Alors que les rencontres internationales au sommet autour de la Corée en ce printemps 2018 prônent la dénucléarisation de l'ensemble de la péninsule, l'établissement d'un régime de paix par la mise en place de mécanismes de sécurité collective, la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale a préconisé, dans un rapport d'information sur l'arme nucléaire dans le monde 60 ans après l'adoption du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), publié après six mois de travaux (auditions, déplacements), que la France cesse de faire cavalier seul dans l'Union européenne en continuant de refuser d'envisager l'établissement de relations diplomatiques complètes avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Les recommandations sur ce point des deux auteurs du rapport, le centriste Michel Fanget et le communiste Jean-Paul Lecoq, sont apparues largement partagées au sein de la commission de l'Assemblée, et conformes à une position constante de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) pour laquelle cette non-reconnaissance diplomatiques constitue un facteur d'affaiblissement de la France sur la scène coréenne.
Dressant l'historique du programme nucléaire nord-coréen et soulignant la nécessité de parvenir à une dénucléarisation de toute la péninsule coréenne, les deux co-auteurs du rapport soulignent l'effacement de la diplomatie française - mais aussi européenne - sur le dossier nucléaire nord-coréen :
Dans le cas de la Corée du Nord, il faudrait donc que la France se positionne pour défendre la ratification du TICE [Traité d'interdiction complète des essais nucléaires]. Cela impliquerait qu’elle se positionne dans un processus diplomatique dont elle est, pour le moment, largement exclue, de même que tous les pays européens.
Pour pallier cette carence de la diplomatie française, les deux députés recommandent tout d'abord de renforcer l'expertise de la France, dans le cadre d'un "nécessaire réinvestissement intellectuel et diplomatique de la France sur la question nord-coréenne" en abordant d'autres thématiques que la seule question nucléaire :
Recommandation n°7 : La France devrait faire en sorte d’accroître son expertise sur la Corée du Nord, de façon à avoir une compréhension plus fine de la situation de ce pays et ne pas l’aborder trop exclusivement sous l’angle de la prolifération nucléaire.
Selon les deux représentants de la nation, ce "réinvestissement", au plan diplomatique, passe par envisager la mise en place d'une ambassade de plein exercice, alors qu'actuellement "la France n’a pas de relations diplomatiques avec la Corée du Nord, mais simplement un « bureau de représentation » au sein de l’ambassade allemande à Pyongyang", tout en rappelant la tradition diplomatique française consistant à reconnaître des Etats et non des régimes (ce qui implique qu'il n'y a pas de rupture des relations diplomatiques en cas de changement de gouvernement ou de régime dans un pays étranger) :
Recommandation n°8 : la France devrait envisager le rétablissement de relations diplomatiques avec la Corée du Nord, lequel ne vaudrait pas approbation du régime nord-coréen.
Bien qu'exprimées en termes mesurés, ces recommandations prennent à contre-pied la très conservatrice diplomatie française, qui consiste d'une part en une présence diplomatique minimale (en termes de moyens humains et financiers) pour un pays de l'importance politique et stratégique de la RPD de Corée, et d'autre part en une volonté de ne pas faire évoluer les grilles d'analyse traditionnelles malgré les changements en cours - la France s'alignant de facto sur les positions des "faucons" néo-conservateurs américains(pourtant en perte de vitesse à Washington) et japonais partisans, sinon de la guerre, tout au moins de sanctions maximales qui sont une alternative à un conflit ouvert et tuent de nombreux civils innocents, y compris des femmes et des enfants.
Dès lors, le débat en commission s'est focalisé sur ces deux propositions, néanmoins partagées par des élus de toutes sensibilités politiques.
Parmi les députés qui rejoignent les positions de Michel Fanget et Jean-Paul Lecoq figure le député (LREM) Jacques Maire, partisan d'un "rapprochement" avec la Corée du Nord :
(...) je pense que si nous sommes irréprochables sur la question iranienne, en termes d’implication et de présence, nous sommes très absents sur le sujet de la Corée du Nord. Plusieurs députés de cette commission, même issus de la majorité, ont exprimé le souhait d’un rapprochement avec cet Etat.
La députée LREM Jacqueline Maquet a rappelé que l'objectif des récents sommets internationaux était la dénucléarisation de toute la Corée, et pas seulement de sa moitié Nord - alors que la République de Corée est sous le parapluie nucléaire des Etats-Unis et que des équipements porteurs d'armes nucléaires peuvent y être stationnés, comme dans le base navale de l'île de Jeju :
(...) cette année 2018 aura été marquée par deux faits majeurs, tous deux corrélés directement à la politique américaine. D’un côté, une annonce en apparence saine sur la péninsule coréenne – j’insiste sur le terme de « péninsule » car la rencontre entre les deux présidents ne portait pas sur le seul désarmement de la Corée du Nord mais sur le désarmement de la péninsule.
Beaucoup plus prudente a été en revanche la position du député (également LREM) Joachim Son-Forget qui incite - au diapason du ministère français des Affaires étrangères... - à éviter toute précipitation dans l'établissement de relations diplomatiques entre la France et la RPD de Corée, en évoquant l'ouverture de "bureaux" de représentation... qui existent déjà (sic) et ont même été remplacés, à Paris, par une délégation nord-coréenne en place depuis plus de trois décennies (!). Le député des Français de l'étranger est en revanche plus audacieux s'agissant du renforcement des effectifs diplomatiques français et Pyongyang ainsi que d'échanges économiques (aujourd'hui proches du néant) :
S’agissant de nos relations avec la Corée du Nord, je pense que nous devons aller vers le rapprochement et la normalisation, mais très progressivement, en ouvrant par exemple un bureau réciproque. Je plaide pour qu’on élargisse la représentation française à Pyongyang. Mais nous ne devons pas nous précipiter : nous devons progresser de concert sur le rapprochement des peuples et les aspects de vérification, avec l’aide d’organismes multilatéraux. Nous pourrions aussi nouer un partenariat économique. Il est certain que notre désengagement sur cette question est problématique ; nous risquons de rater les développements importants qui se feront dans la péninsule coréenne.
Le député (LREM) Jean-François Mbaye propose de conditionner l'établissement de relations diplomatiques entre Paris et Pyongyang à la définition par la RPD de Corée d'un calendrier de dénucléarisation :
Je voulais revenir sur la recommandation n°8 concernant le rétablissement des relations diplomatiques avec la Corée du nord. Je trouve que c’est un objectif ambitieux ; mais est-ce que ces relations diplomatiques permettraient d’exiger de la Corée du Nord qu’elle établisse un véritable calendrier pour sa dénucléarisation ? On ne peut pas dialoguer avec elle si elle conçoit l’arme nucléaire non pas comme une arme de paix, mais comme un instrument de négociation, et n’envisage pas sérieusement de s’en séparer.
La seule voix réellement dissonante a finalement été celle de la députée (LR) Valérie Boyer, qui a adopté une position de principe de défense de "la civilisation" occidentale, dans la veine de la pensée néo-conservatrice :
Je me joins à mes collègues pour féliciter les co-rapporteurs pour leur travail passionnant. Ce rapport nous permet d’avoir une vision plus claire des dangers pour notre civilisation. Ces dangers sont d’abord celui de la Corée du Nord, avec le président Kim Jong-un qui menace la paix dans le monde, avec ce qu’il semble considérer comme des jouets destinés à attirer l’attention sur lui et à lui permettre de narguer la Corée du Sud, le Japon et l’Occident.
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