.

9) Toujours en cas d'échec, des batteries antimissile de théâtre Patriot entrent en action.

MD_Sequence.JPG

source : Missile Defense Agency

Dès la relance de la défense antimissile par l'administration Bush, des scientifiques contestèrent sa faisabilité, considérant que, si les techniques de détection et de guidage avaient fait des progrès, les systèmes d’interception faisaient défaut. En juillet 2003, une équipe rassemblant des physiciens et des ingénieurs exerçant dans des universités et des laboratoires aussi prestigieux que Los Alamos, le MIT ou Berkeley publia sous l’égide de l’American Physical Society (APS) un rapport démontrant l’inefficacité prévisible des systèmes de défense antimissile préconisés par la MDA.

Ces experts constataient que tous les systèmes d’interception alors en développement (en 2003) devaient détruire un missile intercontinental pendant sa phase de propulsion initiale. Or, selon eux, quel que soit le système de détection et d’interception choisi (missile embarqué sur un navire équipé d'Aegis, missile terrestre, rayon laser), aucun n’avait le temps d’atteindre sa cible dans les 2 à 4 minutes que dure cette phase de propulsion.

En fait, ces chercheurs estimaient que, si de gros progrès étaient faits, le système pouvait éventuellement détecter et détruire certains missiles propulsés grâce à des carburants liquides, dont la phase de propulsion initiale est plus longue. En revanche, le système restait incapable de détruire les missiles à carburant solide, qui ne peuvent être atteints que pendant les 95 secondes qui suivent leur lancement. L'étude de l'APS estimait que les pays contre lesquels le bouclier antimissile de l'administration Bush était conçu – Iran et Corée du Nord en tête - maîtriseraient probablement la technique des missiles à carburant solide d’« ici 10 à 15 ans » (soit entre 2013 et 2018), lorsque le bouclier serait en passe de devenir opérationnel.5

Le bouclier antimissile s'avérait donc être un projet coûteux (plus de 100 milliards de dollars avaient déjà été dépensés en vingt ans) et inutile. Dans ces conditions, le Congrès des États-Unis réduisit régulièrement le budget alloué à ces technologies antimissile aussi onéreuses qu'incertaines destinées à contrer un éventuel missile à longue portée.

Les réticences du Congrès s'expliquaient en particulier par les faibles performances du système terrestre d'interception de missile à mi-course (Ground-based Midcourse Defense, GMD). Comme le révèle un rapport du Congrès sur le budget de la Défense pour l'année fiscale 2009, la MDA n'avait pas réussi à mener au cours des années précédentes ne serait-ce qu'un test d'interception en vol par an, en moyenne, grâce au système GMD, en dépit du fait que le Congrès avait autorisé de consacrer annuellement 200 millions de dollars à la conduite de deux tests.

En 2007, le candidat à la présidence des États-Unis Barack Obama fit la promesse de « réduire les investissements dans les systèmes de défense antimissile n'ayant pas fait leurs preuves. » De son côté, Carl Levin, président de la commission des forces armées du Sénat américain, déclara en janvier 2009 qu'il aimerait voir des réductions dans le programme de défense antimissile. Quant à Ellen Tauscher, présidente de la sous-commission des forces stratégiques de la Chambre des représentants, elle estima en février 2009 que les États-Unis avaient trop investi dans le programme du système GMD.6

Alors que le budget des États-Unis menaçait d'enregistrer un déficit record pour 2008-20097, le Congrès gela le déploiement du système GMD (déjà déployé en Alaska et en Californie) et annula d'autres programmes plus expérimentaux : laser aéroporté, intercepteurs à énergie cinétique détruisant leur cible par impact, systèmes spatiaux de surveillance, « Multiple Kill Vehicle » permettant à un seul missile intercepteur d'engager plusieurs cibles, grâce à plusieurs projectiles guidés.

En revanche, le Congrès continua de soutenir le développement de systèmes de défense antimissile qui avaient fait leurs preuves : Aegis, Patriot, THAAD, missiles mer-air, tous systèmes destinés à contrer la menace « réaliste » des missiles à courte et moyenne portées.8

Ce sont de tels systèmes qui forment aujourd'hui la défense antimissile régionale soutenue par l'administration Obama.

Dans un contexte de réduction budgétaire, les milieux néo-conservateurs prirent prétexte du lancement de la fusée spatiale Unha-2 par la RPD de Corée, le 5 avril 2009, pour défendre leur bouclier antimissile.

