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7 juin 2014 6 07 /06 /juin /2014 16:39

Le nom du scientifique Frank Olson est intimement lié aux recherches menées par l'armée américaine sur les armes biologiques et le contrôle mental via l'usage de drogues - dans le le cadre des programmes ARTICHOKE et MKULTRA. Dirigeant d'une unité scientifique de la CIA à Fort Detrick, Frank Olson est officiellement mort après s'être defenestré de sa chambre d'hôtel à Manhattan, le 28 novembre 1953, après avoir ingéré du LSD à son insu. Dans le cadre des travaux de la commission dite Rockefeller sur les activités de la CIA aux Etats-Unis, la famille de Franck Olson a obtenu des excuses du Président américain Gerald Ford qui, selon Eric, le fils de Franck Olson, lui aurait déclaré : "cela n'aurait jamais dû se produire ; cela ne doit plus jamais se produire". Eric Olson, ainsi que des amis proches de son père, ont acquis l'intime conviction que Frank Olson ne se serait pas suicidé, mais aurait été éliminé par la CIA après avoir émis des réserves auprès de sa hiérarchie sur les travaux auxquels il participait. Le dossier de la CIA remis à Eric Olson, que nous analysons ci-après sur la base des travaux de Gordon Thomas, auteur spécialisé dans l'espionnage, et publiés dans Les armes secrètes de la CIA. Tortures, manipulations et armes chimiques, est lourd de révélations sur les recherches menées par l'armée américaine pendant la guerre de Corée. Le gouvernement américain continue de nier l'usage d'armes bactériologiques pendant la guerre de Corée (1950-1953), malgré les témoignages accablants réunis par des chercheurs et journalistes, comme ceux de la chaîne Al Jazeera dans un documentaire dont nous avions rendu compte sur ce blog.

Frank Olson

Frank Olson

Selon Gordon Thomas, le général Walter Bedell Smith, nommé à la tête de la CIA le 21 août 1950, se rendit rapidement à Fort Detrick - où il rencontra son dirigeant, le docteur Gottlieb - après sa nomination. La CIA décida alors d'utiliser la Corée comme terrain pour tester les nouvelles armes chimiques sur lesquelles elle travaillait, avec l'objectif - comme pour les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki - d'accélérer l'issue du conflit en utilisant de nouvelles armes de destruction massive.

Le docteur Gottlieb se rendit au Japon et en Corée du Sud. Il demanda à deux équipes de la CIA - dirigées respectivement par Hans Tofte et Henry Alderholt - de lui fournir des animaux sauvages, insectes et petits mammifères (rats, campagnols...), afin de servir de vecteurs à la propagation de bactéries.

Frank Olson et ses collègues signèrent une décharge précisant que, en cas de décès suite à une maladie contractée dans le cadre de leurs travaux, ils léguaient leur corps au gouvernement américain. Les bactéries de maladies comme l'encéphalite étaient testées sur des cobayes, des lapins, des macaques rhésus et des porcs.

Dans les archives de la CIA auxquelles a eu accès la famille de Frank Olson figurent deux notes de service classées datées de décembre 1950, demandant, dans l'une, des "éclaircissements sur la mesure dans laquelle les déserteurs ennemis et les prisonniers de guerre seraient immunisés contre les maladies générées par l'armement biologique", et dans l'autre comment "progressaient les travaux sur l'armement biologique". Suite à ces notes, le docteur Gottlieb se rendit à nouveau à Tokyo, en janvier 1951, accompagné cette fois de Frank Olson. Il visita l'unité 406 du commandement oriental, où des laboratoires menaient des expériences consistant à inoculer la peste, l'anthrax, la fièvre de Malte et le choléra à des cobayes. Les scientifiques américains de l'unité 406 étaient aidés dans leurs travaux par des Japonais qui avaient testé des armes biologiques sur des prisonniers pendant la Seconde guerre mondiale, et avaient bénéficié en contrepartie de leur collaboration d'une immunité pour les crimes de guerre qu'ils avaient commis. Une autre unité d'armes chimiques, connue sous le nom d'unité 8003, se mettait alors en place dans le même bâtiment qui abritait l'unité 406. De nouveaux vecteurs de propagation des maladies furent étudiés, comme les oiseaux porteurs de l'encéphalite équine.

En avril 1951, de nombreux Nord-Coréens et Chinois furent faits prisonniers et enfermés dans un camp sur l'île de Koje, au Sud de la péninsule. Un bateau-laboratoire de l'US Navy s'immobilisa près des côtes, avec à son bord le docteur Gottlieb, pour officiellement régler un problème de dysenterie amibienne parmi les prisonniers. Dans les mois qui suivirent, 20.000 prisonniers tombèrent malades et 1.800 d'entre eux périrent. Newsweek et l'agence Associated Press publièrent alors des articles dans lesquels la Corée du Nord et la Chine dénoncèrent les Américains comme testant la peste bubonique sur des prisonniers de guerre. Le Journal of Tropical Medicine and Hygiene s'étonna pour sa part de l'ampleur de la mystérieuse épidémie de dysenterie. Puis les commentaires prirent soudain fin. Devant le Congrès américain, le directeur de la CIA William Colby indiqua des années plus tard que la plus grande partie des archives sur le programme bactériologique de la CIA à l'époque de la guerre de Corée avait été détruite, pour une raison inexpliquée, en 1972 et 1973.

Comme le précise enfin Gordon Thomas, Eric Olson a lui-même recueilli des témoignages sur l'utilisation d'armes biologiques pendant la guerre de Corée. Il entendit directement des Coréens et des Chinois, et accéda aux témoignages d'anciens soldats américains qui avaient été faits prisonniers : deux colonels, deux capitaines et vingt lieutenants, appartenant principalement à la cinquième compagnie aérienne. Les aviateurs précisèrent que les bombes bactériologiques n'étaient chargées que quelques minutes avant le décollage, pour limiter les risques d'un accident qui aurait pu anéantir la base aérienne.  Toujours selon leurs témoignages, ils étaient également informés que les bombes engendreraient des épidémies chez l'ennemi, et que ces armes étaient nécessaires pour "sauver des vies américaines", comme cela avait été le cas pour les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki. Rapatriés après la guerre, les aviateurs se rétractèrent tous.

Source : Gordon Thomas, Les armes secrètes de la CIA. Tortures, manipulations et armes chimiques, Nouveau monde éditions, 2006 (traduit de l'anglais par Valérie Clouseau et Mickey Gaboriaud). Chapitre III (p. 65-81).

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