Comme l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) l'a signalé à plusieurs reprises, la lutte contre le travail précaire en Corée du Sud constitue aujourd'hui l'un des principaux combats sociaux au Sud de la péninsule pour assurer l'égalité des droits. Cette lutte est menée avec opiniâtreté par des groupes de militants - comme Choe Byeong-seung et Cheon Ui-bong d'Ulsan (photo à gauche), rencontrés par Irina Malenko, écrivain, présidente de l'Association d'amitié Irlande-Corée, membre de l'AAFC, dont nous publions ci-après du russe le compte tendu de la rencontre diffusé le 20 août 2013. Née en Union Soviétique, Irina Malenko vit actuellement en Irlande du Nord. Elle est l'auteur de Soviética, témoignage vivant sur la vie en URSS et sur la période de la perestroïka, publié en russe et en anglais. Nous avons joint, sous forme de post scriptum, une éclairante réaction d'humeur de notre amie Irina Malenko sur un reportage qu'a diffusé la BBC à propos de la lutte des travailleurs d'Ulsan.
Enfin, je suis à Ulsan - le but de tout mon voyage en Corée du Sud. Je me tiens debout avec les camarades qui m'accompagnent sous cette même tour, en haut de laquelle depuis neuf mois se trouvent deux personnes courageuses, des défenseurs des droits de tous les travailleurs de Corée du Sud, Choe Byeong-seung et Cheon Ui-bong, qui protestent contre la politique insolente et inhumaine de la direction de Hyundai.
Grimper à leur hauteur apparaissait impossible. Ils ne pouvaient pas non plus descendre pour me parler en face à face. C’est pourquoi que nous avons dû communiquer avec eux par téléphone avec l’aide d’un interprète, car Choe et Cheon ne maîtrisent pas de langues étrangères et que, malheureusement, je ne parle pas coréen. Je leur ai posé des questions, que j'avais spécialement préparées avant le voyage, auxquelles ils ont répondu. En les écoutant mon cœur se serrait, et mes yeux s’assombrissaient de larmes de colère, tant était effrayante la situation des travailleurs sud-coréens, et leur exploitation brutale dont j'avais déjà beaucoup entendu parler.
Je ne vais pas reformuler, lisez vous-même. Notre camarade de Norvège, Vladimir Tikhonov, du département des langues orientales de l’université d’Oslo, vient de traduire en russe ce que m'a dit le camarade Choe Byeong-seung, répondant à mes questions pour lui-même et pour son camarade.
1. Votre action de protestation a continué pendant près d'un an. Comment vous sentez-vous ?
Nos muscles se sont souvent compressés en raison du long séjour, 280 jours, dans un petit espace restreint.Mon camarade Cheon Ui-bong, qui dirige les actions du syndicat des travailleurs précaires du constructeur automobile Hyundai, et qui, proteste en hauteur avec moi, quand sont arrivés les «Autocars de l'espoir» amenant des milliers de nos camarades de toute la Corée pour nous soutenir le 20 juillet, avait tellement mal qu’il n'a même pas pu se lever pour les saluer. Les médecins ont diagnostiqué chez moi un manque de mouvement entraînant des problèmes au foie et aux reins, mais pour le moment je ne ressens pas de douleurs particulières et me sens bien portant.
2. Comment la direction de Hyundai réagit-elle à votre action ?
Les classes dirigeantes utilisent partout la violence à notre égard, nous, les travailleurs, et pas seulement en Corée. Le ministère du Travail de Corée du Sud, qui est un organe gouvernementale, a établi que l'utilisation d'une force de travail précaire sur la chaîne de montage automobile était illégale, mais il ne remue pas le petit doigt pour corriger cette situation, que lui-même définit comme contraire à la loi. Ce même ministère et le service du procureur - en dépit du fait que la Cour suprême et le Comité pour les travailleurs (organisme relevant du ministère du Travail chargé, notamment, de vérifier la légalité des licenciements) ont identifié l'utilisation du travail précaire ici chez Hyundai comme illégale, depuis trois ans "mènent une enquête" sur la société, mais sans soulever la question d’une inculpation. Naturellement ,durant ces trois années la firme détruit tranquillement les témoignages sur sa conduite illégale, et quand notre syndicat de travailleurs précaires élève la voix à ce sujet personne ne l'écoute. L'année dernière et cette année déjà trois travailleurs se sont suicidé de désespoir. Et alors ? L'Etat ne s’émeut pas pour autant.
