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9 juillet 2015 4 09 /07 /juillet /2015 17:47

En décidant d'ouvrir à Séoul un bureau sur les droits de l'homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), les Nations Unies ont créé un précédent juridique lourd de conséquences au regard des principes du droit international public, et validant de surcroît une procédure d'évaluation des droits de l'homme menée en méconnaissance flagrante des standards juridiques internationaux, comme l'ont montrée plusieurs juristes français et belge, dans une lettre ouverte que l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) reproduit ci-après, et intitulée : "De quoi l'ouverture à Séoul d'un bureau sur les droits de l'homme en Corée du Nord est-elle le nom ?"

Le 23 juin 2015, à l’occasion de la visite en République de Corée (Corée du Sud) de Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a été inauguré à Séoul un bureau sur les droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Cette décision résulte d’une décision du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, suite à la publication, en février 2014, d’un rapport de la commission d’enquête des Nations Unies sur les droits de l’homme en RPDC.
La mise en place d’un tel bureau résulte, selon le Centre d’information des Nations Unies (UN News Centre), dans un compte rendu de la conférence de presse donnée par le Haut Commissaire à l’issue de sa visite en Corée du Sud, le 25 juin 2015, de la volonté de "créer un bureau sur le terrain pour renforcer la surveillance et la documentation de la situation des droits de l’homme en RPDC".
Une telle décision, à notre connaissance sans précédent en droit international, nous interpelle comme citoyens et comme juristes à de multiples titres.
Tout d’abord, le rapport de février 2014 dont elle procède souffre de graves insuffisances : auditions collectives de témoins exclusivement à charge, dont plusieurs se sont révélé être sinon des imposteurs, du moins des affabulateurs ; absence de tout débat contradictoire non seulement avec les autorités nord-coréennes, mais aussi avec les ONG présentes dans le pays ou des spécialistes de la question nord-coréenne n’appartenant pas au cercle étroit des milieux néo-conservateurs qui, inlassablement, plaident pour un étranglement économique et politique de la RPD de Corée en vue de produire, comme dans d’autres régions du monde, un changement de régime.
Mettre en place un organisme dédié aux droits de l’homme dans un pays spécifique, en dehors de tout cadre juridique international (comme celui des tribunaux pénaux internationaux), permet de s’affranchir des règles de droit qui président ou devraient présider à la création de telles juridictions d’exception. Le bureau nouvellement créé à Séoul est un OVNI juridique, aux mission mal définies et aux moyens inconnus : faut-il rappeler que, jusqu’à présent, le financement des seules initiatives sur le terrain des droits de l’homme en Corée du Nord provient d’Etats, et singulièrement de leurs services de renseignement (CIA américaine, NIS sud-coréen) ? S’agit-il de constituer un faux-nez de la CIA ou du NIS, même dissimulé sous l’étendard des croisés de l’extrême-droite anticommuniste, sous les couleurs des Nations Unies ? Alors que la guerre de Corée a été la première menée, par un camp, au nom des Nations Unies, la Corée est décidément l’objet de bien curieuses instrumentalisations du droit international pour répondre aux intérêts de certains Etats.
La fonction principale de l’ONU est le maintien de la paix (notamment par la non-ingérence et le respect de l’égale souveraineté des Etats). Or, par le jeu de fictions juridiques, l’ONU a endossé l’intervention militaire des Etats-Unis durant la guerre de 1950-1953. Pendant de nombreuses décennies, elle n’a pas réagi aux violations des droits de l’homme par la dictature militaire sud-coréenne. L’ONU n’a pas non plus, malgré la continuité de sa présence sur le territoire coréen, pris d’initiatives en faveur d’un rapprochement des deux Etats coréens ni en faveur d’un traité de paix clôturant définitivement le conflit de 1950-1953, y compris durant la période favorable de la “Sunshine Policy” sous la présidence de Kim Dae-jung au Sud.
Sous le couvert des droits de l’homme, dont les progrès dans la péninsule dépendent de la détente entre les parties, l’ONU accroît délibérément la tension, en contradiction avec sa raison d’être, mais conformément aux souhaits de Séoul et de Washington.
Choisir la Corée du Sud, qui tente d’imposer unilatéralement sa vision de tout ce qui a trait à la Corée du Nord et est toujours techniquement en état de guerre avec le Nord, comme siège de ce bureau relève, au mieux, de la naïveté, au pire, de la provocation – surtout lorsque l’on connaît les atteintes de plus en plus ouvertes aux droits de l’homme en Corée du Sud.
Que dirait-on de l’ouverture d’un bureau sur les violations des droits de l’homme en Syrie qui aurait son siège en Israël, ou d’un tel bureau à Damas sur les violations des droits de l’homme par Tsahal ? Que dirait-on d’un bureau à La Havane sur les violations des droits de l’homme dans la base américaine de Guantanamo ? Tous crieraient au parti pris et à la violation de la souveraineté des Etats, base du droit international. Pourquoi une telle règle connaîtrait-elle une exception s’agissant de la RPDC ? Le droit international n’est pas à géométrie variable, au gré des intérêts des Etats et des parties en présence. L’ouverture à Séoul d’un bureau sur les droits de l’homme en RPDC est l’expression d’une violation manifeste et sans équivoque du droit international.
Profondément attachés aux libertés publique et au respect du droit international, nous réaffirmons notre conviction que la question des droits de l’homme en RPD de Corée doit s’inscrire dans un cadre de la légalité internationale, et non dans la prise en otage de principes sacrés qui ont fondé la règle du vivre ensemble des nations depuis un siècle.

Robert Charvin, professeur émérite de droit à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, doyen honoraire de la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Nice

Paulette Pierson Mathy, professeur honoraire, Université libre de Bruxelles (ULB)

Benoît Quennedey, ancien élève de l’Ecole nationale d’administration, juriste.

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