Hier soir à Sao Paulo, la Corée du Sud s’est inclinée devant la Belgique 0-1, une défaite synonyme d’élimination après le match nul contre la Russie (1-1) et la lourde défaite concédée à l’Algérie (4-2) dimanche dernier dans le groupe H. Dernier espoir de qualification pour la Confédération asiatique dans la coupe du monde brésilienne, l’équipe sud-coréenne n’a pas fait long feu et rentre à la maison avec ses homologues continentales : Iran, Australie et Japon. Chronique d’une déception annoncée.
Le match : mission impossible pour les guerriers Taeguk
Entrés dans le mondial avec un but gag de l’attaquant Lee Keun Ho contre la Russie, la Corée du Sud de Hong Myung-bo quitte finalement le mondial la tête basse. Versée dans un groupe difficile mais « prenable », en compagnie de la Russie, de l’Algérie et de la Belgique, la sélection du pays du Matin calme nourrissait quelques espoirs de rééditer sa performance du mondial 2010, où elle s’était sortie d’un groupe encore plus ardu (Argentine, Nigéria, Grèce) pour s’incliner de justesse contre les Uruguayens (2-1) en huitièmes. En vain.
Entraînée par le légendaire Hong Myung-bo, capitaine de la glorieuse épopée de 2002, l’équipe reposait sur un socle de jeunes joueurs auréolés d’une médaille de bronze aux Jeux olympiques de Londres (2012) et se targuait en outre de quelques talents expatriés avec succès en Europe : Lee Chung-yong (Bolton), Son Heung-min (Leverkusen), Park Joo-ho (Mainz), Kim Bo-kyung (Cardiff), etc. Elle était débarrassée de la plupart des éléments de 2010 et ne présentait plus aucune « scorie de 2002 ». Mais sans « onze-type » et après 2 matchs amicaux catastrophiques début juin (défaites contre le Ghana et la Tunisie), les Coréens entraient dans la compétition la peur au ventre. La défense centrale paraissait friable, l’attaque peu efficace, le milieu brouillon. Le public coréen désapprouvait la sélection d’un Park Chu-young à court de compétitions, et que le brassard de capitaine échoie au jeune Gu Ja-cheol avait de quoi déconcerter les spécialistes. En l’absence du héros national Park Jin-sung, retraité, ou était d’ailleurs le leader de cette équipe ? C’est simple, il n’y en avait pas.
Le premier match contre la Russie confirmait hélas le malaise. Les Sud-Coréens jouaient contractés, mal assurés dans leurs gestes, peu inspirés et jamais dangereux. Par chance, la Russie ne se montrait étonnamment guère entreprenante. C’est donc un peu par bonheur que les Sud-Coréens ouvraient le score en deuxième mi-temps, par le remplaçant Lee Keun-ho (attaquant élu joueur asiatique de l’année en 2012 par l’AFC) après avoir pataugé une mi-temps. Un but qui devait plus à la maladresse insigne du portier russe Akinfeev qu’à la qualité de frappe du natif d’Incheon. Malheureusement, dix minutes plus tard, Koo Ja-cheol et ses coéquipiers gâchaient leur précieux avantage en concédant un but stupide à la Russie (Kerzhakov, 74ème), et n’obtenaient finalement que le nul.
Ce but sonnait en fait le glas des espoirs coréens et annonçait une déconfiture spectaculaire, prenant toute sa dimension lors du second match contre l’Algérie. Cette fois encore, les Coréens entraient dans le match sans conviction, timorés, perdus, subissant la loi des enthousiastes « Fennecs » de Vahid Halillodzic. En une mi-temps, ils encaissaient trois buts, et demeuraient groggys (0-3). Il fallut de bien vertes remontrances du « coach Hong » dans les vestiaires pour que les guerriers Taeguk retrouvent sur la pelouse leur « tuhon », l’esprit de combativité qui est normalement la marque de fabrique de la sélection sud-coréenne. Mais si la jeune star de l’équipe Son Heung-min trouvait avec talent le chemin des filets en 5 minutes seulement (50ème, 1-3), les Coréens voyaient leur siège imprudent des cages de M’Bohli sanctionné par un cruel quatrième but sur un contre algérien à l’heure de jeu (Brahimi, 62ème). Maintenus sous pression, les guerriers Taeguk trouvaient la ressource pour réduire encore la marque par Koo Ja-cheol (4-2) et tentaient courageusement leur chance, sans succès. Première défaite et coup de massue au moral.
L'entraîneur Hong Myung-bo, 136 sélections nationales, 4 participations en coupe du monde (1990, 1994, 1998 et 2002)
Dès lors, alourdis par une différence de buts extrêmement défavorable, nos Coréens n’avaient déjà plus leur destin entre leurs mains. Ils se voyaient condamnés à vaincre la toute puissante Belgique (qui avait entretemps dominé le groupe en vainquant Algériens et Russes) par plusieurs buts d’écart au troisième match en espérant un nul entre Algériens et Russes pour se qualifier. Autant dire mission impossible. Et ce qui devait arriver arriva : la rencontre entre une sélection belge en pleine possession de ses moyens, confiante, conquérante, et une sélection coréenne déboussolée, prête à rentrer chez elle avec des joueurs penauds.