David Blumenthal, chercheur à l'American Enterprise Institute (le centre de réflexion qui inventa le concept d’« axe du mal »), qualifia le programme de laser aéroporté de « méthode la plus prometteuse et immédiate pour intercepter un missile balistique dans la phase de propulsion initiale, peu après son lancement » et de « technologie qui pourrait s'avérer être un nouveau changement révolutionnaire dans la guerre, dû à l'ingéniosité américaine. »9

Pour Robert Joseph, ancien sous-secrétaire d'État pour le contrôle des armements et la sécurité internationale (l'homme qui, en 2006, voulait que les sanctions prises à l'encontre de la Corée du Nord « éteignent toutes les lumières de Pyongyang »), les États-Unis devaient aussi se défendre contre les missiles à longue portée, ce qui ne pouvait pas être fait avec les seuls systèmes Patriot, THAAD et Aegis. Pour affronter la Corée du Nord et l’Iran, Joseph plaidait pour le déploiement d'intercepteurs en Alaska, en Californie et en Europe. Face à une « menace en évolution », il préconisait également d’investir dans de nouvelles capacités, toute réduction des investissements de défense étant considérée comme « incroyablement en décalage avec le monde réel ».10

Le monde réel des scientifiques disait pourtant qu'un bouclier contre les missiles intercontinentaux ne fonctionnerait tout simplement pas ou, au mieux, serait périmé avant même d'entrer en service. La question est donc posée : les néo-conservateurs ont-il voulu refaire le « coup » de l'Initiative de défense stratégique qui avait si bien fonctionné à la fin des années 1980 ? Ont-ils envisagé d'épuiser leurs adversaires stratégiques potentiels à l'aide d'une nouvelle course aux armements, comme les États-Unis avaient étouffé financièrement l'Union soviétique en l'amenant sur le terrain d'une compétition militaro-économique impossible?

Une chose est certaine : quand l'administration Bush est entrée en fonction, en 2001, elle a voulu ressusciter la doctrine de domination permanente énoncée dans les Directives pour le plan de défense (Defense Planning Guidance, DPG) pour les années 1994-1999, premier exposé formel des buts stratégiques des États-Unis dans l'après-Guerre froide. Les DPG exposaient que le premier objectif de la stratégie des Etats-Unis était d'empêcher l'apparition d'un futur concurrent pouvant défier l'écrasante supériorité militaire de l'Amérique.11

Bien sûr, un tel concurrent ne pouvait pas être la Corée du Nord ou l'Iran. En outre, pour un intercepteur basé au sol, l'interception ne peut avoir lieu que si sa vitesse est supérieure à celle du missile attaquant et si l'intercepteur est éloigné de la trajectoire du missile de 500 km au maximum pour un lanceur à carburant liquides et de 300 km pour un lanceur à carburant solide. Le succès de la défense antimissile dépend aussi des capacités à détecter le départ et à suivre la trajectoire d'un missile, ainsi qu'à guider son intercepteur. Plus tôt le tir est détecté, plus l'interception a de chances de réussir.12 Compte tenu des sites prévus pour l'implantation des radars et des intercepteurs du bouclier antimissile américain, deux pays autres que ceux spécifiquement désignés par les États-Unis se sont estimés visés par ce système : la République populaire de Chine et la Fédération de Russie.

Comme la Russie, la Chine est inquiète du retrait des États-Unis du traité ABM de 1972. Elle est aussi inquiète du déploiement d'intercepteurs dans le monde entier, en particulier au Japon, lesquels pourraient rendre inopérante la petite force de dissuasion stratégique chinoise. En outre, le projet de bouclier antimissile pourrait freiner la réduction des arsenaux nucléaires américain et russe et provoquer une reprise de la course aux armements et, plus généralement, porter un coup aux efforts contre la prolifération que sont le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (Comprehensive Test Ban Treaty, CTBT) et le Traité d'interdiction de la production de matières fissiles (Fissile Material Cut-off Treaty, FMCT).13

Pour les analystes chinois, les États-Unis exagèrent le risque que les prétendus « États voyous » puissent se doter de missiles à longue portée équipés de têtes nucléaires. Consacrer du temps et des ressources à développer un système antimissile contre ces pays revient à « utiliser un canon pour tirer sur une mouche », alors que les capacités pour une réplique américaine suffisent largement à dissuader toute attaque. Pour les Chinois, les États-Unis développent et déploient leur système antimissile en insistant sur la menace d'« États voyous », mais leur objectif réel est bien de contenir la Chine.