La compagnie a refusé d'appliquer les décisions de la Cour suprême et du Comité pour les travailleurs. Tout d'abord, ils ont déposé un recours devant la Cour constitutionnelle, et maintenant ils mènent une procédure administrative (c'est-à-dire auprès de la Cour d'arbitrage - note du traducteur). Ainsi, ils gagnent du temps, parce que les décisions rendues dans toutes ces actions juridiques peuvent prendre des années. Et pendant ce temps ils écrasent tranquillement notre mouvement syndical.
Notre syndicat, celui des travailleurs précaires (non permanents) de Hyundai automobile, a subi de lourdes pertes dans la lutte contre l’arbitraire et l'oppression contre l'employeur. En 2004, le ministère du Travail a reconnu comme étant illégale l'utilisation de la force de travail précaire sur la chaîne de montage automobile, mais depuis plus de 160 travailleurs supplémentaires pour la seule usine d'Ulsan ont été licenciés. Plus de 600 travailleurs ont subi une autre forme de répression, comme la suspension du travail pour une durée déterminée. 20 travailleurs ont été arrêtés pour activité syndicale, deux sont maintenant officiellement recherchés (ils se trouvent sur le pylône de ligne à haute tension - Choe Byeong-seung est sur la liste des personnes recherchées depuis 2010, et Cheon Ui-bong - depuis 2012). En outre la firme inflige à l’ensemble des syndicalistes une sanction financière de 17 milliards 800 millions de won pour soi-disant compenser les « dommages » résultant de leurs actions. Les comptes bancaires servant à la paie des militants syndicaux arrêtés ont été mis sous séquestre et leurs biens saisis. Dans les usines Hyundai des villes d'Asan et Jeonju, 80 travailleurs ont été licenciés et plus de 400 autres ont subi une autre forme de répression. (1)
3. Comment est perçue votre action en Corée du Sud ? Les médias officiels Sud-Coréens s'expriment-ils à ce sujet ?
Le début de notre action a coïncidé avec l'élection présidentielle, et c’est pourquoi nous avons retenu l'attention de certains médias, alors que nous protestions en hauteur. En outre, cinq candidats à la présidentielle (des partis libéraux et sociaux-démocrates - Ahn Cheol-soo, Lee Jung-hee, Sim Sang-jeong, Kim So-yeon et Kim Soon-ja) nous ont même rendu visite, et cela a été rapporté dans les journaux et à la télévision. Et puis l'intérêt est retombé, à l'exception des deux journaux de gauche Hankyoreh et Kyunghyang et des médias progressistes sur Internet. Mais les médias conservateurs ne disent pas ce qui nous a contraints à conduire une telle action et ils mentionnent uniquement des détails qui peuvent être déformés et présentés sous un jour favorable pour eux. En général ils citent les documents élaborés par le service de presse de Hyundai.
4. Que pensent de votre protestation les travailleurs et les syndicats de Corée du Sud ? Ont-ils mené des actions pour vous soutenir ?
Il n’y jamais assez de solidarité, même si il y en a beaucoup…Les collègues et militants syndicaux se solidarisent avec nous. Nous, travailleurs précaires de Hyundai, voulons une solidarité plus active, mais les organisations syndicales nationales, dont nous sommes membres (l’Union Coréenne des Métallurgistes, et au plus haut niveau - la Fédération des Syndicats Démocratiques de Corée) ont des intérêts un peu différents, et ils insistent sur le «réalisme ». Dans les ateliers les simples travailleurs nous soutiennent, mais personne n’a organisé de grèves de soutien ou de grèves générales en lien avec notre action. C’est seulement maintenant que l’Union coréenne des métallurgistes organise un comité pour une lutte commune avec les syndicats de travailleurs temporaires de Hyundai et Kia, ce qui mène à des pourparlers avec ces compagnies quant à l'utilisation illégale du travail précaire. La branche régionale d'Ulsan de la Fédération des Syndicats Démocratique de Corée a aussi organisé une grève élargie de militants syndicaux, ainsi qu'un meeting pour nous.