Les Coréens eurent beau se montrer volontaires d’entrée, êtres favorisés par le coup de sang du milieu belge Steven Defour (expulsé juste avant la mi-temps pour un mauvais geste sur Kim Shin-wook), rien n’y faisait : lenteur consternante dans les attaques, absence de combinaisons, de dribbles audacieux, de percées dans les intervalles, centres et décalages toujours laborieux, passes en profondeur mal dosées, incompréhension entre les joueurs, mauvais choix individuels, un véritable catalogue de ratés qui permettait aux Diables rouges de faire tranquillement le dos rond en défense en attendant le moment du contre favorable. Les avants belges Januzaj, Dembélé, puis Chadli et Origi se montraient a contrario menaçants et très capables de trouver la faille par leurs incursions précises et rapides dans le camp coréen.
Balle au pied le plus clair du temps, à 11 contre 10 les Coréens ne donnèrent jamais l’impression qu’ils étaient en mesure de marquer et de bousculer l’équipe européenne. Ils perdaient plutôt leurs nerfs et leur lucidité au fil des minutes. Les deux seules occasions sérieuses furent un centre tir lointain de Son Heung-min qui atterrit sur la barre transversale du gardien Courtois et une talonnade de Lee Keun-ho sur corner, bien contrée par Courtois. Bien maigre pour une équipe censée inscrire trois buts. Aussi, ce fut sans trop de surprises que les 60 000 spectateurs de l’Arena de Sao Paulo virent à la 78ème minute le capitaine Vertonghen envoyer le ballon dans les filets coréens en profitant d’un tir de son coéquipier Origi repoussé par le gardien Kim Seung-kiu (0-1). Un but qui scellait le sort des Coréens, pendant que les Algériens tenaient le nul contre la Russie et validaient leur billet pour les huitièmes. Il y eut bien un dernier face-à-face entre Lee Keun-ho et le portier belge, mais le virevoltant attaquant d’Ulsan envoyait le ballon largement au dessus d’une maladroite pichenette, en même temps que l’espoir de sauver l’honneur.
L’arbitre au coup de sifflet final laissait des Coréens dépités, abattus, déshonorés, mais qui avaient mérité l’élimination, en proposant l’un des jeux les plus médiocres du tournoi. Quant à l’entraîneur Hong, il devait certainement méditer sur son choix : partir, ou rester.
Les joueurs : responsabilité collective ou individuelle ?
Quand le sélectionneur Hong présenta sa liste des 23 joueurs pour la coupe du monde, le public et les journalistes étaient globalement en accord avec les choix du plus capé des joueurs coréens (136 sélections !) mais émettaient de sérieuses réserves : pourquoi retenir l’ancien monégasque Park Chu-young, qui n’avait joué que 2 matchs pour Watford (club du milieu de tableau de la D2 anglaise) sur toute la saison 2013-2014 et plus marqué en sélection depuis novembre 2011 ? Plutôt que des Yun Il-lok, Kim Seung-dae, Lee Dong-guk ou Lee Myung-joo, tous en excellente forme en K-League et qui ne demandaient qu’à rendre service ? Pourquoi maintenir coûte que coûte titulaire le portier Jung Sung-ryong malgré ses piètres performances répétées année après année devant des gardiens autrement plus réactifs (Kim Seung-kyu) ? Pourquoi avoir convoqué si peu de joueurs d’expérience en défense (Cha Du-ri, Lee Jung-soo) et pourquoi une confiance si totale à des jeunes joueurs clairement en manque de temps de jeu en club (Yoon Suk-young, Kim Chang-soo, Han Kuk-young, Park Jong-woo) ? Bref, les choix ne faisaient pas l’unanimité mais le public s’inclinait. Sans doute Hong savait ce qu’il faisait, et peut-être les choix étaient-ils aussi liés à la bonne vie sociale du groupe.
Malheureusement, Hong Myung-bo, venu sur le tard à la sélection (fin juin 2013), succédant en catastrophe à Choi Kang-hee qui avait atteint l’objectif de la qualification au mondial (mais sans la manière), n’a a posteriori pas eu le temps nécessaire pour bâtir une équipe compétitive. Un an, c’est très court, et 16 matchs, peu pour établir une équipe type et une stratégie à long terme. D’autant plus que Hong a voulu imprimer sa patte en écartant des joueurs appréciés de Choi Kang-hee (qui lui avait succédé de décembre 2011 à juin 2013) et de Cho Kwang-rae (juillet 2010-novembre 2011) et qui avaient contribué à la qualification de l’équipe au mondial (Hong Chul, Oh Beom-seok, Jung In-hwan, Park Won-jae, Lee Seung-gi; Lee Dong-guk, Kim Chi-woo, Shin Kwang-hoon, Lee Myung-joo, Kim Jung-woo, Yoon Bitgaram) plutôt qu’en tâchant de gérer l’héritage. L’équipe alignée par Hong au mondial n’avait ainsi été alignée qu’à 2 reprises avant la compétition !
