Le professeur Edmond Jouve, président du groupement européen d'étude des idées du Juche, est un des meilleurs connaisseurs de la question coréenne en France. S'étant rendu à de nombreuses reprises en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), il a ainsi pu en apprécier les évolutions depuis plus de 30 ans. Du 15 au 24 novembre 2017, alors que les tensions internationales atteignaient leur paroxysme, il a effectué son dix-septième séjour dans le pays : il a rédigé le compte rendu que nous reproduisons ci-après, en attendant la publication prochaine de son prochain ouvrage sur la RPD de Corée - qui sera annoncée sur le blog de l'AAFC et sera notamment illustré par des photos prises par l'auteur, reproduites ci-après avec son autorisation.
La Corée du Nord entend marcher sur ses deux jambes
Politique du Byungjin
(compte rendu de mon 17e séjour à Pyongyang, du 15 au 24 novembre 2017)
Depuis mon premier voyage, en juillet 1983, à Pyongyang, capitale de la République populaire et démocratique de Corée, de l’eau a coulé sous les ponts du fleuve Taedong. Si les assises du régime n’ont pas fondamentalement changé, il n’en est pas de même de la vie quotidienne. Un seul exemple en témoigne. Voilà 34 ans, j’occupais une petite chambre, dans une enceinte destinée aux hôtes étrangers. Pour mon dix-septième séjour, du 15 au 24 novembre 2017, j’ai logé, comme les autres délégations étrangères, dans le très confortable Koryo Hotel. Dans la vaste suite qui m’a été attribuée, j’ai capté, sans problème,TV5 Monde Asie, en français. Lors de mon premier voyage, je ne disposais que d’un petit poste de radio et je devais me contenter de la Voix de l’Amérique brouillée. Pendant trois semaines, ce fut mon seul contact avec le monde occidental.
Apparemment, le fondement idéologique de la République n’a pas changé. Comme nous le rappelle la constitution socialiste de la RPDC du 27 décembre 1972, la Corée du Nord est « la patrie socialiste du Juche », étant entendu que le président Kim Il-sung « a créé les Idées immortelles du Juche et entrepris, sous leur drapeau, la lutte révolutionnaire antijaponaise, instaurant ainsi de glorieuses traditions révolutionnaires et faisant triompher la cause historique de la libération du pays ».
Par ailleurs, « il a posé de solides assises à l’identification d’un Etat indépendant dans les domaines politique, économique, culturel et militaire, avant de fonder la République populaire démocratique de Corée ».
Quant au Dirigeant Kim Jong-il, il a « approfondi et développé, sur tous les plans, les Idées du Juche et celles du Songun, autrement dit, il a transformé la RPDC « en puissance politique et idéologique invincible, ainsi qu’en pays nucléaire et puissance militaire sans rivale ».
Le Maréchal Kim Jong-un, commandant suprême de l’Armée de la RPDC, n’est en aucune manière revenu sur ces principes, mais il a souhaité les porter à un stade suprême, sous la bannière du kimilsounisme et du kimilsounisme-kimjongilisme dont l’idée directrice nous paraît être que la Corée doit marcher sur ses deux jambes. Autrement dit, elle doit faire l’objet d’un développement parallèle appelé Byungjin.
Ainsi le développement militaire du pays couronné par sa force nucléaire, doit, en même temps, promouvoir une édification économique et sociale, destinée, finalement, à assurer le bonheur du citoyen.
Un programme de cette envergure ne saurait être accompli sans l’adhésion du peuple tout entier : les ouvriers, les paysans et les intellectuels. C’est pourquoi une troisième conférence nationale des hommes de sciences sociales a été réunie à Pyongyang les 16 et 17 novembre 2017 au Palais de la Culture du peuple en présence de 3000 participants dont certains venaient de la Chongryon (Coréens du Nord résidant au Japon) et de plusieurs pays du monde, dont la France.
Il s’agissait d’une conférence historique. Trois de ce type seulement se sont tenues en Corée depuis sa naissance : en septembre 1953 ; à la fin de la guerre (commencée en 1950) en vue de la remobilisation des intellectuels ; en 1972 pour marquer la transformation de la société selon le kimilsounisme. Celle qui vient de se tenir avait pour objet d’inviter les intellectuels à mettre en œuvre les principes contenus dans le kimilsounisme en vue d’apporter la réponse la plus appropriée aux besoins de notre époque.