5. La situation en Corée du Sud concernant le travail précaire a-t-elle changé d'une manière ou d'une autre depuis le début de votre action?
L'utilisation illégale du travail précaire a commencé à attirer l'attention en Corée au début des années 2000. De nombreux syndicats ont essayé de lutter contre. En dehors de nous, dans les usines d'automobiles Hyundai, les syndicats ont mené de longues grèves contre l'utilisation illégale des travailleurs temporaires des compagnies SK (dans la filiale "Inside Corea"), Carrier (fabricant d'équipements de chauffage et de refroidissement), Kymho (fabrication de pneus), Kia (Automobiles), dans la branche coréenne de General Motors (à Changwon, au Sud-Est de la Corée), sur le chantier naval Hyundai de Mipham (du nom d'un des quartiers d'Ulsan), dans la société de chemin de fer de l'Etat et le syndicat des hôtesses de l'air...
La Fédération des Syndicats Démocratiques de Corée continue de se battre pour l'abolition de la loi actuelle sur l'utilisation du travail précaire. C'est seulement après que la Cour suprême a finalement statué sur l'utilisation illégale du travail précaire dans les usines automobiles Hyundai que ce problème a retenu l’attention de larges couches de la société coréenne. Cependant, je ne sais pas pourquoi aujourd'hui le gouvernement sud-coréen ne fait rien dans ce sens. La société civile et les organisations syndicales mènent un combat commun contre l'exploitation du travail précaire, mais sans succès particulier jusqu'ici... Une consolation - pendant ces 285 jours où nous sommes restés sur le pylône électrique, la lutte contre l'exploitation des précaires est sortie des limites de notre secteur d’activité. Les précaires dans le secteur des services, dans le réseau des supermarchés Imart, dans les centres de services de la société Samsung, ont également rejoint le combat.
Les ouvriers réalisent le même travail, mais les précaires vêtus d'un uniforme distinctif perçoivent un salaire inférieur de 40 %
6. Quel est le but principal de votre action ? Quelles sont vos exigences aujourd'hui et ont-elles changé depuis le début de votre action ? Attendez-vous des réformes du Gouvernement ou votre action concerne-t-elle uniquement la direction de Hyundai ?
Nous demandons que l'utilisation du travail temporaire soit reconnue illégale, qu'il soit mis fin à l’embauche de travailleurs pour remplacer ceux qui ont été licenciés et que Chung Mong-koo, Président de Hyundai Motors, soit inculpé. L'utilisation de la main-d'œuvre précaire dans les usines automobiles Hyundai a été déclarée illégale par la Cour suprême de Corée, mais la compagnie elle-même ne le reconnaît pas.
L’arrêt de l'embauche de nouveaux travailleurs découle de la loi coréenne sur la protection des travailleurs précaires. En vertu de cette loi, si le recours au travail précaire n'est pas licite, l'employeur doit offrir au travailleur une place permanente à titre de compensation. Jusqu’à la révision de cette loi le 2 août 2012, le travailleur devait travailler pendant plus de 2 ans pour bénéficier de ce droit, mais depuis la révision qui est intervenue il suffit d’avoir travaillé un seul jour.
Mais que fait l'entreprise plutôt que de donner un emploi permanent à tous ceux qu'elle a exploités illégalement ? Elle choisit une partie d'entre eux qui, seuls, reçoivent un poste permanent, dissimulant en même temps les traces de l'utilisation illégale d'autres travailleurs précaires (par la réduction de plusieurs opérations en une seule unité, le transfert forcé d'un emploi à un autre, etc). Par conséquent, nous exigeons la fin de l'embauche de nouveaux travailleurs précaires. En effet l'entreprise, lors du transfert d'une partie des précaires sur des poste permanents, ne prend pas en compte leur temps de travail précaire dans leur ancienneté, elle refuse de leur appliquer les dispositions de la convention collective et de leur rembourser les salaires en retard. Autrement dit, ceux qui sont nouvellement embauchés sont recrutés dans des conditions dégradées.