Si l’on passe à présent en revue les performances individuelles des joueurs, voici ce qu’on l’on pourrait dire :
Jung Sung-ryong : découvert par le grand public au mondial 2010, quand il fut choisi comme titulaire au détriment du héros de 2002 Lee Won-jae, cet imposant gardien (1m90) a immédiatement encaissé beaucoup de buts (8 buts en quatre matchs au mondial 2010, 5 en deux matchs cet été) et n’a jamais présenté de garanties sérieuses, même en qualifications. Pourtant, et de manière incroyable, il a gardé la confiance de trois entraîneurs successifs. C’est bien simple, en 4 ans, la Corée a disputé 69 matchs, et Jung n’a su garder ses cages inviolées que 16 fois ! Lenteur, mauvais placement, réflexes inexistants, il aura fallu le carton encaissé contre l’Algérie pour que l’entraîneur Hong admette enfin qu’il n’avait pas le niveau pour le remplacer par Kim Seung-kyu (Ulsan) autrement plus vif et rassurant. Un peu tard.
Kim Young-kwon – Hong Jeong-ho : annoncée comme LA grosse faiblesse de l’équipe coréenne, la paire de defense centrale n’a pas été si catastrophique que cela, mais n’a pas su monter en puissance. On ne peut pas les accabler de reproches sur les trois matchs sur le plan défensif, car ils ont été énormément mis à contribution, mais ils n’ont rien apporté sur les coups de pieds arrêtés où leur gabarit aurait pu favoriser la Corée.
Les latéraux Yoon Suk-young et Lee Yong ont beaucoup plus travaillé défensivement et n’ont pas beaucoup aidé les attaquants en termes de débordements et de centres. Ils ont souvent été dépassés par les attaquants adverses par un mauvais placement (ou replacement) et de piètres anticipations. En phase offensive, ils n’ont jamais combiné avec succès ni offert de courses pouvant faire la différence. Le gaucher Yoon s’est avéré un peu meilleur que son homologue arrière-droit, et on pourrait le revoir en sélection, s’il parvenait enfin à devenir titulaire en Angleterre (Queen Park Rangers).
Les milieux défensifs Ki Sung-Yeung et Han Kook-young ont livré des parties assez viriles (sanctionnées par des cartons jaunes) et courageuses mais ont trop peu apporté le danger sur le front de l’attaque. Ki s’est montré entreprenant à plusieurs reprises avec des tirs lointains sans jamais faire mouche, et n’a jamais pu faire parler la qualité de passe qui avait fait sa réputation, ni trouver la faille entre les lignes adverses. Quant à Han Kook-young, dont les prestations ont été honorables, il a l’excuse de l’inexpérience, mais fallait-il que la Corée paie pour cela ?
Au milieu de terrain, le leader technique Lee Chung-yong était à des années lumières du rayonnement de 2010 : dribbles et débordements souvent ratés, ses passes également, et il s’est trop souvent retrouvé esseulé balle au pied, abandonné par ses coéquipiers. Le gaucher Kim Bo-kyung (Cardiff City), remplaçant en 2010, n’a joué que deux petits bouts de matchs et n’a pas eu un impact majeur, alors qu’on attendait beaucoup de sa vivacité. On imagine que cela a été un mondial très frustrant pour lui. Quant au capitaine Gu Ja-cheol, il s’est montré dans une méforme étonnante, rarement inspiré, manquant de lucidité aux moments clés, même si on lui saura gré d’avoir marqué un but. Bien loin de sa brillante coupe d’Asie (meilleur buteur en 2011) et de ses meilleurs moments avec Ausburg puis Mayence en Allemagne. Une des plus grandes déceptions coréennes du mondial, d’autant plus forte qu’il portait le brassard de capitaine. A revoir à la prochaine coupe d’Asie.
Enfin, parmi les attaquants, seuls Lee Keun-ho et Son Heung-min ont un tant soit peu émergé, inscrivant chacun un but et se débattant comme des beaux diables pour offrir des solutions et créer le danger à chaque match. Le géant Kim Shin-wook n’a pas été à la hauteur (il mesure 2 mètres) de sa réputation, et Park Chu-young a été totalement fantomatique, comme on pouvait hélas s’y attendre vu son manque de compétitions. Quant à Ji Dong-won, il a eu trop peu de temps de jeu pour pouvoir exprimer son talent. Les autres joueurs n’ont pas joué.
Voilà donc un mondial à oublier, si ce n’est pour les leçons cruelles à en tirer, et la Corée du Sud, « Pride of Asia », n’a pas su redorer le blason d’une Asie bien pâle dans cette coupe du monde (Japon, Iran, Australie, tous défaits au premier tour). Elle nous renvoie à sa triste devancière de 1998, celle qui était balayée par le Mexique et la Hollande, celle d’avant les progrès et les fulgurances de 2002-2010. Voici venir le temps des remises en cause pour l’Association coréenne de football (KFA). Et le temps presse déjà : la coupe d’Asie est pour janvier. Le public, quant à lui, a choisi le joueur autour duquel il fallait construire la sélection : Son Heung-min, l’attaquant du Bayer Leverkusen, le joueur coréen le plus jeune à s’être jamais imposé en Europe.