La signature de l'armistice de la Guerre de Corée, il y a 60 ans le 27 juillet 1953, est célébrée en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) comme une victoire dans la guerre pour la libération de la patrie, menée contre l'impérialisme américain. Cette interprétation peut surprendre en Occident, où la lecture communément admise est qu'il s'agit d'une guerre sans vainqueurs ni vaincus, puisque la séparation de la Corée a été confirmée de part et d'autre du 38e parallèle - même si la zone démilitarisée, établie en 1953, n'en épouse pas exactement le tracé. Toutefois, une lecture plus fine montre la capacité des Nord-Coréens et de leurs alliés chinois à avoir su faire face, avec succès, à la puissance de feu des troupes des Nations Unies sous commandement américain. Ce n'est pas un mince exploit. La supériorité technologique des Etats-Unis, combinée à la peur de basculer dans une guerre mondiale où seraient intervenus les Soviétiques et les Chinois, a notamment failli avoir comme conséquence une nouvelle utilisation par les Américains de l'arme atomique, après les bombardements de Hiroshima et Nagasaki en 1945.
Fin 1950 : les troupes de l'Armée populaire de Corée, épaulées par les volontaires chinois, ont reconquis une large partie de la Corée du Sud, soulevant un vent de panique aux Etats-Unis, alors que dans la péninsule le général MacArthur, qui commande les troupes des Nations Unies, surévaluait le nombre de soldats chinois pour justifier le retournement de situation. Comme l'indiquent les comptes rendus des conseils tenus par l'administration américaine de l'époque, le Président Harry Truman craignait alors le déclenchement de la Troisième Guerre mondiale. Dans une conférence de presse donnée le 30 novembre 1950, il déclara que les Etats-Unis pourraient utiliser l'ensemble des armes disponibles dans leur arsenal, y compris l'arme nucléaire. Comme l'indique l'historien américain Bruce Cumings, il s'agissait bien d'une menace brandie dans le contexte d'une situation d'urgence et pas d'un faux pas, car le même jour il fut donné l'ordre à l'aviation américaine de se tenir prête à larguer sans délais des bombes atomiques en Extrême-Orient.
Le Premier ministre britannique Clement Attlee était suffisamment inquiet d'une telle éventualité pour qu'il demande à rencontrer Truman, afin d'avoir la promesse écrite que l'arme nucléaire ne serait pas utilisée. N'ayant obtenu que des assurances orales, Clement Attlee déclara au Premier ministre français que, selon lui, les menaces américaines d'utiliser la bombe signifieraient que "les Européens et les Américains n'ont que peu de considération pour les vies asiatiques". Selon Attlee, de telles armes devaient être réservées à des situations désespérées, et "certainement pas dans un conflit où les Etats-Unis sont confrontés à une puissance comme la Corée".
Le 9 décembre 1950, le général MacArthur déclara qu'il souhaitait avoir le commandement sur l'usage d'armes nucléaires, à sa seule discrétion, et le 24 décembre il soumit une liste de cibles pour lesquelles il déclara avoir besoin de 26 bombes, auxquelles s'ajouteraient 8 bombes à lâcher sur les "forces d'invasion" et sur des "concentrations critiques de la puissance aérienne de l'ennemi". Dans des entretiens publiés ensuite, MacArthur affirmait que 30 à 50 bombes lui auraient suffi pour terminer la guerre "en dix jours" : il aurait créé une ceinture radioactive de cobalt entre la mer de l'Est et la mer Jaune, qui aurait empêché toute vie dans cette région humaine pendant 60 à 120 ans et interdit la pénétration de troupes chinoises et soviétiques par le Nord de la péninsule. La même idée de "cordon sanitaire" avait déjà été évoquée dans une réunion technique du Comité des chefs d'état-major interarmées (JCS) des Etats-Unis lors de l'intervention chinoise, et le parlementaire américain Albert Gore - père de l'ancien vice-président Al Gore - avait ensuite évoqué de créer une ceinture radioactive.