- En matière militaire
Il s’agit d’une réponse, notamment aux Américains et à leurs alliés qui, pendant la guerre de Corée, ont effectué plus de 1500 raids aériens et qui, avec plus de 420 000 bombes, ont tenté de réduire la capitale en cendres.
En réalité, les impératifs de la défense nationale ont toujours été au cœur des préoccupations des dirigeants de la RPDC. Ce fut le cas de « l’Union pour abattre l’impérialisme » créée le 17 octobre 1926. C’est encore le cas pour le « Parti du Travail de Corée » fondé le 10 octobre 1945. Comme l’a écrit le Maréchal Kim Jong-un, « l’histoire du Parti du Travail de Corée est celle des éminentes activités révolutionnaires du président King Il-sung, son fondateur et du général King Jong-il qui a continué brillamment les idées et l’œuvre du Président ».
Dès lors, la politique du Songun repose sur le postulat que la défense de la paix passe par la possession d’un important arsenal militaire destiné à faire de l’armée révolutionnaire la force principale du pays et la forme de lutte la plus élevée permettant d’accéder à l’indépendance.
L’amendement à la constitution, du 1er avril 2013, a adapté la Loi fondamentale à cette politique. Il met au point un nouveau système politique organisant la vie étatique et sociale à partir de l’importance des affaires militaires. Dès lors, c’est le Comité de la Défense nationale qui tient en main, dirige et gère toutes les forces armées du pays et l’ensemble des questions relatives à la Défense nationale.
Selon l’article 106 de la constitution, le « Comité de Défense nationale » est l’organe suprême du pouvoir d’Etat pour la direction de la Défense nationale, étant entendu (article 100) que « le Premier Président du Comité est son dirigeant suprême ». A l’heure actuelle, c’est le Maréchal Kim Jong-un qui détient ces pouvoirs considérables, suite à son élection à ce poste par l’Assemblée populaire suprême (article 91).
On peut donc dire que la Constitution socialiste de la RPDC, suite à sa révision de 2013, est la Constitution du Songun. Pour marquer la continuité de cette politique, feu le général Kim Jong-il a été institué Président du Comité de la Défense nationale. Les dirigeants coréens ne tarissent pas d’éloges à l’égard de cette politique. Ils estiment que c’est grâce à elle que la RPDC a pu se doter de constructeurs et de lanceurs de satellites artificiels et posséder l’arme nucléaire. Ils se félicitent que la politique du Songun ait mis à l’honneur la volonté de réunification sur le mot d’ordre « entre nous Coréens ».
Ainsi qu’il est apparu lors du 70e anniversaire du Parti, la RPDC entend montrer au monde – spécialement aux Etats-Unis – qu’elle serait en mesure de riposter si, par malheur, certains voulaient interrompre sa marche vers un authentique socialisme.
Le 9 octobre 2006, Pyongyang a ainsi effectué son premier essai nucléaire. Le 13 février 2007, la RPDC consent à l’arrêt de son réacteur.
Les négociations à six (RPDC, République de Corée, Etats-Unis, Chine, Russie, Japon) ayant échoué, la RPDC réalise son deuxième essai nucléaire le 25 mai 2009. Il est suivi d’un troisième le 12 février 2013. Le 6 janvier 2016, Pyongyang annonce le succès d’un premier test de bombe à hydrogène. Le 29 novembre 2017, la Corée du Nord a effectué un nouveau tir de missile balistique qui aurait atteint une altitude de 4 475 km avant de s’abimer à 950 km du site de lancement.
Le 6 janvier 2016, le gouvernement de la RPDC avait publié une déclaration indiquant que le premier essai de bombe H était « une mesure auto-défensive pour défendre fermement la souveraineté du pays et le droit à l’existence de la Nation contre la menace et les chantages nucléaires terribles des forces hostiles conduites par les Etats-Unis et garantir sûrement la paix dans la péninsule et la sécurité de la région ». Par ailleurs, « en tant que possesseur nucléaire responsable, elle n’emploiera pas la première les armes nucléaires, si les forces hostiles ne violent pas sa souveraineté, ni ne transférera en aucun cas les moyens et techniques en la matière ».
