Un nouveau scandale lourd de sens pour la démocratie sud-coréenne éclabousse les services secrets (National Intelligence Service, NIS) de la République de Corée : un réfugié nord-coréen, Yoo Woo-sung (photo ci-dessous) a été impliqué dans une affaire d'espionnage au profit de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), dont les éléments à charge ont été fabriqués de toutes pièces. En attaquant des innocents, la fabrique à espions qu'est devenu le NIS s'affirme non seulement comme l'un des principaux instruments de l'actuelle dérive autoritaire de la République de Corée (du Sud) : elle a également franchi un nouveau cap dans ses modes d'action. A cet égard, la tentative de suicide de l'un de ses informateurs, que le NIS a tenté de charger, montre jusqu'où sont prêts à aller les services de renseignement d'un pays qui a choisi de tourner le dos aux standards démocratiques.
Nord-Coréen d'ethnie chinoise s'étant établi en Corée du Sud il y a dix ans, Yoo Woo-sung était devenu un agent public de la ville de Séoul. Puis il a été accusé d'avoir espionné les réfugiés nord-coréens vivant au Sud, sur la base de pièces à conviction dont il devait apparaître qu'elles étaient des faux fabriqués par les services secrets sud-coréens (NIS) ou le ministère public. Après avoir été acquitté, Yoo Woo-sung a décidé, le 7 janvier 2014, de porter plainte : "j'ai demandé à la police d'inculper un membre non identifié du ministère public ou du NIS pour avoir produit de fausses accusations et fabriqué des preuves relevant de la loi de sécurité nationale".
Les faux documents ont prêté à Yoo Woo-sung des dates supposées d'entrée et de sortie en Chine et en Corée du Nord (où il aurait résidé du 27 mai au 10 juin 2006, afin d'accréditer la thèse de la transmission d'informations aux autorités nord-coréennes), alors que Yoo prétend avoir séjourné en RPD de Corée du 23 au 27 mai 2006, lors des funérailles de sa mère. La falsification des documents officiels chinois a porté sur la transformation de la date d'entrée en date de départ, et l'apposition d'un tampon au nom d'une agence gouvernementale chinoise qui n'existe pas. Par ailleurs, le ministère public avait fait passer des photos prises en Chine en 2012 pour des photos qui auraient été prises en Corée du Nord.
Les autorités consulaires chinoises ayant confirmé l'authenticité des documents présentés par Yoo et que ceux présentés par le ministère public sud-coréen étaient des faux, une enquête a été lancée par le Gouvernement chinois contre les auteurs de la falsification de documents officiels - un délit qualifié de crime dans la législation chinoise. A cette fin, elles ont requis la coopération des autorités sud-coréennes pour identifier les coupables. L'enquête avait été conduite par le NIS, avant que ses résultats ne soient transmis au procureur. Les auditions parlementaires ont confirmé l'implication d'un agent du NIS agissant sous couverture diplomatique pour la fourniture de deux des pièces qui se sont avérées être des faux.
Le NIS a alors tenté de charger l'un de ses informateurs chinois (donc libre de voyager sans visa en Corée du Nord), rémunéré pour l'acquisition des faux, et que l'on appellera Kim. Kim a tenté de se suicider (photo ci-dessous, à l'hôpital St-Mary dans le quartier Yeouido de Séoul). Avant de passer à l'acte, Kim avait écrit avec son sang le nom du NIS sur le mur de sa chambre d'hôtel. Il avait laissé quatre lettres : à la présidence sud-coréenne, aux procureurs chargés de l'affaire, aux dirigeants des partis d'opposition Kim Han-gil et Ahn Cheol-su et à son fils.
Alors qu'elle est loin d'être close, l'affaire Yoo Woo-sung est symptomatique de l'état de déliquescence de la démocratie sud-coréenne, dans le silence une nouvelle fois assourdissant de la Présidente Park Geun-hye. Les institutions sud-coréennes sont touchées par une collusion - sans équivalent dans des pays démocratiques en période de paix - entre services de renseignement et ministère des affaires étrangères, une volonté d'étouffer un scandale grandissant et les tentatives de diversion du pouvoir et de ses relais habituels. Après qu'un député du parti Saenuri (conservateur, au pouvoir) a déclaré que les faux documents pourraient correspondre à une manipulation des services secrets chinois au profit de la Corée du Nord (sic), des médias conservateurs ou à capitaux publics sud-coréens ont opportunément mis en avant le suicide d'une candidate dans une émission de télé-réalité - au moment du suicide de Kim. The show must go on...
Sources : Hankyoreh (articles du 8 janvier 2014, dont photo de Yoo Woo-sung ; du 15 février 2014 ; du 22 février 2014 ; du 7 mars 2014, dont photo de Kim).
Mise à jour du 10 mars 2014 : interpellés par "Kim", les dirigeants de l'opposition Kim Han-gil et Ahn Cheol-su ont demandé des explications à la Présidente Park Geun-hye, ce qui a entraîné une plus large publicité dans les médias sud-coréens et par l'agence Yonhap. Suite à une réunion avec ses conseillers le 10 mars 2014, la Présidente Park a évoqué publiquement cette affaire, en affichant ses "regrets" sur la "polémique" née de la "falsification supposée d'éléments de preuve". Si les termes utilisés évitent à ce stade de mettre en cause les institutions sud-coréennes, l'engagement du chef de l'Etat qu'une enquête approfondie soit conduite ouvre la possibilité de faire éclater la vérité, ce dont on ne peut que se féliciter (source : Yonhap).
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