En avril 1951, la possible utilisation de l'arme atomique fut à nouveau d'actualité. Le 11 avril, le Président Truman remplaça MacArthur - lequel avait encore demandé le 10 mars de pouvoir conduite un "D Day atomique" - par un commandant qui serait plus fiable quant à un recours à l'arme nucléaire. En effet, les Soviétiques avaient positionné 200 bombardiers en Mandchourie, d'où ils auraient pu atteindre les bases américaines au Japon, et les Chinois avaient massé des forces à la frontière avec la Corée. Des bombardiers américains furent alors positionnés à Okinawa, avec l'ordre - donné le 5 avril - de mener une contre-attaque impliquant l'usage de l'arme nucléaire en cas de bombardement soviétique contre les troupes américaines ou d'un afflux important de troupes chinoises en Corée. D'autres bombardiers pouvant larguer des bombes atomiques étaient mis en place à Guam. Toutefois, l'absence d'escalade par les Soviétiques et les Chinois désarmorça à nouveau le risque d'un recours américain à l'arme atomique.
Le JCS considéra une troisième fois la possible utilisation d'armes nucléaires à partir de juin 1951 et jusqu'à la fin de la guerre, le 27 juillet 1953, en tant qu'arme tactique qui serait déployée sur le champ de bataille. Ce projet baptisé Vista donna lieu à un déplacement en Corée de Robert Oppeinhemer pour en étudier la faisabilité. Les bombardiers B-29 auraient pu être utilisés à cette fin, selon le plan opérationnel Hudson Harbor : des vols de reconnaissance avec largage de bombes factices furent ainsi effectués en septembre et octobre 1951 depuis la base d'Okinawa. L'usage de bombardiers pour terroriser les Nord-Coréens, auquel les Américains ont à nouveau eu recours au printemps 2013, correspond donc bien à une idée récurrente du commandement américain.
Par ailleurs, début 1951, ayant observé la reprise de Séoul par les troupes de l'ONU sous commandement américain, Samuel Cohen, le père de la bombe à neutron, envisagea la possibilité de tuer l'ennemi sans détruire ses villes.
A défaut de l'arme atomique, les troupes américaines ont fait le premier usage à grande échelle du napalm, déversé par avion dans les vallées du Nord de la péninsule, après une première utilisation de cette arme nouvelle à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, les bombardements conventionnels furent utilisés à une échelle sans précédent avec des bombes d'une taille inédite, le général MacArthur ayant donné l'ordre de détruire toute installation, ville ou village près de la frontière avec la Chine. Le 8 novembre 1950, 8 bombardiers B-29 lâchèrent 550 000 tonnes de bombes sur Sinuiju, afin de la "rayer de la carte". Après l'offensive des Nord-Coréens et des Chinois au Sud, mi-décembre, les avions américains détruisirent sous un tapis de bombes les principales villes du Nord, MacArthur donnant notamment l'ordre de "brûler" Pyongyang. La censure interdisit bientôt de faire le récit de ces atrocités dont les civils furent les premières victimes - George Barrett ayant rendu compte d'hommes, de femmes et d'enfants figés dans la mort suite à une attaque au napalm, dans un village situé au nord d'Anyang.
Certes, il n'existe pas de guerre propre. Toutefois, dans le cas du conflit qui, en Corée, fit quelque trois millions de victimes, en premier lieu des civils, la puissance de feu et le choix de bombardements systématiques par l'armée américaine pour exercer une pression psychologique ont largement fait pencher la balance des atrocités du côté des Etats-Unis. Au moment où l'Association d'amitié franco-coréenne, avec d'autres, plaide pour mettre un terme définitif à la Guerre de Corée - un simple cessez-le-feu a été signé le 27 juillet 1953 -, il ne faudrait pas, même au nom d'une nécessaire réconciliation, taire ce qui a été commis en Corée par une armée et un gouvernement qui ont été à deux doigts d'utiliser la plus effroyable des armes. MacArthur n'était pas le maniaque isolé voulant à tout prix utiliser l'arme atomique que d'aucuns veulent décrire : il représentait des idées alors en vogue dans le commandement américain et à la présidence des Etats-Unis. C'est le fil des événements, et non la mise à l'écart de supposés faucons, qui a d'abord empêché la concrétisation de ces terribles projets.
Source : Bruce Cumings, Korea's place in the Sun, Norton and Company, New York, 2005, pp. 288-295