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6 août 2012 1 06 /08 /août /2012 23:05

Né le 11 novembre 1922 à Rotterdam, George Blake est devenu un agent du MI6 britannique après avoir été été un résistant au nazisme aux Pays-Bas. Capturé pendant la guerre de Corée, il a déclaré que le comportement des Occidentaux dans la péninsule l'avait conduit à devenir un agent soviétique, tout en restant officiellement membre des services britanniques après sa libération. Démasqué et jugé à quarante-et-un ans de prison en 1961, il s'évade en 1966 et se réfugie en URSS. Vivant toujours en Russie, il a publié ses Mémoires où il explique notamment pourquoi il a volontairement choisi de passer à l'Est pendant la guerre de Corée. Nous publions ci-après une traduction des extraits d'un entretien avec George Blake, publié par la chaîne publique américaine PBS pour la réalisation du documentaire "Red Files", où il revient sur les raisons de son engagement aux côtés de l'URSS et du camp communiste. Les propos tenus le sont sous la seule responsabilité de George Blake.

george blake corée

Question : Pour votre mission suivante avec les services britanniques, vous avez été envoyé en Corée, pendant la guerre de Corée ?

George Blake : Dès que j'en eus terminé en Russie, j'ai été envoyé en Corée avec la tâche d'essayer de mettre en place un réseau d'agents, un réseau dans ce qu'on appelle les provinces maritimes [NdT : l'Extrême-Orient soviétique]. C'était une tâche tout à fait irréaliste, car il n'y avait pas de communication directe entre cette région et la Corée du Sud. Le seul point sur la carte était Séoul ; c'était le plus près de cette région. A Séoul il y avait le consulat britannique, une ambassade britannique de l'OTAN, c'était l'endroit par lequel il fallait évidemment tenter de pénétrer en Union Soviétique par l'Est. En fait, ce n'était pas possible parce qu'il n'y avait, comme je le disais, absolument aucune liaison. J'ai tout de même essayé. Cela m'a pris du temps de découvrir tout cela et j'ai aussi essayé de pénétrer en Corée du Nord. Bien sûr, je devais connaître la situation politique au Sud. Selon moi, le Président coréen était vraiment un fasciste et son entourage était, à mon sens, composé de fascistes. C'est pourquoi j'avais une certaine sympathie pour le Nord, tout en connaissant vraiment très peu de choses. 

Question : Comme ce que vous avez vu au Sud ?
 

George Blake : Eh bien, j'ai pensé à ce que j'ai vu en Corée du Sud et alors la guerre a éclaté, de manière tout à fait soudaine. Maintenant, le fait est que nous avions été envoyés en Corée du Nord, et les hommes qui m'assistaient et le Ministre lui-même, le Capitaine Hoo, avaient été envoyés pour me voir avec l'idée qu'une guerre éclaterait très probablement entre le Nord et le Sud, et nous étions assurés que le Nord gagnerait et occuperait tout le pays. Par conséquent, la représentation à Séoul serait un poste d'observation idéal pour voir comment les choses allaient se développer. Nous avions l'ordre de rester sur place si la guerre éclatait. C'est pourquoi quand la guerre a éclaté les Américains nous ont proposé de nous évacuer, mais nous ne l'avons pas fait car nous avions l'ordre de ne pas partir. Les Français étaient dans la même situation. Le consulat français est aussi resté, ainsi qu'un certain nombre de missionnaires britanniques, y compris l'évêque anglican, car ils ne voulaient pas abandonner leurs ouailles. Quand les Nord-Coréens ont occupé Séoul, nous avons été internés car, entretemps, les Américains avaient organisé les Nations Unies, et tous les pays occidentaux les avaient rejoints. A part l'Union soviétique, qui n'avait pas voix au chapitre, car elle s'était exclue elle-même du Conseil de sécurité. Ils ont été en mesure de faire adopter une résolution et les Britanniques, les Français, les Turcs et toutes sortes de contingents militaires ont été envoyés en Corée. Nous, pour être neutres, avons été envoyés dans les villages et internés par les autorités nord-coréennes.

Question : Il a souvent été dit que lorsque vous avez été prisonnier des Nord-Coréens vous avez subi un lavage de cerveau afin de travailler pour les Russes.  

George Blake : Non, je n'ai jamais subi aucun lavage de cerveau. Eh bien, vous voyez, nous étions alors un petit groupe de diplomates, et au début nous étions ensemble, avec les missionnaires. Il y avait beaucoup de missionnaires : des missionnaires français, des nonnes irlandaises et toutes sortes de gens. A un certain moment nous avons été, nous, diplomates, séparés d'eux. Il aurait été très difficile pour les Nord-Coréens, dans la situation où ils étaient, de trouver des gens, comment dire, suffisamment intelligents ?  Pour influencer des gens comme nous, je veux dire qu'ils auraient peut-être pu influencer un jeune soldat américain, mais des gens comme nous, cela aurait été très difficile.

Question : Un incident a-t-il eu pour effet de vous décider à changer effectivement de camp ?

