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5 avril 2018 4 05 /04 /avril /2018 21:42

Si l'atmosphère est à la détente autour de la péninsule coréenne avant les prochains sommets intercoréen (confirmé le 27 avril) et Etats-Unis - République populaire démocratique de Corée (RPDC) (envisagé fin mai), Washington et ses alliés ne cèdent pour l'heure sur rien : le 30 mars 2018, les Nations unies ont complété la liste des entités soumises aux sanctions liées à la RPDC en ajoutant une cinquantaine de navires et de sociétés, accusées d'aider au contournement des sanctions par Pyongyang ; enfin, le 1er avril, les manoeuvres militaires conjointes Foal Eagle ont commencé pour une durée de quatre semaines, et impliqueront cette année 300 000 soldats sud-coréens et plus de 11 500 soldats américains. Dans ce contexte, le chercheur russe Alexandre Vorontsov s'est interrogé, dans un article publié le 29 mars 2018 sur le site du club Valdaï : « Les manoeuvres militaires américano-sud-coréennes feront-elles échouer le sommet Trump - Kim Jong-un ?» Nous reproduisons ci-après cet article traduit du russe.

Les manoeuvres militaires américano-sud-coréennes feront-elles échouer le sommet Trump - Kim Jong-un ?

Le 1er avril 2018 commencent les grandes manoeuvres militaires annuelles américano-sud-coréennes retardées d’un mois à cause des jeux olympiques à Pyeongchang. Leur différence importante est qu’elles se déroulent maintenant sur fond de préparation du sommet sensationnel entre les leaders de la RPDC et des Etats-Unis, qui doit avoir lieu en mai. Cela crée une complication supplémentaire, et un défi à la situation unique existant dans la péninsule coréenne.

En Corée s’est créée une situation encore impensable il y a un mois, une situation dans laquelle les leaders, à la limite de la guerre « chaude » pendant toute l'année passée, de la RPDC d'une part, et des États-Unis et de la Corée du Sud d’autre part, de manière inattendue pour la plupart des politiques et des experts de tous les pays, ont décidé de mettre de côté les menaces mutuelles et non seulement de passer à des négociations, ce que les États-Unis refusaient avant tout, mais en seulement deux mois pour préparer et réaliser deux rencontres au sommet.

La plus surprenante a été l’annonce du début de la préparation du sommet américano-nord-coréen. Cet événement semble surtout unique parce qu'il a été préparé par la voie des services spéciaux des deux pays de façon strictement confidentielle sans notification – y compris au ministère des Affaires étrangères et dans les autres départements concernés. Un article du New York Times décrit en détail l'histoire secrète de l’action des chefs des services de renseignement des Etats-Unis, de la Corée du sud et de la RPDC, et l’affaiblissement important du rôle du ministère des Affaires étrangères des Etats-Unis dans la politique étrangère, et son inactivité croissante y compris dans les affaires coréennes.

Un tel retournement rapide des événements a engendré une masse de questions, sur ses raisons avant tout, sur l’ordre du jour des futures négociations, le lieu de leur tenue. Chaque partie donne son interprétation de ces événements.

Washington, comme cela était prévisible, présente l'initiative de Kim Jong-un exclusivement comme sa victoire et le résultat du régime sévère de sanctions et de la pression militaro-politique, qui ont finalement effrayé la direction de la RPDC et l'ont obligée à aller à la capitulation.

Pyongyang explique son initiative, d’un point de vue diamétralement opposé, comme une manifestation de sa bonne volonté et de son aspiration sincère à la paix, déjà plus d'une fois manifestées par lui mais maintenant renforcées par sa possession d’un solide potentiel de défense. Comme on le sait, la Corée du Nord à la fin de novembre 2017 a annoncé l'achèvement de ses programmes de création d’armements nucléaires et balistiques, ayant réalisé un bouclier nucléaire garantissant sa sécurité.