La Chine pense que les États-Unis ont saisi le prétexte du lancement d'une fusée par la RPD de Corée en 1998 pour convaincre le Japon, jusqu'ici réticent, de participer au bouclier antimissile américain.14

La Chine est particulièrement opposée au déploiement d'un système antimissile de théâtre au Japon, d'autant moins nécessaire qu'aucun système TMD n'a été déployé au Japon pendant la Guerre froide quand le danger d'une attaque était bien plus important. La Chine avance officiellement quatre arguments contre la coopération américano-japonaise dans le domaine d'un système TMD15 : un système antimissile de théâtre installé au Japon contribue au bouclier antimissile des Etats-Unis ; la coopération pour un système TMD change la nature de l'alliance entre les États-Unis et le Japon, la plaçant sur une base plus égale ; le Japon est déjà une puissance militaire importante et un Japon doté de fortes capacités offensives et défensives pourrait devenir plus agressif, renouant avec ses vieux démons ; le déploiement d'un système TMD au Japon avec l'aide des États-Unis aggrave la tension dans la péninsule coréenne et ne contribue pas à y régler par le dialogue les questions nucléaire et balistique.

Avec le Japon, la Corée du Sud est l'autre partenaire important des Etats-Unis dans le déploiement d'un système TMD en Asie du Nord-Est.

Dans un discours prononcé à Tokyo en septembre 2010, Frank Rose, sous-secrétaire d'État américain en charge de la vérification, du respect et de l'application des accords, a fait part de la forte volonté des États-Unis d'installer leur système de défense antimissile en Asie en allant au-delà de la coopération bilatérale entre les États-Unis et le Japon. Le sous-secrétaire d'États Rose a précisé que, « En Asie, le Japon et la Corée du Sud sont déjà des partenaires importants dans la défense antimissile ». Selon Frank Rose, avoir plusieurs partenaires, dont la Corée du Sud, dans le système de défense antimissile était souhaitable pour trois raisons : une raison « politique » parce que cela renforce l'aptitude à apporter une réponse commune à une menace ennemie ; une raison « opérationnelle » parce que la capacité du système MD est accrue, qu'il s'agisse du partage des données ou de l'interception d'engins balistiques ; et une raison « budgétaire » parce que cela réduit les investissements à consentir par les pays qui intègrent ce système de défense.

Quelques semaines auparavant, en juillet 2010, les marines des États-Unis et de Corée du Sud avaient mené un exercice d'interception de missile. Le croiseur sud-coréen Sejong-le-Grand, équipé du système Aegis, suivit ce qui était censé être un missile balistique ennemi et fournit à la marine américaine des informations sur sa position avant qu'un autre croiseur Aegis, américain, tire un missile SM-3 et l'abatte. En effet, alors que le Sejong-le-Grand peut détecter et suivre un missile balistique, il n'est pas équipé de SM-3 et le partage des informations et des moyens entre les armées sud-coréenne et américaine est donc nécessaire à la mise en œuvre d'une défense antimissile régionale en Asie du Nord-Est.

Si le déploiement à grande échelle en Corée du Sud de systèmes antimissile américains tels que des Patriot et des radars avait déjà commencé sous la présidence de Roh Moo-hyun (2002-2007), il s'est accéléré sous l'administration de Lee Myung-bak, intégrant davantage la Corée du Sud dans la défense antimissile des Etats-Unis.

Bell_KimTaeyoung.jpgLe 22 octobre 2010, Kim Tae-young, alors ministre de la Défense nationale de Corée du Sud, fut à l'origine d'une controverse à l'Assemblée nationale sud-coréenne quand, répondant à une question d'un député du Parti démocratique (opposition), il déclara que la Corée du Sud et les États-Unis examinaient « ensemble la question de la défense antimissile ».

Par la suite, le ministre Kim déclara que « l'élément à prendre un peu en compte est la raison pour laquelle notre peuple s'est opposé à la défense antimissile. C'est parce que les Etats-Unis ont créé la MD afin de protéger le territoire américain. Aujourd'hui, les choses ont évolué et la MD est envisagée au niveau régional. Les choses deviennent donc différentes et nous les considérons avec prudence. » Cette réponse suffit pour que le peuple sud-coréen soupçonne le gouvernement Lee Myung-bak d'accélérer le processus d'intégration à la défense antimissile voulue par les États-Unis.

