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14 mars 2015 6 14 /03 /mars /2015 23:45

Le 14 mars 2015, l'Alliance coréenne et l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) ont organisé une journée d'études et de débats dans le cadre de la quatrième conférence internationale de Paris sur la Corée. Alors que les atteintes de plus en plus graves aux droits de l'homme et aux libertés publiques en République de Corée (Corée du Sud) exigent une mobilisation internationale d'ampleur pour sauver la démocratie sud-coréenne, c'est dans une ambiance de lutte que les participants, français et coréens (dont une délégation de Coréens d'Allemagne), ont échangé sur les moyens nécessaires à la victoire dans le combat pour la paix, la réunification et les droits de l'homme dans la péninsule coréenne.

En ouverture de la conférence, Stephen Cho, directeur de l'Institut de recherches coréennes du XXIe siècle, a rappelé la gravité de la situation en Corée du Sud : après l'interdiction en décembre 2014 du Parti progressiste unifié, dont il était membre, les perquisitions au siège et aux domiciles de plusieurs membres de l'Alliance coréenne, co-organisatrice du colloque, témoignent d'un climat nouveau de répression dans la Corée du Sud de Mme Park Geun-hye, fille du général Park Chung-hee ayant dirigé la junte militaire au pouvoir à Séoul après le coup d'Etat qu'il avait fomenté en 1961 avec l'appui des troupes américaines présentes au sud de la péninsule. La récente agression de l'ambassadeur américain Mark Lippert, dans un contexte de manoeuvres américano-sud-coréennes faisant courir un risque de guerre dans la péninsule, sert ainsi de prétexte à un renforcement annoncé de l'appareil répressif policier-militaire au nom de la lutte contre le "terrorisme", utile fourre-tout pour réprimer les mouvements d'opposition.

Animateur des débats, Benoît Quennedey, vice-président de l'AAFC chargé des actions de coopération, a souligné le tribut versé par les militants pour la paix et la réunification en Corée - Stephen Cho ayant lui-même été emprisonné pendant sept ans de 1992 à 1999. Il a aussi rappelé le combat constant de l'AAFC pour la démocratie en Corée du Sud, et la nécessité d'organiser la solidarité en France et à l'étranger : tel est le rôle du Comité d'initiative contre la répression politique en Corée du Sud, constitué le 22 janvier 2015. Plus le comité s'élargira, plus il pourra peser pour la défense des droits politiques et sociaux en Corée du Sud.

L'économiste Samir Amin a resitué la question coréenne dans le contexte de l'évolution du système mondial depuis 1945 : il y a soixante ans, la conférence de Bandung, en avril 1955, a marqué l'émergence d'un monde multipolaire après la libération des peuples d'Asie et d'Afrique, en vue de compléter l'indépendance politique par l'indépendance économique. Des projets nouveaux ont été mis en place dans les différents pays non alignés : dirigés par des bourgeoisies à vocation nationale, ces projets ont été nationaux, mais pas démocratiques, dans le sens où il n'ont pas impliqué de participation active et autonome des classes populaires. Malgré ces limites, ils n'en ont pas moins permis des progrès économiques et sociaux significatifs, avant un reflux au lendemain de la conférence de Cancun, en 1981, qui a vu le retour des puissances impérialistes états-unienne et européennes. Mais les récentes insurrections populaires, comme en Egypte, ont marqué une volonté de reconquérir la souveraineté nationale, tout en amorçant des formes nouvelles de solidarité économique - au sein du groupe de Shanghaï, de l'ALBA ou du projet de banque des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).

Colloque sur la Corée : un parfum de luttes pour gagner les batailles de la démocratie et de la paix

Le professeur de philosophie Jean Salem a ensuite resitué ces enjeux internationaux pour la péninsule coréenne, en s'appuyant sur un article à paraître de Rémy Herrera, qui n'a pu être présent à la conférence. Si la Corée du Sud a accompli d'indéniables progrès économiques depuis 1960, les louanges sur la Corée du Sud de certains "ravis de la crèche" ignorent les failles grandissantes de la démocratie sud-coréenne. L'absence de participation populaire et les atteintes aux droits des travailleurs représentent des tares fondamentales, alors que la Corée du Sud reste un pays dominé économiquement, politiquement et militairement, la présence de près de 30 000 soldats américains se doublant du versement de 900 millions de dollars annuels par la Corée du Sud aux troupes d'occupation. Néanmoins, le puissant mouvement étudiant a créé les conditions d'un changement de perception des problèmes politiques et sociaux, qui a permis une démocratisation après 1987. Depuis l'élection controversée de la candidate conservatrice Mme Park Geun--hye en 2012, les symptômes d'une dérive autoritaire font courir un danger de mort clinique à la démocratie sud-coréenne conquise de haute lutte par les militants progressistes : interdiction du Parti progressiste unifié, représenté au Parlement, dans des conditions ignorant les standards démocratiques internationaux ; ingérence politique de l'agence nationale de renseignement (NIS) sanctionnée par la condamnation à une peine de prison ferme, en février 2015, de son ancien directeur ; atteintes au droit syndical et à la liberté d'expression. La solidarité internationale n'en apparaît ainsi que plus nécessaire.


L'avocat Roland Weyl, fondateur de l'Association internationale des juristes démocrates, a souligné la nécessité de rendre possible l'exercice par les Coréens de leur droit à la souveraineté nationale, bafoué par la division du pays en 1948. Ce combat doit s'inscrire dans le cadre du droit international public, et des principes consacrés par la Charte des Nations Unies en 1945 et trop souvent bafoués par les Nations Unies elles-mêmes. L'Etat n'est que l'instrument de l'exercice par les peuples de leur souveraineté. La réunification doit s'envisager en prenant en compte les moyens d'expression des deux parties du peuple coréen, pour qu'il recouvre son unité et sa souveraineté, alors que la guerre de Corée s'est soldée par un accord d'armistice dont l'article 4, inappliqué depuis plus de 60 ans, prévoyait la tenue d'une conférence sur la Corée dans un délai de trois mois.

