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22 décembre 2012 6 22 /12 /décembre /2012 09:22

rason_coree-du-nord.jpgDans une dépêche en date du 21 décembre 2012, l'agence KCNA de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a annoncé l'arrestation d'un citoyen américain d'origine coréenne, Pae Jun-ho, à Rason (photo à gauche). Alors que les arrestations d'étrangers en RPDC sont rarissimes, les précédents montrent qu'elles ont parfois conduit à des négociations diplomatiques de haut niveau entre Washington et Pyongyang.

 

Le 21 décembre 2012, l'agence nord-coréenne KCNA a rendu compte de l'arrestation sur son territoire d'un citoyen américain, pour un délit de nature criminelle - qui n'a pas été précisé - reconnu par l'intéressé, en précisant que le dossier était suivi par l'ambassade de Suède en RPDC, laquelle est compétente pour la défense des intérêts des citoyens américains en Corée du Nord, en l'absence de représentation diplomatique des Etats-Unis à Pyongyang :

 

"Le citoyen américain Pae Jun-ho, qui était entré en RPDC dans la ville de Rason le 3 novembre dans le cadre d'un voyage touristique, a commis un crime contre la RPDC. Il a été placé en garde à vue par les organismes compétents. 

 

Les preuves du crime qu'il avait commis contre la RPDC ont été apportées lors de l'enquête. Il a reconnu son crime.

 

Les autorités consulaires de l'ambassade de Suède, compétentes pour les intérêts des Etats-Unis en RPDC, lui ont rendu visite vendredi [21 décembre].

 

Les actions légales ont été engagées contre M. Pae, conformément à la législation criminelle et à la procédure applicables en RPDC".

 

L'agence américaine Associated Press (AP), qui dispose d'un bureau permanent à Pyongyang, a confirmé point par point la dépêche de leurs confrères nord-coréens, tout en apportant des précisions : âgé de 44 ans et né en Corée du Sud avant d'être naturalisé américain, vivant dans l'Etat de Washington, Pae Jun-ho (dont le nom américain est Kenneth Bae, les patronymes "Pae" et "Bae" correspondent à deux translittérations différentes du même nom de famille coréen) dirige une agence de voyage spécialisée dans les visites de touristes et d'hommes d'affaires en Corée du Nord. Il accompagnait un groupe de cinq Européens lors de son arrestation à Rason.

 

Par ailleurs, les journalistes américains d'AP ont précisé que la ville de Rason, qui a le statut de zone économique spéciale, est située à la frontière sino-coréenne et à proximité de Yanji, en Chine, qui est une base arrière des groupes chrétiens engagés dans des filières de défection de Nord-Coréens de leur pays. AP n'a toutefois donné aucun élément permettant d'attester si Pae Jun-ho était, ou non, en contact avec ces groupes.

 

Les membres de la famille de M. Pae n'ont pas souhaité parler à la presse, pour ne pas compliquer sa libération. Nous formulons le voeu, à l'AAFC, que les médias respectent leur volonté, dans une situation extrêmement pénibles pour eux.

 

Sur la nature des délits commis, et qualifiés de crime dans la législation pénale de la RPDC, plusieurs explications ont été avancées, mais AP est très prudente faute manifestement de possibilité de recoupement des sources : d'après un quotidien sud-coréen, des officiels nord-coréens auraient découvert un disque dur en possession de M. Pae et contenant des informations sensibles sur la Corée du Nord ; selon des activistes sud-coréens anticommunistes, M. Pae aurait pris des photos d'orphelinat en vue d'une action humanitaire, qui auraient été considérées comme de la propagande anti-RPDC... Cette dernière explication présente toutefois une contradiction : si l'objectif avait été d'aider les orphelinats, en liaison donc avec les autorités nord-coréennes pour la distribution finale de l'aide comme le font les ONG présentes dans le pays, les photos auraient alors été prises au vu et au su des accompagnateurs nord-coréens du groupe, et jamais une telle situation ne conduit à l'arrestation d'un visiteur étranger en Corée du Nord (la sanction la plus lourde étant que les photos soient effacées, à la demande des Nord-Coréens). En revanche, si les photos ont été prises en cachette, elles avaient alors un autre objectif qu'une action à caractère humanitaire. Mais leur seule prise ne justifie ordinairement pas une mesure d'arrestation : la sanction encourue est une simple expulsion, après confiscation des photos et du matériel.

 

Lors des nombreux voyages de délégations de l'AAFC en Corée du Nord, il ne nous a jamais été rapporté un seul cas d'arrestation de visiteur étranger. Sur les milliers de personnes faisant partie des groupes étrangers lors des déplacements de l'AAFC, il nous a été rendu compte d'un seul cas, en 2005, de menace d'expulsion suite à ce que les Nord-Coréens considéraient comme des critiques répétées de leur système politique et de leurs dirigeants. Cette menace n'a d'ailleurs pas été mise à exécution. L'arrestation de Pae Jun-ho, qui a figuré parmi les premiers titres des nouvelles de l'agence KCNA dans son édition du 21 décembre, correspond bien à une situation rarissime. 

