Dans son édition du 20 février 2014, le site américain The Verge a publié un article racontant comment un journal sud-coréen en ligne, NewDaily Biz, avait retiré de son site un article relatif au film Another Promise de Kim Tae-yun - une fiction adaptée d'un cas réel : la mort, suite à une leucémie, d'une jeune ouvrière de Samsung, Hwang Yu-mi, après son exposition à des substances toxiques dans une usine de semi-conducteurs - et dont avait rendu compte l'Association d'amitié franco-coréenne. Les excuses du président du journal sud-coréen éclairent d'un jour très cru les relations de dépendance des médias sud-coréens vis-à-vis des grands groupes privés, illustrant une autre lacune de la démocratie en Corée du Sud. Nous publions ci-après une traduction d'un article paru dans The Verge, en appelant chacune et chacun à continuer la mobilisation pour que Samsung reconnaisse la réalité des morts au travail dans ses usines, et que le film Another Promise reçoive toute l'audience qu'il mérite.
Le président d’un journal sud-coréen en ligne aurait ordonné à ses rédacteurs en chef de retirer un article sur un film hostile à Samsung, Another Promise, puis envoyé des messages d’excuse aux dirigeants de Samsung qui se seraient plaints de la couverture médiatique par le journal. Mais les messages du président de NewDaily Biz, Park Jung-kyu, ont été envoyés par erreur aux journalistes d’une publication sud-coréenne qui lui est associée, Pressian, qui les a alors publiés mais sans les noms des personnes concernées. Ces messages suggèrent que NewDaily Biz aurait fait disparaître l’article sur Another Promise sous la pression de Samsung. Samsung nie avoir exercé la moindre pression.
L’article, publié le 5 février, rapporte que des célébrités ont fait des dons personnels pour financer la diffusion du film. Another Promise est une fiction qui dépeint Hwang Sang-ki, dont la fille de 23 ans est décédée d’une leucémie aiguë en 2007. Hwang Yu-mi est tombée malade après avoir été exposée à des produits chimiques dangereux dans une usine de Samsung à Suwon. Elle fait partie des nombreux travailleurs tombés malades après avoir travaillé dans des usines de semi-conducteurs. Un tribunal de Séoul a donné raison au père de Hwang en 2011, en déclarant qu’il y avait une forte probabilité que la leucémie provienne de son exposition à des substances dangereuses.
Des détails changés dans le film pour éviter une action en justice
Dans Another Promise, l’entreprise où travaille Hwang Yu-mi s’appelle « Jinsung ». Les réalisateurs ont déclaré au Guardian qu’ils avaient modifié certains détails du film pour éviter une action légale de Samsung. Le film, qui est sorti en salles en Corée du Sud le 6 février, a retenu l’attention en étant le premier film coréen entièrement financée par des dons privés et des appels à la générosité publique.
Ces donations ont été partiellement motivées par des inquiétudes croissantes sur les conditions de travail des employés des usines de semi-conducteurs. Un groupe d’activistes, les partisans de la santé et des droits des personnes de l’industrie des semi-conducteurs, a déclaré au Guardian que 200 employés produisant des puces électroniques étaient tombés malades après une exposition prolongée aux produits chimiques. Mais ils sont peu nombreux à avoir réussi à obtenir des dédommagements.
Par ailleurs, l’entreprise a connu une série de fuites de gaz toxiques ou d’acides dans ses usines coréennes. Les fuites ont entraîné la mort d’un travailleur et blessé quatre autres personnes.
Dans les messages adressés à Samsung, Park a déclaré qu’il avait eu des problèmes de sommeil et dans son travail depuis qu’il avait pris ses fonctions de président de NewDaily Biz, plus tôt dans le mois. Compte tenu des pratiques journalistiques en Corée, Pressian a censuré les noms dans son compte rendu originel, y compris en ce qui concerne NewDaily Biz. Tous les détails ont été ensuite publiés dans un article du journal coréen Mediatoday. Park a écrit en coréen qu’ « il avait fait de son mieux pour créer des relations de confiance entre Samsung et Newdaily (…). J’ai parlé à Park Jong-moon, qui m’a fait part de la déception de Samsung quant à l’article que nous avions publié le mois précédent sur Another Promise. Après un examen détaillé, j’ai directement donné l’ordre de retirer l’article. L’éditorialiste n’avait aucune mauvaise intention, et les responsables seniors n’avaient rien remarqué ».
Park a déclaré que l’article était un « doublon »
Interrogé sur ses messages par les journalistes de Pressian, Park a déclaré que l’article avait été retiré le 18 février parce qu’il constituait un « doublon » reprenant les informations d’un précédent article. Il a ainsi nié que Samsung ait pu exercer des pressions sur lui.
L’influence de Samsung pèse fortement en Corée, et les médias du pays se sont longtemps abstenus d’écrire des articles qui pourraient avoir des effets négatifs sur le conglomérat. Quand un livre critique sur le président de Samsung, Lee Kun-hee, a été publié en 2010, la plupart des grands médias ont refusé d’en rendre compte. Les messages de Park montrent combien la presse coréenne s’efforce de préserver des bonnes relations avec les grands groupes – et donne une idée de l’agressivité avec laquelle Samsung gère son image dans les médias coréens.
Mise à jour : après la publication de cet article, Samsung a publié le droit de réponse ci-après :
Nous nions catégoriquement les allégations selon lesquelles Samsung aurait essayé d’user de son influence sur la couverture par les médias, y compris en ce qui concerne ce film, qui avait déjà largement été couvert par les médias nationaux et internationaux, avant même sa sortie en salles début février. Les allégations concernant l’article en question sont clairement sans fondements.
Hyunhu Jang a contribué à cet article.
Source : The Verge (dont photos des messages en coréen). Traduction AAFC