L'inculpation de Chung Mong-koo découlerait du fait que, comme indiqué dans la définition de la Cour suprême de Corée, il nous a engagés sur une base précaire de manière illégale depuis 2002. Sept personnes dans l'usine automobile d'Asan ont par ailleurs porté plainte pour être reconnus travailleurs permanents et que leur statut d'emploi temporaire soit déclaré illégal. Les procès sont en cours actuellement. La plainte porte sur l'exploitation illégale du travail précaire depuis 2000. Il s’agit donc de dizaines de milliers de victimes du travail précaire exploitées illégalement depuis au moins 10 ans, et cela continue aujourd'hui. Chung Mong-koo est Président de la compagnie et actionnaire majoritaire . Il doit rendre des comptes en vertu des dispositions du Code pénal.
Nous n'avons pas d’exigences spécifiques concernant la politique du gouvernement. Nous estimons seulement qu'il est nécessaire d'interdire par principe le travail précaire et, plus généralemnt, le travail temporaire, sauf dans des cas particuliers. Si nous gagnons, notre victoire aura probablement une influence sur la politique du Gouvernement, dans la mesure où les usines automobiles Hyundai sont une entreprise d'importance nationale. Vous pouvez comparer la situation avec celle du chantier naval Lénine, où est né l’organisation polonaise «Solidarnosc», mais ce n’est peut-être une pas une comparaison très adéquate.
Si tous les travailleurs temporaires des usines d'automobiles Hyundai étaient placés sur des emplois permanents, il y aurait une réaction en chaîne : dans tout le pays les travailleurs précaires ne voudraient pas attendre plus longtemps. En outre, le Gouvernement devrait changer le système dit de "sous-traitance interne" (le transfert d’ateliers séparés en location à de petites entreprises-fournisseurs qui utilisent le travail intérimaire, de sorte que les travailleurs, bien que travaillant dans les ateliers Hyundai, n’ont formellement pas de rapport avec la société Hyundai - note du traducteur) Dans le cadre de notre lutte quelques députés de la commission parlementaire sur le travail et l'environnement ont déjà fait des propositions d'amendements aux lois régissant le travail de précaire.
7. Pourquoi avez-vous choisi une forme aussi inhabituelle de protestation, très dure pour l’organisme humain ?
Nous nous battons depuis 10 ans déjà contre la compagnie Hyundai, et les membres de notre syndicat ont subi beaucoup de pertes pendant cette période. Nous avons montré à la société coréenne quelles sont les contradictions fondamentales de notre époque. Mais pendant tout ce temps nous avons lutté presque seuls. Au nom du prolétariat de toute la Corée nous nous sommes opposés au capital. Mais quand tout est devenu calme et qu’il n’y avait plus de grèves et de manifestations, on a préféré nous oublier. Bien que limité aux périodes de grèves et de manifestations, un soutien existait pourtant. Lorsque nous avons décidé de monter sur un pylône électrique, notre lutte passait par une période de stagnation. La société a annoncé l'embauche de nouveaux travailleurs sur des postes permanents, de manière à diviser nos rangs, et beaucoup ont même mordu à l'appât qui leur était jeté. De plus, le syndicat des travailleurs permanents de Hyundai a battu froid la lutte des travailleurs précaires. Nous étions isolés, et pour sortir de notre isolement nous choisi de grimper sur un pylône dans l'espoir d'attirer l'attention des gens.
Il y a différentes façons de faire appel aux masses, et nous avons jugé que la protestation en hauteur serait la plus efficace. Quelles étaient les autres possibilités ? Vous pouvez déclencher une grève de la faim, mais cela passe souvent inaperçu. Mais monter sur un pylône de ligne électrique, non - d'autant qu'ici il est directement à la porte de l'usine.