La controverse prenant de l'ampleur, le ministère sud-coréen de la Défense publia dès le 23 octobre 2010 le communiqué suivant : « Les autorités de la République de Corée et des États-Unis discuteront à l'avenir du partage des informations et des mesures opérationnelles destinées à protéger la péninsule coréenne de la menace des armes de destruction massive nord-coréennes au sein d'un 'Comité pour une politique de dissuasion étendue'. » Le ministère de la Défense affirmait aussi que « cela ne signifie pas que nous rejoignons le système régional de défense antimissile des États-Unis, mais que, tout en établissant une défense antiaérienne et antimissile coréenne, d'abord en tant que sous-système défensif, nous allons aussi renforcer notre coopération avec les Forces des États-Unis en Corée pour le partage des informations et des moyens opérationnels destinés à répondre de manière efficace à la menace des missiles balistiques de la Corée du Nord. » En résumé, le ministère sud-coréen de la Défense déclarait que la Corée du Sud renforce sa coopération avec les États-Unis dans la défense antimissile sans participer au système de défense antimissile voulu par les États-Unis...16

Le 26 octobre 2012, à l'issue de la réunion de consultation annuelle sur la sécurité, le ministère de la Défense a continué à nier toute implication dans le système de défense antimissile des États-Unis, le jugeant « fondamentalement différent » de celui de la Corée du Sud17, mais les signes d'une intégration croissante de la Corée du Sud dans ce système existent bien.

Pour les États-Unis, il y a urgence à installer les éléments d'un système antimissile en Asie du Nord-Est et la prétendue menace nord-coréenne constitue un prétexte fort commode.

En janvier 2007, dans un contexte d'opposition au bouclier antimissile, un événement inédit en deux décennies eut lieu : la Chine détruisit un de ses vieux satellites météorologiques à l'aide d'un intercepteur basé au sol et porteur d'une charge de type cinétique. Le vieux satellite chinois évoluait en orbite à environ 800 km de la Terre, soit l'altitude correspondant à la phase de vol libre d'un missile balistique, laquelle dure de 15 à 20 minutes.

Un tel acte fut vite interprété comme un avertissement lancé aux États-Unis. Outre la démonstration que les Chinois étaient capables de développer les éléments d'un bouclier antimissile que les Américains avaient eux-mêmes du mal à acquérir - le fameux système terrestre d'interception de missile à mi-course GMD « recalé » par le Congrès en 2009 -, les Chinois pouvaient désormais rendre « aveugles » les Américains et leurs alliés en détruisant les satellites d'observation évoluant en orbite basse (entre 200 et 2 000 km). Les Etats-Unis ne pouvaient que redouter une nouvelle course aux armements dans l'espace - qu'ils avaient eux-mêmes contribué à relancer – et, ne reculant devant aucune contradiction, le gouvernement américain déclara en réaction à la destruction du satellite chinois que le « développement et l'essai de telles armes est incompatible avec l'esprit de coopération à laquelle chaque pays aspire dans le domaine de l'espace civil. »18

standard missile 3En février 2008, un missile SM-3 fut tiré du croiseur américain USS Lake Erie stationné dans l'Océan Pacifique, à l'ouest des îles Hawaï. Quatre minutes après, un satellite était atteint et détruit à 247 km d’altitude. Selon la version donnée par l'armée américaine, le but de ce tir était de détruire le satellite militaire USA-193 lancé en décembre 2006 et devenu hors de contrôle, compte tenu du danger représenté par les 450 kg d’hydrazine contenus dans ses réservoirs et le risque d’intoxication pesant sur les populations. Cette version fut mise en doute par la Russie qui y vit plutôt une opération destinée à tester une arme antisatellite et le tir suscita la réprobation de la Chine.19 De fait, le succès de ce tir américain venait à point nommé pour justifier les énormes crédits accordés à la Missile Defense Agency et envoyait un signal sur la détermination des États-Unis à appliquer la doctrine de « domination spatiale » avalisée par l'administration Bush.

