Il y a cinquante ans, le 15 août 1962, un soldat américain en Corée du Sud, James Dresnok, faisait défection en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). James Dresnok n'est ni le premier, ni l'unique défecteur américain en Corée du Nord - mais les autres GIs ayant choisi de franchir le 38ème parallèle (Larry Abshier, Jerry Parrish, Roy Chung et Joseph White) sont aujourd'hui décédés et le dernier, Charles Jenkins, est retourné en Occident. Dans son troisième long métrage documentaire consacré à la RPD de Corée (après Le match de leur vie et Les demoiselles de Pyongyang), réalisé en 2006 avec Nicholas Bonner (qui dirige l'agence de tourisme Koryo Tours, spécialisée dans les voyages en Corée du Nord), le réalisateur britannique Daniel Gordon a décrit le destin peu commun de James Dresnok : né d'une rencontre en juin 2004, Crossing the line est le récit touchant et captivant d'un Américain devenu nord-coréen.
Né dans une famille séparée de Richmond en 1941, élevé par son père, James Joseph Dresnok a connu une enfance difficile. Puis il a choisi de s'engager dans l'armée américaine, le lendemain de son dix-septième anniversaire. Dans Crossing the line, il a également décrit les frustrations de sa première affectation en Allemagne, où suite à une faute mineure il a été soumis à une punition extrêmement sévère. Pour la première fois, il aurait alors envisagé d'aller vivre dans "un pays communiste" - mais comme il l'a déclaré lors d'un entretien en 2008 avec Mark Seddon, du Guardian, la République démocratique allemande (RDA) se contentait d'interroger les défecteurs, avant de les renvoyer dans leur pays d'origine.
A son retour d'Allemagne en 1960, il découvre que son épouse l'a quitté pour un autre homme. Alors affecté en Corée, il affirme que plus rien ne le retenait pour vivre aux Etats-Unis. Ayant rencontré une femme coréenne et imité la signature de son supérieur, il encourt le risque d'être soumis au procès d'une cour martiale : il fait alors le choix de faire défection en Corée du Nord, pour une nouvelle vie, en franchissant un champ de mines. Près d'un demi-siècle plus tard, il nous dit ne rien regretter.
Initialement, avec d'autres Américains ayant également déserté au Nord du 38ème parallèle en franchissant la DMZ, James Dresnok n'envisageait pas de rester. Leurs conditions initiales de vie en Corée du Nord ne sont pas faciles. Comme l'a observé James Dresnok, dans un pays dévasté une décennie plus tôt par les bombardements américains de la guerre de Corée, l'anti-américanisme est un sentiment spontané : à Mark Seddon, il a déclaré "Les gens ici, vous voyez, apprennent à détester l'impérialisme américain. Tous ces bombardements ! Combien de gens ont-ils massacré ? Ils ont tué les Coréens comme des sauvages. Bien sûr les gens vont détester les Américains".
Les ouvrages du Président Kim Il-sung leur sont donnés. James Dresnok déclare que "l'homme est le maître de son destin" (un des principes fondamentaux des idées du Juche, le socialisme de la RPD de Corée), et déclare que "petit à petit il a commencé à comprendre le peuple coréen". Ayant acquis la nationalité nord-coréenne, ils deviennent professeurs d'anglais, et surtout des célébrités du cinéma de la RPDC, reconnus dans la rue, lorsqu'ils commencent de jouer - à partir de 1978 - les rôles des Américains dans les films nord-coréens. James Dresnok était effrayé par la tâche, mais il a déclaré : "le camarade Kim Jong-il était alors dans l'industrie cinématographique (...) Il nous appris comment jouer dans un film".
S'étant marié une première fois à une Roumaine, Doina Bumbea, décédée d'un cancer des poumons, James Dresnok s'est remarié avec la fille d'un diplomate togolais et d'une Nord-Coréenne, dont il a eu un fils en 2001. De son premier mariage en Corée, James Dresnok a eu deux fils, dont l'aîné apparaît dans Crossing the line : étudiant en anglais dans la prestigieuse Université des langues étrangères de Pyongyang, il espère devenir diplomate, pour changer l'image de son pays. James Dresnok attache de l'importance à l'éducation de ses enfants, pour qu'ils ne soient pas, comme lui, "illettrés".
Fatigué par les demandes d'entretien des journalistes occidentaux, James Dresnok est maintenant un homme âgé, affaibli par la consommation d'alcool et de tabac. Il est reconnaissant au gouvernement de la RPD de Corée de prendre soin de lui, et il ne peut pas cacher son émotion sur le traitement préférentiel qu'il a reçu pendant les années de pénurie alimentaire de la dure marche. Tout en observant que sa vie est en Corée du Nord, il rêve de pouvoir, un jour, visiter à nouveau les Etats-Unis.
Sources :
- Mark Seddon, "The Dear Leader Takes Car of Me", article d'après un entretien avec James Dresnok, publié dans The Guardian, 9 septembre 2008 (dont photo) ;
- Penny Sillers, "Last US Defector in North Korea", article publié le 23 janvier 2007 sur BBC News ;
- fiche technique sur l'Internet movie database (IMDB) ;
- présentation du film sur le site de l'agence Koryo Tours ;
- vidéo : Youtube.