A la veille du second tour, le 27 juin 2008, d’une élection présidentielle au Zimbabwe âprement disputée, entre le père de l’indépendance Robert Mugabe, au pouvoir depuis 1980, et le chef de l’opposition Morgan Tsvangirai, l’AAFC a souhaité revenir sur une alliance ancienne de trente ans entre le Zimbabwe et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord).
«Tout au Zimbabwe est associé aux exploits du président Kim Il-sung» : c’est en ces termes que le président du Zimbabwe, Robert Mugabe (ici à la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU, le 26 septembre 2007), a accueilli le nouvel ambassadeur de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) en avril 2007. De fait, les idées du Juche développées par le président Kim Il-sung sont explicitement considérées comme un modèle par l’Union nationale africaine du Zimbabwe–Front patriotique (Zimbabwe African National Union–Patriotic Front, ZANU-PF), au pouvoir au Zimbabwe depuis 1980, après sa guerre de libération victorieuse contre le régime d’apartheid qui avait prévalu jusqu’alors dans l’ancienne Rhodésie du Sud.
La proximité politique et idéologique entre la ZANU-PF et le Parti du travail de Corée s’est en effet nouée pendant les combats de la libération, suite notamment au voyage de Robert Mugabe à Pyongyang en 1978, alors que la RPDC a été l’un des soutiens politiques et militaires les plus actifs aux mouvements de décolonisation du Tiers-Monde. Tandis que la rivale de la guérilla de la ZANU (l’actuelle ZANU-PF), l’Union populaire africaine du Zimbabwe (Zimbabwe African People's Union, ZAPU), avait pour principaux alliés le Congrès national africain (African National Congress, ANC) de l’Afrique du Sud, l’Union soviétique et les démocraties populaires d’Europe de l’Est, la ZANU s’était rapprochée, pour sa part, de la Chine et de la Corée du Nord, afin de combiner les principes du socialisme et de l’indépendance nationale. Les liens militaires se poursuivront après l’indépendance du Zimbabwe, la RPDC ayant alors envoyé des experts militaires à Harare pour former l’armée du nouvel Etat.
Lors de sa première visite officielle à Pyongyang, en octobre 1980, au lendemain de l’indépendance, Robert Mugabe a souligné le modèle que constituait la RPDC, et spécialement le Parti du travail de Corée, pour l’édification du nouvel Etat :
«Il n’y a pas de doute que l’instrument politique de base pour la formulation de nos buts politiques, sociaux et économiques et l’identification des moyens adaptés à leur réalisation est le Parti du travail de Corée » en reprenant l’idée de base du Juche, selon laquelle « les peuples sont réellement les maîtres de leur destin dans l’exercice de leur souveraineté.»
Toujours à Pyongyang, le président Robert Mugabe a précisé que, dans cette perspective, la consolidation de l’indépendance nationale du Zimbabwe était indissociable de la lutte mondiale anti-impérialiste, et qu’elle supposait des liens de fraternité avec la RPDC :
«La lutte anti-impérialiste et anti-coloniale doit continuer dans la région pour se débarrasser des forces impérialistes qui demeurent dans les pays du Sud. Toutefois nous devons maintenant, en ce qui nous concerne, utiliser notre indépendance comme un instrument pour atteindre les buts économiques de notre révolution… C’est dans la poursuite de cet objectif que nous désirons voir se consolider notre amitié et notre alliance.»
Dans son discours adressé le 7 octobre 1985 à l’Assemblée générale des Nations-Unies qui a développé le soutien du Zimbabwe aux mouvements d’indépendance nationale, Robert Mugabe a non seulement dénoncé les présences militaires étrangères à Grenade, au Salvador, au Liban, en Afghanistan, au Kampuchea, à Mayotte, au Timor Oriental, au Tchad et au Sahara occidental, mais également plaidé pour la réunification de la péninsule coréenne et le départ des troupes américaines du sud de la Corée.
Après la mort du président Kim Il-sung, le 8 juillet 1994, un comité pour honorer sa mémoire a été créé à Harare, dirigé par le vice-président du Zimbabwe, Joseph Msika, témoignant ainsi de l’inscription dans la durée des relations entre le Zimbabwe et la RPD de Corée, bien après l’indépendance de l’ex-Rhodésie du Sud.
Les liens noués entre la RPDC et le Zimbabwe ont aussi eu des conséquences indirectes sur leurs relations avec des pays tiers : par exemple, l’exposition – remarquée – d’art contemporain nord-coréen, à Londres en 2007, est née d’une rencontre à Harare entre l’organisateur de l’exposition, David Heather, et le peintre nord-coréen Pak Hyo-song.
David Heather (2ème) entouré des artistes nord-coréens Kim Song-min, Pak Hyo-song et Son U-yong.
En guise de conclusion, l’AAFC observe que le Zimbabwe et la Corée du Nord ont été l’un et l’autre confrontés à une radicalisation des courants d’opinion hostiles dans certains pays occidentaux, depuis les années 1990. Alors qu’en février 1981, François Mitterrand, alors candidat à l’élection présidentielle, choisissait la Corée de Kim Il-sung pour renforcer sa stature internationale en louant la personnalité du leader nord-coréen, vingt-cinq ans plus tard, le président vénézuelien Hugo Chavez renonçait à son étape nord-coréenne lors d’une tournée internationale, malgré le renforcement des liens bilatéraux avec la Corée du Nord, car en butte aux critiques acerbes des néo-conservateurs américains. De même, alors que le Zimbabwe de Robert Mugabe était fréquemment regardé en Occident, dans les années 1980, comme un modèle de paix sociale et de développement économique réussi dont pourrait s’inspirer l’Afrique du Sud libérée de l’apartheid, les puissances occidentales, au premier rang desquelles les Etats-Unis et le Royaume-Uni, dénoncent ouvertement l’actuel gouvernement zimbabwéen, qui a entrepris une réforme agraire différée dans les années 1980.
Principale référence : Richard Schwartz, Coming to terms : Zimbabwe in the international area, I. B. Tauris, Londres et New York, 2001. ISBN 1 86064 647 6.
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