 

Quand les autorités nord-coréennes ont des doutes sur ce que pourrait faire une personne demandant à visiter leur pays, et quel qu'en soit le motif, elles ne délivrent pas de visa. Une telle hypothèse n'est pas rare, pour tous les Etats, à l'égard de visiteurs jugés indésirables : le formulaire d'entrée aux Etats-Unis ne comprend-il pas une longue liste de déclarations sur l'honneur dont il ressort, entre autres, que les militants communistes ne sont pas les bienvenus ? Alors que des situations d'expulsion - voire d'arrestation - entraînent des imbroglios juridiques, le refus d'un visa correspond en revanche à la mise en oeuvre du droit souverain d'un Etat, non susceptible de recours contentieux. En l'espèce et selon toute vraisemblance, M. Pae Jun-ho - dont les activités professionnelles pouvaient justifier une méfiance des officiels nord-coréens, un certain nombre d'espions  ayant comme couverture un travail dans une agence de voyage - a été arrêté en raison d'activités menées en RPD de Corée, à l'issue d'une enquête relativement longue, ayant duré un mois et demi, depuis son entrée à Rason le 3 novembre jusqu'à l'annonce de sa mise en examen le 21 décembre, dans l'attente d'un procès.



Un des meilleurs experts sud-coréens de la Corée du Nord, par ailleurs francophone et formé en France où il a publié aux éditions L'Harmattan le très documenté (mais désormais daté) Idéologie et système en Corée du Nord : de Kim Il-Sông à Kim Chông-il, Cheong Seong-chang a déclaré à l'agence AP que cette arrestation, peu banale, serait un "prétexte" des Nord-Coréens pour réouvrir le dialogue avec les Etats-Unis, suite au lancement de la fusée Unha-3, qui pourrait conduire à de nouvelles sanctions internationales contre la RPDC.



L'interprétation de M. Cheong, non remise en cause par les journalistes d'AP, est séduisante. Le problème est qu'elle ne coïncide pas avec les dates de l'arrestation de M. Pae, le 3 novembre, bien avant l'annonce du lancement de la fusée Unha-3, et dont M. Cheong se hasarde à considérer, à l'instar de son gouvernement, qu'elle conduira à de nouvelles sanctions qui requièrent l'accord de la Chine au sein du Conseil de sécurité. Par ailleurs, M. Cheong semble considérer comme acquis - en parlant de "prétexte" - une manoeuvre des Nord-Coréens, alors que nous avons montré qu'il existe de forts soupçons sur les actes qu'aurait commis M. Pae, et qu'il a par ailleurs admis. Précisons - ce que ne fait malheureusement pas AP - que Cheong Seong-chang travaille pour le ministère sud-coréen de la défense et qu'il est donc lié au milieu sud-coréen du renseignement (qui travaille étroitement avec la CIA sur la Corée du Nord) : il a le profil idéal pour induire, dans l'opinion publique occidentale, une thèse favorable aux intérêts des Etats-Unis, en accréditant l'idée d'une arrestation injuste pour que Washington négocie en meilleure position avec la RPDC. Car si le gouvernement américain avait été plus à l'aise sur le cas de M. Pae (et ils ont dû se renseigner, ne serait-ce que via les cinq Européens qui l'accompagnaient), il n'aurait pas attendu la publication de la dépêche nord-coréenne, en utilisant ses traditionnels relais d'opinion dans les médias américains ou sud-coréens.



En revanche, nous partageons pleinement l'analyse de M. Cheong Seong-chang lorsqu'il observe que les négociations de haut niveau pourraient reprendre, à cette occasion, entre Washington et Pyongyang. Il faut en effet rappeler le précédent de deux journalistes américaines d'origine asiatique, entrées illégalement en Corée du Nord pour un reportage sur les défecteurs nord-coréens. Elles avaient commis une erreur professionnelle majeure en s'en remettant à un passeur qui, semble-t-il, aurait renseigné les autorités nord-coréennes et permis leur arrestation en flagrant délit. Comme, à notre connaissance, tous les autres Américains arrêtés en Corée du Nord depuis la fin de la guerre, elles avaient finalement pu revenir aux Etats-Unis en bénéficiant de la clémence du dirigeant Kim Jong-il, à l'issue d'un procès où elles avaient plaidé coupable. Mais au-delà de leur sort personnel, un autre événement avait retenu l'attention des médias : l'ancien président américain Bill Clinton était venu personnellement à Pyongyang négocier leur libération avec le dirigeant Kim Jong-il, renouant les fils du dialogue diplomatique entre les Etats-Unis et la RPDC. Les faits avaient eu lieu au printemps et à l'été 2009 ; quelques mois plus tôt, un essai nucléaire nord-coréen était intervenu le 25 mai 2009.

 

Mais tous les citoyens américains arrêtés en Corée du Nord ne bénéficient pas d'une telle mobilisation de l'appareil d'Etat de leur pays : quelque dix ans plus tôt, un autre Coréen Américain, James Kim, avait été arrêté car soupçonné espionnage. Libéré après plusieurs semaines d'emprisonnement, quelques années plus tard il avait pu rencontrer le dirigeant Kim Jong-il, avant de fonder la première université privée en RPD de Corée, la Pyongyang University of Science and Technology (PUST). Toutefois, dans le cas de James Kim on peut raisonnablement parler d'une erreur du système judiciaire nord-coréen, et la RPDC n'a d'ailleurs donné aucun retentissement médiatique à cette affaire (contrairement au cas de Pae Jun-ho). Comme en Occident, il y a d'ailleurs bien eu une forme d'indemnistation de l'erreur judiciaire : la compensation pour James Kim a été de pouvoir réaliser son rêve de mener des projets de coopération avec la Corée du Nord, comme aucun autre Coréen Américain ne l'avait fait jusqu'alors.



Sources : AAFC, AP (citée par The Seattle Times), KCNA (dépêche du 21 décembre 2012).

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