Fière de ses réalisations, la RPDC a installé dans le récent complexe des Sciences et Techniques de Pyongyang, le 16 août 2017, une réplique en grandeur réelle de la fusée Unha-3. Parallèlement, les spécialistes coréens ne manquent jamais de rappeler que, depuis 1945, 2054 essais de l’arme nucléaire (1032 pour les seuls Etats-Unis) ont été effectués dans le monde. Ils indiquent aussi que la Corée du Sud détient plus d’un millier de bombes nucléaires, tandis que dans le ciel existent 1120 satellites dont 70 % à usage militaire.
Chaque fête, chaque commémoration, chaque défilé, chaque parade sont l’occasion, pour la RPDC, de démontrer sa force. Nous avons pu l’observer le 17 avril 2017 à Pyongyang lors du défilé célébrant le 105e anniversaire de la naissance du Président Kim Il Sung. Nous avons pu constater de visu la présence de missiles intercontinentaux avec, inscrit sur leur dos, le mot pukkuksong.
- En matière socio-économique
Sans aucun doute, le renforcement de la défense est, désormais, un acquis du régime. Il est assurément une « jambe » solide sur laquelle peut s’appuyer celui-ci. Mais, ce que nous avons pu constater, c’est que, parallèlement, en application de la politique du Byungjin, déjà formulée par le Président Kim Il-sung, l’autre jambe ne saurait être ignorée. Mieux même, le Maréchal Kim Jong-un s’efforce, jour après jour, de lui donner une force égale en dépit des sanctions qui pèsent sur l’économie du pays.
De manière générale, le Maréchal souhaite améliorer de façon substantielle le niveau de vie de la population tout entière sujette à tant de privations. Au même moment, des efforts considérables sont déployés pour améliorer le sort de quatre catégories déterminées : les intellectuels, les enfants, les femmes et les paysans. Pour un observateur comme moi, qui n’était pas venu depuis sept mois, les progrès m’ont paru remarquables. Pas à pas, avec les caractéristiques qui sont les siennes, le pays accomplit des efforts incessants pour entrer dans le concert des Nations. C’est peut-être cela que certains voient d’un mauvais œil, craignant que le régime se stabilise et – qui sait ? – donne des idées à d’autres.
Certes, tous les problèmes sont loin d’être résolus, spécialement en matière de transports. Les files d’attente existent toujours, même si elles sont moins denses. Il n’échappe à personne que Pyongyang est la vitrine du régime. Les contrées les plus lointaines ne bénéficient pas toujours des mêmes avantages, même si, à leur tour, elles sont dotées d’usines, de fermes collectives prospères et même d’immenses vergers.
La vie quotidienne est, elle-même, bousculée. En avril dernier, j’ai pu offrir à mon guide et à mon chauffeur de la bonne bière coréenne dans un bistrot qui aurait pu trouver sa place à Paris. Certes, les marques étrangères étaient représentées, mais mes invités ont souhaité me faire goûter la bière Taedonggang, « made in North Korea ». Nous avons pris deux bouteilles de 640 ml chacune et les avons dégustées accompagnées de poisson séché dont raffolent les Coréens.
Cette fois-ci nous avons réédité la même opération au bar du Koryo Hotel au 44e étage, du restaurant tournant. Pour régler, j’ai pu le faire en euro, sans le moindre problème. En sortant, nous avons affronté une circulation particulièrement dense qui n’avait rien à voir avec ce que j’avais observé lors de mes premiers voyages. Certes, notre habituelle Mercédès nous attendait, mais elle était en concurrence avec de nombreux taxis. Ils se comptent par centaines et appartiennent à des sociétés différentes. Dans les embouteillages, j’ai pu observer des Ford, des Toyota et même quelques Peugeot. D’autres voitures ont été construites en coopération avec la Chine, soit sur son territoire, soit en RPDC : les Pyonghwa (qui signifie Paix), les Jaju (Indépendance) et les Sunri (Victoire).
Dès que l’on se trouve dans la voiture, place au portable. On me dit qu’il en existe 3 millions dans le pays. Je dispose du mien, mais je ne peux l’utiliser que pour faire des photos et appeler des correspondants à l’intérieur du pays. J’apprends (un peu tard) qu’en changeant de puce, je pouvais appeler où bon me semblait, en particulier en France. Il m’en coûterait plus de 100 euros. Ce sera donc pour la prochaine fois.