George Blake : Non, rien n'a eu sur moi l'effet d'un catalyseur. C'est quand j'ai vu ce qui se passait en Corée du Nord. Les bombardements incessants de petits villages coréens par des énormes... forteresses volantes américaines. Les gens, les femmes et les enfants, et les vieilles personnes, parce que les jeunes hommes étaient à l'armée. Je l'ai vu de mes yeux, et nous avons failli en être victimes nous-mêmes. Cela m'a fait avoir honte. Honte d'appartenir à ces superpuissances, techniquement supérieures, combattant ce qui me semblait des gens tout à fait sans défense.  

Question : Est-ce qu'un incident en particulier est resté gravé dans votre mémoire ?  

George Blake : Eh bien, les bombardements avaient lieu tout le temps, ils ne cessaient jamais. J'avais vu les destructions en Allemagne après la guerre, mais ce n'était rien, absolument rien, je peux vous l'assurer, par rapport aux destructions en Corée du Nord. Cela, ce sentiment de honte, avec d'autres choses dont j'ai déjà parlé, et d'autres étapes de mon développement personnel m'ont fait me décider - m'ont fait ressentir que je combattais du mauvais côté, parce que je n'étais pas quelqu'un de neutre. J'étais engagé dans un travail de renseignement contre le monde communiste, contre le monde socialiste. J'étais engagé, je m'étais engagé et j'avais le sentiment d'être engagé du mauvais côté. Et c'est ce qui m'a fait décider de changer de camp. Je pensais que ce serait mieux pour l'humanité si le système communiste l'emportait, que cela mettrait fin à la guerre, à toutes les guerres. Je n'allais pas trop loin dans les responsabilités quant au commencement de la guerre de Corée. C'était très difficile dans la position où j'étais de décider exactement ce qui l'avait déclenchée, mais aujourd'hui je réalise que c'est la Corée du Nord. Mais c'était l'expérience de cette guerre qui m'a fait l'effet d'un catalyseur, et m'a décidé à rejoindre l'autre camp.

Question : Comment les avez-vous approchés ?

George Blake : Cela s'est fait, en un sens, tout simplement. J'ai écrit un petit mot en russe - vous devez vous souvenir que j'étais dans un petit groupe de diplomates, français et britanniques, et j'ai utilisé mon russe. Nous écrivions tout le temps à l'ambassade soviétique à Pyongyang, en leur demandant, en leur disant que nous considérions notre captivité comme injuste, et comme contraire aux lois internationales, en protestant. L'ambassade soviétique nous a envoyé des livres, dont Le Capital de Marx, que nous avons lu en russe plusieurs fois. Cela a eu une influence sur moi. Il y avait donc une correspondance avec l'ambassade soviétique à Pyongyang, conduite par la remise de lettres au chef des gardes, parmi les hommes qui nous gardaient.

Question : Donc vous leur avez écrit un mot ?

George Blake : Je leur ai écrit un mot. C'est exact.

Question : Comment ont-ils répondu ?

George Blake : Ils m'ont répondu environ un mois plus tard, je ne sais plus exactement quand. Des mois après, j'ai été appelé à me rendre dans une ville proche, qui était entièrement en ruines, seules deux maisons restaient debout. Dans une de ces maisons, j'ai rencontré mon homme russe ; je lui ai parlé et ai expliqué ma situation. Alors que je lui ai dit que s'il voulait que je continue à travailler, il devrait aussi appeler les autres personnes, car nous étions trois Britanniques et quatre Français. Si j'étais le seul à être appelé, cela soulèverait des doutes et semblerait très étrange. Donc ils ont procédé ainsi. Chaque personne a été appelée à son tour ; il y a eu des discussions sur les raisons de la guerre de Corée. Il y avait alors l'appel de Stockholm, qu'on leur a demandé de signer. Ils ne faisaint que parler pour passer le temps. A chaque fois mon tour venait et j'ai parlé à cette personne, qui s'est révélée être un colonel du KGB, avec qui j'ai préparé mon futur travail. Je pense qu'au début ils se sont beaucoup méfiés de moi. Je pense qu'ils ont cru que c'était un travail monté par le Ministre, le Capitaine Hoo, mais pourtant ils ont continué, ou bien ils ont compris que ce n'était pas le cas.

Question : Avez-vous prêté un serment d'allégeance ou quelque chose de ce genre, ou vous ont-ils fait des promesses qu'ils veilleraient sur vous ?

George Blake : Non, j'ai posé moi-même quatre conditions. Si je me souviens bien... L'une de ces conditions était que je n'accepterais pas d'argent et qu'ils ne m'en offriraient pas. Ensuite, je refuserais tout avantage, tant que je serais détenu avec les autres. Une raison en était une question de sécurité, une autre que je me sentais solidaire de mes camarades de captivité. La troisième condition était que je ne serais pas libéré avant les autres, ce qui était, encore, une sécurité élémentaire. Je pense que c'était les trois conditions. Ils les ont bien sûr acceptées.

Question : Donc ils ne vous ont rien dit comme "vous êtes l'un des nôtres, nous allons veiller sur vous" ?

George Blake : Non, ils n'ont rien dit de tel, et je n'attendais pas d'eux qu'ils disent quoi que ce soit de la sorte.

 

Sources :

- Entretien réalisé par PBS pour le documentaire Red Files. Traduction AAFC.  

- Photo AP.  

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