8. D’autres travailleurs en Corée du Sud ont-ils suivi votre exemple ou bien recourent-ils à d’autres formes de lutte ?
En dehors de notre cas, il y a maintenant deux autres endroits où se tiennent des protestations en hauteur. Sur le clocher de la cathédrale de Séoul, dans le quartier de Ehwa, des travailleurs licenciés protestent contre une compagnie privée de formation. Les travailleurs licenciés, en tant que précaires, donnaient des cours supplémentaires à de jeunes écoliers en utilisant les manuels et les programmes de l'entreprise. Et sur un pylône d’éclairage du stade de Namwon, dans le sud du pays, une action est menée par le personnel de l'hôpital public, qui va être fermé pour laisser la place aux seules cliniques privées.
En tout, durant ces 290 jours en haut de notre pylône, il ya eu des tentatives à dix endroits pour mener des protestations en hauteur : à Séoul, en deux endroits différents ; à Dongducheon au Nord de Séoul ; à deux endroits à Pyeongtaek, au Sud de Séoul ; en un seul endroit, les travailleurs licenciés de l'usine automobile Ssangyong ont vécu 179 jours en hauteur. A Asan les camarades de la société Yuson qui fabrique des pièces pour automobiles ont protesté pendant 151 jours, de même qu'à Dangjin sur la côte Ouest, et dans deux endroits à Jeonju, à Changwon, dans deux endroits à Ulsan – en dehors de nous il y a aussi eu des utilisateurs de bétonnières…
Les travailleurs licenciés de l'entreprise Ssangyong ont également protesté devant la porte Daehanmun du palais Deoksugung, une ancienne résidence royale située dans le centre Séoul, en face de la mairie. Là, pendant les années qu'a duré la lutte pour la réintégration dans leur emploi, 24 travailleurs sont morts de suicide, étant en état de dépression ou suite à une aggravation de maladies chroniques touchant le système nerveux. Les survivants ne veulent pas que d’autres meurent. Leur délégué syndical, Kim Jon, a mené une grève de la faim pendant 41 jours. Seulement voilà, le gouvernement a utilisé la force pour les disperser et le camarade Kim a été placé derrière les barreaux...
Et c'est en face de la mairie de Seoul, près du gratte-ciel où se trouve le siège de la compagnie privée de formation dont nous avons parlé, que les travailleuses qui en ont été chassées ont dressé un piquet de protestation en plein air.
Des licenciès de trois usines automobiles Hyundai (à Asan, Ulsan et Jeonju) organisent depuis déjà 75 jours un piquet de protestation en face du siège social dans le quartier Yangje à Séoul.
Depuis le 29 juillet est menée une action en mémoire du camarade Ban Chonsik, travailleur précaire et militant syndical de l’usine Hyundai de Asan qui s'est récemment suicidé. Il n'avait que 35 ans.
9. Ne craignez-vous que les protestations individuelles soient inefficaces, après tant de mois de luttes ? Cela ne ferait-il pas sens d'envisager d'autres formes de lutte pour faire valoir vos droits ?
Cette lutte, ce n'est pas seulement nous deux qui la menons. Comme je le disais, chez nous la lutte contre l'utilisation illégale du travail précaire a commencé en 2004. Nous luttons depuis déjà 10 ans. En 2005, en 2006, en 2010 et en 2011-2012 nous avons mené des grèves y compris avec occupation. En même temps nous menons le combat contre la compagnie dans les salles d'audience des tribunaux. La Cour suprême, après 6 années de luttes, a jugé que l'utilisation du travail précaire ici était illégale, et il a fallu attendre encore 2 ans pour que la cour d'appel confirme cette décision en dernière instance. Ce n'est que maintenant que nous pouvons exiger l’application de la décision de justice par l'entreprise. Celle-ci ne met en œuvre aucune mesure positive. Nous avons déjà arrêté la chaîne de montage. За это вот фирма сейчас взыскивает 17 миллиардов 800 миллионов вон с нас и у 500 членов нашего профсоюза зарплатные счета арестованы, а у руководства профсоюза еще и имущество под арестом. C'est pourquoi l'entreprise nous inflige une sanction financière de 17 milliards 800 millions de wons, à nous et à 500 membres de notre syndicat, nos comptes bancaires ont été mis sous séquestre, la direction du syndicat a été arrêtée et ses biens également mis sous séquestre. Только на Ульсанском заводе незаконно уволено 160 наших товарищей, а более 700 получили наказание выше временного отстранения от работы (без выплаты жалованья – прим. перев.) . Dans la seule usine d'Ulsan 160 de nos camarades ont été licenciés et plus de 700 autres sanctionnés par des mises à pied (ils n’ont pas de salaires - Note du traducteur).