En attendant, nous nous rendons dans la rue Changjon où je suis ébloui par ce que je vois.
Depuis 2012, l’année du centenaire de la naissance du président Kim Il-sung, des dizaines de gratte-ciels plus beaux les uns que les autres, montent la garde sur la route qui conduit au mausolée du Président. Les résidents - travailleurs, professeurs et savants – coulent ici des jours heureux dans des appartements mis gratuitement à leur disposition. Mon guide m’en désigne un qui reçoit les professeurs de l’Université Kim Il-sung, et cela sans bourse déliée. Ces immeubles sont entourés d’écoles, de crèches, de jardins d’enfants, de pharmacies et autres services. J’apprends aussi que l’un des immeubles a été édifié sous la direction d’un architecte coréen formé à Paris.
En cette période difficile durant laquelle la RPDC doit se défendre contre ceux qui sont hostiles à la force nucléaire, les plus hautes autorités du régime font bloc avec les intellectuels. On vient d’en voir plusieurs exemples avec la tenue de la troisième conférence nationale, avec l’ouverture du musée des Sciences et Techniques, avec l’attribution d’un immeuble à des enseignants. On pourrait trouver bien d’autres situations illustrant la faveur nouvelle rencontrée par les intellectuels coréens, en particulier la très grande statue en forme de stylo. Certains vivent même de leur plume. C’est le cas, semble-t-il du père de ma guide, M. Kim Hung -ik, qui vient de publier un gros livre sur le « Départ historique ».
Autres changements dont bénéficient les femmes coréennes : leurs tenues s’éloignent de plus en plus de l’uniforme, si bien qu’il m’arrive de parler de révolution vestimentaire. Il suffit, pour s’en convaincre, de se rendre dans les locaux du Koryo Hotel. Sont proposés à la vente des dizaines de modèles d’escarpins et d’élégants bottillons. Les collants – noirs de préférence – ont également fait leur apparition. Dans l’avion, d’élégantes hôtesses de l’air arborent des sortes de seyantes jupes qui, autrefois, auraient été qualifiées d’audacieuses. Mon interprète, toujours très soignée, portait généralement une robe noire et une veste blanche. Des décolletés commencent à apparaître ici ou là. Nous voici loin du costume national dissimulant les formes féminines. Certes, cet habit est souvent présent, mais adapté au goût de chacune d’elles. La mode « occidentale » commence à faire quelques ravages et les « deux-pièces » l’emportent souvent sur les autres vêtements. L’épouse du président donne l’exemple, ce qui facilite l’évolution. Signe des temps : à la « une » du Pyongyang Times (n° 44), en date du 4 novembre 2017, figure ce titre : « Kim Jong-un visits cosmetics factory ». Voilà donc les produits de beauté presque entrés dans les mœurs.
Les enfants sont également favorisés par le régime. Parmi les visites d’usines qui nous ont été proposées figurait en première ligne, l’usine des cartables dont il nous a été souvent dit qu’elle avait été voulue par le Maréchal Kim Jong-un. Ainsi, pour une somme de 1 à 2 euros, chaque enfant peut disposer d’un sac-à-dos aux couleurs chatoyantes et aux motifs particulièrement modernes.
Dans l’usine de chaussures que nous avons visitée, à ma demande, figurent des modèles ressemblant à tous égards, y compris avec leurs couleurs, à ceux que nous trouvons dans nos vitrines.
Dans cette évolution, les paysans ne sont pas oubliés. Certes, on peut encore voir des bœufs tirant des charrettes évoluer dans les rizières, mais des tracteurs commencent à apparaître. Le n° 46 du Pyongyang Times (18 novembre 2017) consacre sa « une » à la visite par Kim Jong Un d’une usine de tracteurs, dont la production révolutionnera la situation.
Et les étrangers ? Sont-ils nombreux en RPDC ?