L'analyse des premiers messages des officiels des capitales des Etats principaux intéressés, en premier lieu les Etats-Unis, ne permet pas d’envisager avec optimisme la possibilité même de la tenue réelle de ce sommet Etats-Unis-RPDC et, si la rencontre a lieu, de ses résultats possibles.

Il est évident que pour le moment les positions des parties restent inchangées et que Washington et Séoul aspirent avant tout à mettre en valeur leur puissance militaire ainsi que leur solidarité inébranlable dans leurs actions concernant la Corée du Nord.

Les États-Unis et la Corée du Sud continuent d’affirmer que le bilan final des négociations peut être seulement la dénucléarisation complète de la RPDC. De plus, comme auparavant, sont mises en avant des exigences préalables. Comme l’a déclaré le 9 mars l'attaché de presse de la maison blanche Sarah Sanders : « Le Président ne participera pas à une rencontre s’il ne voit pas des avancées réelles et des actions concrètes réalisées par la Corée du Nord afin que le président obtienne quelque chose (avant la tenue de la rencontre). »

Washington demande aussi que « tout accord avec la RPDC soit accompagné par un mécanisme contraignant de vérification ayant pour but une dénucléarisation irréversible ».

De plus ni Donald Trump, ni Moon Jae-in n'ont l'intention non seulement de cesser, mais même d'affaiblir les sanctions contre Pyongyang pendant la préparation et la tenue des sommets. C'est-à-dire qu’ils ont l'intention d'intensifier la pression sur Kim Jong-un pour le rendre plus accommodant.

Comme il est facile de le remarquer, tout cet ensemble d’exigences déjà avancées plus d'une fois par les Etats-Unis et leurs alliés a toujours été rejeté catégoriquement par Pyongyang comme inacceptable. Il nous semble difficile de penser que cette fois Kim Jong-un, qui a affirmé plusieurs fois que son potentiel balistique et nucléaire ne pouvait pas être l'objet de négociations, accepte l'ultimatum américain.

Au début de mars 2018 les diplomates coréens ont fait connaître leur nouvelle approche de la gestion des affaires avec les États-Unis. La RPDC propose une formule de négociations, dans lesquelles chaque partie aura la possibilité de mettre en discussion n'importe quelle question présentant un intérêt et une préoccupation pour elle. Sans conteste c'est une position considérablement plus souple en comparaison de la précédente dans laquelle Pyongyang insistait catégoriquement en affirmant « nous ne participerons à aucune négociation comportant à l’ordre du jour nos programmes balistiques et nucléaires ». Maintenant la partie nord-coréenne a transmis à Washington par les émissaires sud-coréens le fait que Kim Jong-un a exprimé « son attachement à la dénucléarisation de la péninsule coréenne et a fait savoir qu'il n’y a pas de raisons à la possession de l'armement nucléaire en l'absence de menaces militaires pour la RPDC ». Il a aussi mentionné à maintes reprises le testament de son grand-père, le fondateur de la République populaire et démocratique de Corée Kim Il-sung, qui voulait voir le futur de la péninsule coréenne dans un statut dénucléarisé. Ce que Pyongyang comprend comme garanties extérieures de sa sécurité, il l’a aussi expliqué plus d'une fois : le retrait des troupes américaines de la Corée du Sud et de l'armement nucléaire américain des territoires proches de la RPDC (le Japon, l'île de Guam etc… ), la cessation des manœuvres régulières américano-sud-coréennes, l'établissement de relations diplomatiques avec les États-Unis et le Japon, le retrait des sanctions internationales et unilatérales, l'octroi d’aide économique à titre de compensation du préjudice causé par les sanctions.

C’est clair que cette position est jugée abusive par Washington, aussi elle a déjà été rejetée et le sera probablement cette fois aussi.

Mais quelque chose a tout de même changé. Les mots sont absolument nouveaux, mais le plus sérieux de ces dernières années c’est cette session de jeux et de manoeuvres diplomatique. Ce fait en lui-même mérite une estimation positive. Cependant on peut discuter sur son ampleur. À notre avis elle est très limitée.