Если бы только такие репрессии
A plusieurs dizaines de reprises des syndicalistes ont été battus, et parfois enlevés et enfermés pendant de longues périodes. De colère et de désespoir, deux de nos camarades se sont immolés par le feu et un autre s'est suicidé. Nous qualifions notre camarade Ryu Kihyok de héros de travail.
Un autre travailleur a été réduit en 2010 à tenter de s'immoler par le feu (il a été sauvé, et sur la photo, je suis avec lui près du pylône).
Bref, nous avons tout essayé. Et maintenant, nous conduisons une action en hauteur pour la deuxième fois.
En 2010, nous avons mené une grève avec occupation pendant 25 jours. Tout a fini par une répression impitoyable.
Nous luttons au péril de notre vie, en sachant que nous pouvons être attaqués et battus à tout moment. Et c’est ainsi non seulement ici, dans l'usine d'Ulsan, mais dans celles d'Asan et de Jeonju. Voici comment à Asan on a traité le syndicat des travailleurs précaires. Un camarade a demandé, en se fondant sur la loi, un congé supplémentaire d'un mois. Il a été tellement battu qu'il s’est retrouvé à l'hôpital. A l'hôpital, il a reçu la visite d’un homme de main de la direction qui lui a sectionné le tendon d'Achille avec un couteau. Dans une usine de Cheongju, un des syndicalistes a été frappé avec une bouteille de bière. Et bien sûr personne n’est inquiété pour les travailleurs estropiés. Nous seuls faisons l’objet de poursuites, tandis que pour les patrons cela glisse comme de l'eau sur les plumes d'un canard. Les travailleurs de l'usine d'Ulsan ont été arrêtés 20 fois, ceux d'Asan 10 fois et ceux de Jeonju une fois. Hier, le 1er août, le vice-président du syndicat des travailleurs précaires de l’usine d'Ulsan a aussi été arrêté. Ce camarade s’appelle Kang Sonyon.
Passage à tabac des ouvriers par la milice privée de Hyundai, ci-dessous avec un bleu sur son visage le camarade Cheon Ui-bong, l'un des deux travailleurs participant actuellement à l'action de protestation en hauteur.
10. Avez-vous étudié l'expérience du mouvement ouvrier mondial avant de décider de votre action ? Êtes-vous familiers de l'expérience révolutionnaire russe de la classe ouvrière au début du 20e siècle qui a réalisé la Révolution socialiste d'Octobre et libéré du joug insatiable du capital tous les travailleurs de Russie ? Pensez-vous que cette expérience hisorique des luttes peut être transposée dans le contexte actuel de la Corée du Sud ?
Nous étudions l'histoire du mouvement révolutionnaire mondial de diverses façons, mais je ne connais pas grand-chose, seulement les faits qui sont connus de tous. Bien sûr, la Révolution d'Octobre en Russie a inspiré tous les travailleurs qui combattent réellement le capital. Je pense que les Soviets de députés ouvriers paysans et soldats étaient l'avant-garde de la construction d'une société nouvelle. La question est la suivante : comment faire pour que empêcher la bureaucratisation des Soviets et s'assurer qu’ils reflètent nos intérêts de classe ? Je pense que nous devrions étudier la possibilité de faire prendre en charge par des conseils de type Soviets certains services publics. Je ne connais pas grand-chose, c’est pourquoi ma réponse est courte.