Ceux qui ne connaissent pas la situation nous expliquent qu’il s’agit d’un pays fermé. Au cours de mes 17 voyages, j’ai pu me faire accompagner par un certain nombre d’amis et, chaque fois, surtout durant les célébrations, nous avons pu rencontrer des collègues de très nombreux pays, soit à Pyongyang, soit dans les sites que nous visitions. Quelques touristes apparaissent même ici ou là. Parmi les hôtels les plus modernes, citons le Koryo Hotel, le Yanggakdo International Hotel, le Hyangsan Hotel, le Majon Hotel, le Chongnyon Hotel et le Masikryong Hotel. En province, un équipement hôtelier convenable permet de visiter les endroits les plus célèbres, en particulier les monts Kumgang et Myohyang.
A condition de ne pas être trop éloigné de Pyongyang, l’invité ou le touriste peut assister à différents cultes : bouddhiste, catholique, protestant, orthodoxe... Selon l’article 68 de la Constitution « le citoyen jouit de la liberté de religion. Ce droit est assuré par la possibilité de disposer d’édifices religieux et d’y tenir des cérémonies ». Je me suis rendu à plusieurs reprises en la cathédrale catholique où j’ai pu assister à des assemblées présidées par des laïcs, étant entendu que des offices sont célébrés par des prêtres de passage. Peu d’hommes composent ces assemblées formées par des femmes d’un certain âge, portant des mantilles. Un détail m’a frappé : l’effigie des deux présidents est absente du revers de leur vêtement. Ils m’ont expliqué qu’ils avaient obtenu cette dérogation en se fondant sur cette constatation que l’on ne peut servir deux maîtres à la fois.
Les sites à visiter sont nombreux mais il est habituel, pour les délégations officielles, de faire plusieurs visites pour exprimer son respect aux fondateurs de la RPDC. Au fond, les Coréens du Nord ont réinventé, à leur manière, la visite au Soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe à Paris, le dépôt de gerbes, le ravivage de la flamme et même la descente des Champs-Elysées.
On se rend d’abord à Mangyongdae où est né et a grandi le président Kim Il-sung. Il s’agit de maisons modestes, couvertes de chaume, contenant des objets nécessaires à la vie journalière – en particulier une jarre bosselée dont on nous dit que le prix fut réduit en raison de son état. Quelques mètres plus loin, les visiteurs ont la faculté, avec une calebasse, de recueillir de l’eau issue d’une source dont je n’avais pas noté l’existence lors de mes premiers voyages. Devant ce phénomène, on pense nécessairement à Lourdes. Au fond, tout est divinisé dans ce lieu. J’en fis l’expérience en avril dernier. Souhaitant ramener un peu de cette terre dans mon village de Nadaillac, mon guide m’en a dissuadé fermement, déclarant qu’il s’agissait d’une terre sacrée non exportable.
Après Mangyongdae, Kumsusan, le Palais du Soleil. A deux reprises, je m’étais autrefois rendu dans ce qui était la Présidence de la République. J’ai même assisté à deux fabuleux dîners de 1000 couverts chacun. Cet édifice est devenu un mausolée qui abrite les dépouilles des Présidents Kim Il-sung et Kim Jong-il. Pour aller saluer les deux fondateurs de la RPDC, il convient d’observer un cérémonial très strict. On ne saurait se rendre directement dans ce qu’il faut bien appeler un sanctuaire. On est transporté, en silence, sur des centaines de mètres sur un escalier mécanique ; on est précédé et suivi par de nombreux groupes (souvent des militaires), tandis que des vestales vêtues de noir, longent les murs en silence. A deux reprises, passage obligé sous des portiques qui, en quelque sorte, purifient les visiteurs, de manière à les préparer à faire face, comme il convient, d’abord au président Kim Il-sung, ensuite, à l’étage inférieur, au dirigeant Kim Jong-il.
Nous voici enfin face au Fondateur de la Corée moderne. La pièce est vaste et sombre. Des soldats en grand uniforme montent la garde. Par groupe de trois, les visiteurs saluent « le Grand Leader » par des hochements de tête. Ce geste est renouvelé sur les deux côtés. Après quoi, on se retire pour s’incliner devant une autre cage en verre, celle de Kim Jong-il. La visite n’est pas terminée. Il convient de se rendre encore dans deux salles où figurent les décorations et les distinctions des deux présidents.
Ensuite, ceux qui le veulent, signent l’un des multiples Livre d’Or exposés dans une salle spéciale. Le retour s’effectue plus simplement, chaque visiteur étant invité, grâce à des tableaux, à suivre les principales étapes de la vie des présidents et parfois à observer leur moyen de transport (locomotive, navire, voiture).