Certes, le représentant spécial de Moon Jae-in à Pyongyang s'est mis d'accord sur quelque chose qui reste entre les lignes des documents publiés et que nous ne connaissons pas. Le président sud-coréen tâche d'être « un vrai Coréen » pour Pyongyang et un allié sûr pour Washington, ce qui est très difficile.

C'est pourquoi on peut admettre que l'information et les détails des accords, qui ont été réellement atteints à Pyongyang, puis qui ont été rapportés à Washington par les gens du Sud, ne sont pas identiques et ont une tonalité différente. C'est pourquoi en cas d’arrêt du projet ambitieux qui se dessine, Washington et Pyongyang pourront dire qu’ils étaient informés d'une manière inadéquate par un intermédiaire et qu’ils se sont incorrectement compris l'un l'autre.

Cependant le jeu a commencé et (en tout cas du côté nord-coréen) il est bien élaboré. Pendant les Jeux olympiques à Pyeongchang ils ont réussi à établir des contacts avec les représentants américains. De plus Pyongyang se base sur le fait que ses atouts se sont réellement renforcés. D'une part, les États-Unis sont sérieusement inquiets des succès du programme balistique et nucléaire de la Corée du Nord et croient en sa capacité à porter le feu nucléaire sur la partie continentale de l'Amérique.

D'autre part, Washington avec déception est persuadé que ses deux alliés d'Extrême Orient - le Japon conservateur de Shinzo Abe et la Corée du sud du « libéral » Moon Jae-in - rejettent catégoriquement toute variante d’opération militaire des États-Unis contre la RPDC. À Washington visiblement il est devenu clair que si l’on ignore la position très négative des alliés et que l’on porte quand même un coup militaire à la Corée du Nord, selon la conception « du nez ensanglanté » promue activement par les faucons de l'administration Trump ces derniers mois, on peut non seulement aggraver les relations avec Tokyo et Séoul, mais aussi les perdre comme alliés. Une telle réalité valable naturellement à un certain degré a réduit le champ d’action de Washington.

De plus, ayant commencé contrairement à la volonté de Washington et se prolongeant de manière dynamique, le progrès dans les relations intercoréennes a donné à Pyongyang un levier déterminé d'influence sur les États-Unis.

Au total la latitude de Washington dans la péninsule coréenne et autour d’elle a été relativement réduite, et les positions de négociation de Pyongyang se sont affermies d’autant. Dans ces conditions la RPDC a décidé de passer à l'offensive diplomatique, en espérant l’obtention de dividendes limités mais réels. À titre de geste de bonne volonté elle s’est fixé volontairement elle-même un moratoire d’essais balistiques et nucléaires pendant la période précédant la tenue des deux sommets. Ce qui est probablement favorisé par le cycle technologique actuel du développement de leurs programmes militaires, ne nécessitant pas en ce moment de tirs de missiles. (Washington, sûrement, interprétera ce pas comme une manifestation de faiblesse et de concession du Nord sous la pression des Américains).

Au cours des prochaines enchères diplomatiques les gens du Nord espèrent au minimum réussir à obtenir de leurs adversaires sinon l’arrêt des manoeuvres d'avril américano-sud-coréennes militaires au moins la réduction considérable de leur volume, mais l'essentiel est non seulement le point d’arrêt à un durcissement ultérieur, mais aussi un certain affaiblissement partiel des sanctions économiques. Probablement, ils réussiront à adoucir la position actuelle inébranlable de Washington de dénucléarisation immédiate et à lancer un mouvement graduel vers ce but avec le gel temporaire de leurs activités balistiques et nucléaires sur la base d’actions réciproques. C'est-à-dire au fond pousser les États-Unis vers une solution dans le cadre du modèle semblable à la proposition russo-chinoise du 4 juillet 2017 sur un double gel et un plan de règlement du problème coréen en trois étapes.