11. Votre action a-t-elle des soutiens dans d’autres pays du monde ? Si oui, de quelle manière ? Y a-t-il eu dans le monde des actions organisées pour vous soutenir ?
Je n’ai pas beaucoup d’éléments sur le mouvement de solidarité internationale. Je ne parle pas de langues étrangères, et c’est pourquoi je n'ai jamais eu de relations particulières avec des camarades étrangers. Je ne sais pas ce qui s'est fait à l’ étranger nous concernant. Je ne sais pas comment ni quoi demander, et c’est pourquoi pour le moment je n’ai pas rien fait. Mais ce serait bien que les camarades étrangers, à travers le monde, fassent connaître la façon dont on nous exploite et dont on nous écrase.On dit que Hyundai et Kia occupent la cinquième place mondiale pour la production d’automobiles. Mais si ces machines sont produites par des travailleurs précaires exploités et sans droits, l'acheteur qui accepte d'acheter les produits ne porte-t-il pas une part de responsabilité ? Faites savoir aux gens à l'étranger ce qui se passe ici, cela devrait contribuer à mettre la pression sur la compagnie, et qu'elle assume au moins une part de sa responsabilité envers à la société.
Traduit du coréen en russe par Vladimir Tikhonov
Post-Scriptum d'Irina Malenko
Cette semaine, les syndicats des travailleurs permanents de Hyundai Motors et de son partenaire Kia (qui emploient 45.000 personnes dans leurs usines sud-coréennes) ont l'intention de lancer une grève générale. La chaîne de télévision britannique "objective" et "impartiale" qu'est la BBC a plaint la "pauvre" compagnie Hyundai, en rappelant que, l'année dernière, l'arrêt de travail des ouvriers sud-coréens de la société pendant 4 mois, entraîné "des dommages d’un montant de 1,5 milliard de dollars" (2). Les journalistes britanniques ont affirmé devant des millions de téléspectateurs à travers le monde que, dans l'industrie automobile sud-coréenne, "des grèves se produisent régulièrement en raison de la présence de syndicats puissants" (bbc.co.uk/news/business-23691284). Cette présentation déformée de la réalité passe complètement sous silence le traitement des travailleurs par les entreprises sud-coréennes.
Dans ce qui n'est pas un lapsus, la BBC veut faire accroire l'idée que les travailleurs sud-coréens ont "les yeux plus gros que le ventre", en rendant compte de manière erronnée des exigences de base des grévistes. Так, на первое место журналисты Би-Би-Си «выпячивают» требование рабочих «выдавать золотые медали весом в 54.25 грамм отработавшим на фирму 40 лет» — по словам наших корейских источников, » золотые медали, видимо, в Лондоне просто и придумали. Ainsi, les journalistes mettent tout d'abord en avant une demande qu'auraient les travailleurs "de recevoir des médailles d'or pesant 54,25 grammes au titre de 40 ans passés au service de la firme". Selon nos sources coréennes, il s'agirait d'une pure invention. En réalité, les travailleurs demandent surtout de porter le salaire mensuel de base à 130.498 won (contre 120.498 won aujourd'hui), soit environ 120 dollars (!) (à comparer avec le salaire des journalistes de la BBC pour le prix de leur reportage), une augmentation des primes à hauteur de 800 % (contre 750 % actuellement) et le recul de l'âge de la retraite de 59 à 61 ans (pour compenser le fait que, dans la réputée riche Corée du Sud, les pensions de retraite sont trop faibles pour subvenir aux besoins, ce point étant une fois encore occulté par la BBC).