Les États-Unis ont identifié la République populaire de Chine comme leur principal adversaire stratégique depuis le début des années 2000, au moins, et le bouclier antimissile complète le dispositif d'endiguement mis en place autour de la Chine. Dans la mise en place de ce dispositif, la Corée du Sud constitue une pièce maîtresse et la Corée du Nord un alibi pour des initiatives américaines de plus en plus agressives à l'égard de la Chine. Ainsi, un bouclier antimissile n'est pas seulement un système de défense mais aussi, dans son principe même, une arme « de premier emploi » : un système antimissile fonctionnel informe ses objectifs potentiels qu'ils seront attaqués si les États-Unis le veulent et sans que les pays visés puissent répondre. On comprend mieux la signification de l'avertissement du secrétaire américain à la Défense Robert Gates (qui a servi au même poste sous les administrations Bush et Obama), servant de conclusion au rapport 2009 de la MDA : défier (et non attaquer) les États-Unis dans le domaine nucléaire – ou avec d'autres armes de destruction massive - exposera à une « réponse écrasante et catastrophique ».20

On peut tirer trois conclusions des péripéties du bouclier antimissile américain : premièrement, les pays tels que la République populaire démocratique de Corée ne sont qu'un prétexte ; deuxièmement, si le bouclier antimissile devient opérationnel, une guerre offensive devient possible, voire inévitable, contre les adversaires stratégiques désignés des États-Unis ; troisièmement, si le bouclier spatial n'est qu'une illusion entretenue à grands frais par les stratèges américains, les dizaines de milliards de dollars déjà dépensés profitent à des sociétés telles que Lockheed Martin, Northrop Grumman ou Raytheon. L'avertissement du président américain Eisenhower dans son discours d'adieu du 17 janvier 1961 prend alors toute sa dimension :

« Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison, mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l'énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble. »

 

 

Sources

1 KCNA, 8 novembre 2012

2 Thomas Donnelly, Donald Kagan, Gary Schmitt, Rebuilding America's Defenses : Strategy, Forces and Resources for a New Century, Project for the New American Century, septembre 2000 (traduction en français disponible ici)

4 Aegis (traduction anglaise de « égide », le bouclier du dieu grec Zeus) est un radar à haute puissance pouvant exécuter simultanément des fonctions de détection, recherche et poursuite de plus de 200 missiles, à plus de 370 km.

5 American Physical Society, "Missile defense strategy not feasible against potential threats", Washington D.C., 15 juillet 2003

6 Travis Sharp, "Recommendations for Action in 2009 : Reduce Funding for Unproven Missile Defense Programs", Center for Arms Control and Non-Proliferation, 26 février 2009

7 AFP,   11 mars 2009

9 David Blumenthal, "Coming to Asia's Defense", The Wall Street Journal, 16 avril 2009

10 Robert Joseph, "North Korea's Nuclear Routine", National Review Online, 9 avril 2009

11 Michael T. Klare, "Target China: The Emerging US-China Conflict", Japan Focus, 19 avril 2006.

12 Iouri Zaïtsev, « La Défense antimissile américaine de A à Z », RIA Novosti, 2 mars 2007.

13 Evan S. Medeiros, 2nd US-China Conference on Arms Control, Disarmament and Nonproliferation: Missiles, Theater Missile Defense and Regional Stability, Monterey Institute of International Studies, Monterey, 1999. p. 11, cité dans "China's Opposition to US Missile Defense Programs", James Martin Center for Nonproliferation Studies

14 Les néo-conservateurs ayant servi dans l'administration Bush admettent ouvertement ce prétexte, à l'instar de Robert Joseph : « the U.S.-Japan relationship on missile defense — which grew out of North Korea’s first Taepodong launch in August 1998 — gave Japanese leaders both confidence that the U.S. stood with them and an option for protecting their territory from harm. » (Robert Joseph, "North Korea's Nuclear Routine")

15 Luo Jie et Ye Bian, "US 'Missile Defense' Will Bring No End of Trouble for the Future - Sha Zukang on Topics Including International Disarmament Situation and TMD", Shijie Zhishi, 1er juillet 1999 in FBIS, "Arms Control Chief on US Missile Defense", 1er juillet 1999, cité dans "China's Opposition to US Missile Defense Programs"

16 Cheong Wooksik,  "Would South Korea fall down into a ‘swamp of MD’?", Peace Network, 25 octobre 2010 

17 Yonhap, 26 octobre 2012 

18 Déclaration de Gordon Johndroe, porte-parole du Conseil de sécurité nationale des Etats-Unis, le 18 janvier 2007, cité dans Marc Kaufman et Dafna Linzer, "China Criticized for Anti-Satellite Missile Test : Destruction of an Aging Satellite Illustrates Vulnerability of U.S. Space Assets", The Washington Post, 19 janvier 2007

19 BBC, 21 février 2008 

20 Extrait d'un discours prononcé par le secrétaire à la Défense Robert Gates devant la Fondation Carnegie pour la paix internationale, le 28 octobre 2008, cité dans Testing : Building Confidence, Missile Defense Agency, 2009

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