Il n’est pas rare que les invités ou les visiteurs accomplissent leur séjour à l’occasion d’une commémoration. En 1984, j’ai participé à la célébration du 36e anniversaire de la République populaire et démocratique de Corée. En 1987, j’ai assisté au 75e anniversaire du Président Kim Il-sung (qui, à cette occasion m’a reçu en audience). En 1988, j’étais présent aux cérémonies anniversaire de la Fondation de la RPDC. Du 29 juin au 9 juillet 1989, je fus invité, comme observateur, au 13e Festival mondial de la Jeunesse et des Etudiants, au côté de Mlle Rim Su-Kyong, alors âgée de 22 ans et déléguée de l’Alliance Nationale des Conseils Etudiants de Corée du Sud (Chondachyop), en présence de 22 000 personnes venues de 177 pays. En 1990 (45e anniversaire de PT de Corée), en 1991 (80e anniversaire du Président Kim Il-sung), en 2010 (68e anniversaire de la fondation du Parti), etc. j’ai rencontré de nombreux invités des cinq parties du monde. Chaque fois, d’immenses défilés, d’inoubliables mouvements d’ensemble, de gigantesques feux d’artifice sont présentés à la foule, comme signes avant-coureurs de la Société nouvelle qui nous est promise.
La RPDC ne vit, en aucune manière, en circuit fermé. De très nombreux Etats ont établi des relations diplomatiques avec elle, dont 26 européens. Deux, dont la France, se bornent à entretenir ces relations à un degré inférieur.
Chez nous, la Délégation générale siège au 3 rue Asseline, 75014 Paris. Depuis la visite du ministre Jack Lang à Pyongyang, la France dispose, dans le quartier des ambassades, d’un Bureau de coopération dirigé par M. Jean-François Fitou, avec rang d’ambassadeur. J’ai eu l’avantage de lui rendre visite à son bureau. Après un intéressant tour d’horizon, j’ai été invité le lendemain à l’Hôtel Pochonggang où la mission archéologique de Kaesong présentait le résultat de ses travaux pour l’année 2017, en présence des plus hautes autorités du pays.
J’apprends que l’Ecole Française d’Extrême-Orient (France) et l’Autorité Nationale pour la Protection du Patrimoine Culturel (RPD de Corée) ont effectué conjointement trois campagnes de relevés de la forteresse de Kaesong et trois campagnes de fouilles de sa Porte Namdae entre 2011 et 2014 D’importantes découvertes ont été faites et un matériel et des données archéologiques ont été récoltés.
En 694, ce site abritait une forteresse dénommée Songak. En 896, s’y dressait la Muraille Palocham de 8,2 km de long. Lorsque Kaesong devint la capitale du Koryo, a été construite une forteresse qui comprend la Muraille impériale, la Muraille palatiale, la Muraille extérieure et la Muraille intérieure. 12 monuments et sites de Kaesong, dont le Mausolée du roi Wang Kon, ont été inscrits le 23 juin 2013 sur la Liste du patrimoine mondial au cours de la 37è session du Comité du Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Ainsi donc, la France et la RPDC entretiennent depuis longtemps des relations suivies. J’ai d’ailleurs appris que Paris accordait, chaque année, une dizaine de bourses à des étudiants et des professeurs pour améliorer leur français. J’ai évoqué la formation des architectes. Un hôtel a bénéficié du concours de la France. Mon guide, Mlle Kim, m’a indiqué qu’elle avait effectué un stage important à l’ENA. Dans les magasins, le vin de Bordeaux et le cognac Camus sont à l’honneur. J’ai même rencontré un voyagiste français organisant des séjours privés dans ce pays.
Au vu des évolutions qui viennent d’être énumérées, je pense que le moment est venu d’établir des relations diplomatiques complètes entre nos deux pays. Il favoriserait une plus grande ouverture de ce pays au monde.
Une fois de plus, la France serait fidèle à la noble mission que l’Histoire lui a assignée.
Edmond Jouve
Professeur émérite de l’Université
Paris Descartes Sorbonne Paris Cité.
Commandeur de la Légion d’Honneur
Paris, le 24 décembre 2017