Le professeur Robert Charvin, ancien doyen de la faculté de droit de l'Université de Nice, a mis en exergue la nécessité constante de dépasser les approches caricaturales qui continuent de prévaloir sur la Corée : ignorance des conséquences de l'embargo sur la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) ; illusion tenace, entretenue par les médias, que la Corée du Sud du régime militaire aurait été un pays "en voie de démocratisation", comme s'évertuait à le faire croire un grand quotidien du soir. Au-delà des faux prétextes du nucléaire et des droits de l'homme, utilisés comme des arguments à géométrie variable par les diplomaties occidentales, la péninsule coréenne a souffert de sa position géopolitique, qui l'a placée au coeur des rivalités d'intérêts entre les grandes puissances. Mais la coréanité traduit un attachement à la souveraineté nationale et un refus de l'uniformité qui est un facteur puissant d'essor et de développement pour le peuple coréen, que l'on retrouve tant dans l'unité monolithique du Nord, vilipendée par occidentalo-centrisme, que dans les luttes sociales et politiques des militants progressistes au Sud.

Colloque sur la Corée : un parfum de luttes pour gagner les batailles de la démocratie et de la paix

Récemment interdit d'entrée en Corée du Sud, Patrick Kuentzmann, secrétaire général de l'AAFC, a mis en exergue l'orchestration de la répression par les forces gouvernementales sud-coréennes, lesquelles suivent la "partition" d'une législation répressive anti-démocratique, la loi de sécurité nationale, adoptée en 1948 au lendemain du soulèvement dans l'île de Jeju, orchestrée par un appareil répressif surdimensionné, instrumentalisé à des fins politiques par les conservateurs qui ont dominé la scène politique sud-coréenne pendant six des sept décennies de l'après-1945 : l'actuelle agence nationale de renseignement (National Intelligence Service, NIS), est l'héritière d'une agence impliquée dans les enlèvements de citoyens sud-coréens à l'étranger, la torture et les meurtres d'opposants, tout au long d'une répression politique qui a conduit à l'élimination de milliers de militants, progressistes ou libéraux, pour la seule année 1980. Son programme d'action est inspiré de ses devanciers américains, le FBI et la CIA de la Guerre froide : propagande, contre-espionnage, rumeurs et désinformations, assassinats de dirigeants. Les opposants sud-coréens à l'étranger, comme les militants étrangers pour la réunification et la démocratie sociale et politique, sont, aujourd'hui comme hier, ses cibles privilégiées. La constitution à Paris du Comité d'initiative contre la répression politique en Corée du Sud a été la réponse nécessaire au danger accru que fait peser l'actuel gouvernement sud-coréen sur la démocratie et les libertés, sur le sol de la péninsule coréenne et dans le monde, et qui exige l'alliance la plus large de tous ceux qui refusent l'ingérence étrangère. 

Intervenant au nom de l'Alliance coréenne, Stephen Cho a souligné que l'interdiction soudaine du Parti progressiste unifiée ne correspondait à aucun changement de ligne politique dans la gauche sud-coréenne, constituée en parti depuis 2000 (le Parti démocratique du travail, très lié au syndicat indépendant KCTU), et qui avait toujours respecté les limites imposées à la liberté d'expression par la loi de sécurité nationale. La chute de popularité de la présidente sud-coréenne, confrontée à une colère grandissante après la gestion désastreuse du naufrage du ferry Sewol le 16 avril 2014, et les scandales dans son entourage immédiat ont requis de détourner l'attention de l'opinion publique en ciblant l'opposition radicale. La décision d'interdiction du Parti progressiste unifié n'a reposé ni sur des bases juridiques solides, ni sur des faits matériels avérés, en l'absence de preuves quant à la prétendue existence de l'organisation révolutionnaire qu'aurait constituée un des députés du parti, déchu de son mandat et condamné pour complot contre l'Etat, Lee Seok-ki. Elle a révélé l'absence d'indépendance du pouvoir judiciaire et de l'exécutif, et a été le point d'orgue d'une répression commencée à Séoul dès l'accession au pouvoir du conservateur Lee Myung-bak, avec des condamnations de journalistes, un recours accru à la loi de sécurité nationale et l'interdiction de syndicats. La grève que lancera la KCTU, et les manifestations prévues prochainement un an après le naufrage du Sewol, témoignent néanmoins de la résistance du peuple sud-coréen face à l'arbitraire.

Tout au long d'un débat très riche, des discussions ayant ponctué les interventions des conférenciers, les participants ont souligné la nécessité de faire converger les luttes sociales et politiques, en Corée, en France et dans le monde. Ils ont aussi exprimé leur intention de peser sur les institutions nationales françaises, pour que ne soit plus ignorée l'inquiétante dérive autoritaire de la Corée du Sud, au moment où le Président François Hollande a annoncé son prochain déplacement à Séoul. Les années croisées France-Corée (septembre 2015 - décembre 2016), en mettant en lumière les relations franco-coréennes, constitueront une occasion privilégiée de mettre en exergue la dérive autoritaire à Séoul, de même que l'approche des Jeux olympiques de Séoul en 1988 avait conduit les autorités sud-coréennes à lâcher du lest alors que leurs violations des droits de l'homme avaient été ainsi mises sous les feux de la rampe.

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