Nos journalistes britanniques, réputés impartiaux, déforment encore délibérément la nature des exigences des travailleurs coréens - en particulier, s'agissant du paiement par l'entreprise des frais de formation professionnelle pour les enfants des travailleurs qui ne vont pas à l'université. et se préparent à chercher un emploi. La BBC s'émeut que, pour les enfants des travailleurs qui fréquentent l'université l'entreprise paie la formation, mais sans dire un mot que l’éducation professionnelle en Corée du Sud est loin d’être gratuite et que, même pour devenir ouvriers et poursuivre la carrière de leurs parents, les enfants ont besoin d’argent. Les travailleurs ne veulent pas que ceux qui n'entrent pas à l’université - les moins nombreux - soient victimes de discrimination. "Tout est cher, la famille souvent ne s’en sort pas" nous ont déclaré les Coréens. En ajoutant : "je savais qu’il y a des idiots à la BBC, mais pas à ce point..."
Non, camarades, les scribouillards bourgeois ne pas des idiots. Comme des idiots, ils font mine de penser que leur auditeurs ne parlent pas coréen et les gens d'autres pays les croiront sur parole, sans chercher à connaître la vérité. Les demandes des travailleurs sont publiées sur le site de gauche sud-coréen (http://www.redian.org/archive/58806) : "toutes les exigences sont concrètes et importantes" - dit cette source sud-coréenne, "nous affirmons que le relèvement du salaire de base à 130.498 won (environ 120 dollars) est vraiment nécessaire, les salaires de base étant très faibles, si bien que nous ne pouvons vivre qu’avec le paiement des heures supplémentaires".
A la fin du mois d’août, "les autobus de l'espoir" des syndicats coréens se rendront une nouvelle fois à Ulsan. De toute évidence, les forces de sécurité dépêchées par Hyundai provoqueront une fois encore des bagarres, comme fin juillet.
Nous suivrons la lutte des travailleurs de Hyundai et KIA pour leurs droits et informerons nos lecteurs à ce sujet.
Irina Malenko
Notes
(1) Hyundai dispose de trois usines automobiles, à Ulsan, Asan et Jeonju. Dans ces trois usines agissent trois branches distinctes du syndicat des travailleurs précaires de Hyundai automobile. A Ulsan, le syndicat des travailleurs précaires des usines automobiles Hyundai est affilié à l'Union nationale des travailleurs de la métallurgie, siège du syndicat). A Asan, le syndicat de travailleurs précaires est affilié à la branche de l’Union nationale des travailleurs de la métallurgie de la province de Chungcheong du Sud. Enfin, à Jeonju, le syndicat des travailleurs précaires est affilié à la branche de l’Union nationale des travailleurs de la métallurgie de la province du Jeolla du Nord.
(2) Une vidéo en coréen "la lutte des travailleurs en Corée du Sud pour leurs droits » a été réalisée par les syndicats sud-coréens, présentant la lutte des travailleurs et leur traitement par les employeurs.
Lorsque l’entreprise a appris que les travailleurs avaient décidé de monter sur un pylône de ligne à haute tension, elle a essayé de les empêcher : le pylône a été ceinturé de barbelés. Mais les ouvriers ont coupé les barbelés et ont grimpé sur le pylône de nuit.
Dans un premier temps, les ouvriers ne disposaient que de quelques plaques de contreplaqué pour rester sur le pylône, puis ils ont progressivement mis en place une sorte de « plate-forme ».
Au cours des actions qui ont suivi en faveur des manifestants, la milice patronale a cherché à dissimuler ces actions des regards. Un autobus avec des gardes stationne en permanence sous le pylône, comme j’ai pu le voir quand j'étais là-bas.
Un médecin passe parfois, invité et rémunéré par le syndicat.
Ci-dessous ma photo lors l'échange de cadeaux avec le leader syndical qui était recherché par la police quand il a nous rencontrés. Il a nous a montré une vidéo sur la vie et la lutte des travailleurs de Hyundai. Photo de groupe sous la tour.
Il y a des installations sous des tentes, comme dans une mini-ville, et quatre travailleurs veillent en permanence. Ils préparent aussi la nourriture pour les manifestants (nous avons pris avec eux un repas à base de riz et de chou), ils évacuent les déchets et surveillent l'état général de santé des deux protestataires. A côté de la tour passe une voie de chemin de fer et les conducteurs des trains qui passent manifestent leur soutien aux travailleurs en faisant siffler leur locomotive.
Traduction du russe : AAFC-YB.