Prédire les résultats à venir de l’étape en cours dans le bras-de-fer diplomatique est impossible. Beaucoup dépend du rapport des forces de politique intérieure en Corée du Sud et particulièrement aux États-Unis, où jusqu'ici les positions des « faucons » étaient plus fortes que celles des « négociateurs » (le remplacement au poste du secrétaire d'État « colombe » [1], le retour à la maison Blanche du « néoconservateur charismatique » John Bolton en est une confirmation). Le processus fragile de dialogue peut échouer à n'importe quel moment.

D'autre part l'histoire récente se rappelle les cas où une série de présidents des États-Unis (Bill Clinton, George Bush junior) ont commencé par une rude confrontation avec la RPDC, puis ont évolué vers un chemin constructif de négociation. Cela aussi fait partie de la tradition américaine en politique extérieure. On ne peut pas sous-estimer non plus « le facteur Trump », qui avec son imprévisibilité est capable d’orienter rapidement le vecteur des négociations dans n’importe quelle direction.

Et à ce moment critique, contrairement aux fuites plus d'une fois organisées de l'information selon laquelle les manœuvres Foal Eagle et Key Resolve pourraient être supprimées cette année, ces plus grandes manoeuvres annuelles des troupes des États-Unis et de la Corée du Sud, potentiellement capables de faire dérailler le fragile processus diplomatique, commenceront quand même le 1er avril.

Cependant nous recevons des participants aux sommets en préparation des signaux contradictoires. Si on examine les paramètres quantitatifs, ces manoeuvres sont même un peu plus grandes que celles de l'année passée. En 2017 participaient 320 000 militaires, y compris 15 000 Américains, cette année 323 000 en tout dont 23 000 soldats US. [1] De plus, leur durée (d'habitude presque deux mois) est un peu réduite. Le scénario est devenu aussi moins combatif et plus « délicat ». N'est pas mentionné le but de « la décapitation », c'est-à-dire de la liquidation la plus rapide de la direction supérieure de la Corée du Nord. La retenue et la modicité des tâches de combat ont même provoqué des protestations de l'opposition conservatrice en Corée du Sud dont les leaders déclarent que « la réduction du niveau des manoeuvres et de la confiance militaire entre les États-Unis et la Corée du sud envoient un signal incorrect à Kim Jong-un  ». Ce n’est pas par hasard si les médias américains et sud-coréens remarquent que « Kim Jong-un a manifesté une retenue et une flexibilité inattendues quant aux manoeuvres de cette année ».

Naturellement, une telle humeur pacifique du leader nord-coréen exclut quelque réaction rude du côté de Pyongyang sur l’entraînement des militaires américains et de Corée du Sud et confirme son intention sérieuse de mener à bon terme la préparation de la rencontre avec le locataire de la Maison Blanche

Il n'y a pas de nécessité d’expliquer que, quels que soient les résultats du sommet « Trump – Kim », ce sera un événement qui marquera l’histoire. Et c’est précisément ce but, et non les manoeuvres militaires au sud de la péninsule coréenne, qui est actuellement la priorité absolue pour Kim Jong-un

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[1] "U.S. and South Korea to Resume Joint Military Exercises", 19 mars 2018, New York Times [NdT : ces données correspondent aux informations disponibles lors de la publication de l'article]

Alexandre Vorontsov est en charge du Département de Corée et de Mongolie à l’Institut d’études de l’Extrême-Orient de l’Académie des sciences de la Fédération de Russie. De 1998 à 2000 il a été professeur invité à l’université de Seoul, de 2000 à 2002 deuxième secrétaire à l’ambassade de la Fédération de Russie à Pyongyang. Il a également enseigné aux Etats-Unis et au Japon.

Le Club de discussion « Valdaï » (en russe, Международный дискуссионный клуб « Валдай ») est un forum international annuel qui vise à rassembler des experts pour débattre de la Russie et de son rôle dans le monde.

Traduction du russe pour l’AAFC par YB. Article original (en russe) : 

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