Le 5 octobre 2015, Bernard Ferrand, professeur honoraire de l'Université d'Evry, et par ailleurs vice-président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) chargé des relations avec les organisations politiques françaises, a écrit en son nom propre à Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international, sur l'absence de relations diplomatiques complètes entre la France et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), en observant que cette position n'était pas conforme à la tradition diplomatique française de reconnaissance des Etats et non des régimes, et préjudiciable à nos intérêts dans cette partie du monde. Il a ajouté que l'année croisée France-Corée (du Sud) offrait un cadre favorable au franchissement d'une nouvelle étape dans les relations diplomatiques entre Paris et Pyongyang. Chargé par Laurent Fabius de lui répondre, Emmanuel Lenain, directeur d'Asie et d'Océanie du ministère des Affaires étrangères et du Développement international (MAE), a très classiquement rappelé les conditions mises par la diplomatie française à l'établissement de relations diplomatiques complètes (les relations intercoréennes, la question nucléaire et les droits de l'homme), dans un courrier en date du 10 novembre 2015, tout en prenant par ailleurs acte que la RPDC n'avait pas procédé à un "essai balistique" en octobre (NDLR : contrairement aux prédictions, une nouvelle fois démenties, des conservateurs sud-coréens). Il mentionne seulement brièvement les relations Nord-Sud et insiste sur les questions internationales, notamment les programmes nucléaire et balistique qui apparaissent ainsi comme la préoccupation majeure des autorités françaises. Par ailleurs, il est regrettable que son courrier n'ait pas apporté de réponses quant aux nouvelles actions bilatérales de coopération suggérées par Bernard Ferrand. Nous reproduisons ci-après les courriers de Bernard Ferrand à Laurent Fabius, et la réponse d'Emmanuel Lenain à Bernard Ferrand.
à Laurent Fabius, envoyé de Rodez le 5 octobre 2015
Monsieur le Ministre, Cher Laurent,
Permets-moi de t'écrire à propos d'un sujet sur lequel j'ai quelque expérience personnelle (vice-président de l'Association d'amitié franco-coréenne), et avec le désintéressement du citoyen qui n'a plus de prétention politique ou universitaire : l'absence de relations diplomatiques complètes entre la France et la République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord).
Je ne te ferai pas le sempiternel exposé des conditions mises par la France à l'établissement de telles relations - la question des droits de l'homme, le nucléaire nord-coréen et les relations Nord-Sud - car tes collaborateurs le feront avec plus de brio que je ne saurais jamais le faire.
En revanche, ce que m'ont appris mes échanges avec des Coréens, du Nord et du Sud, c'est que cette exception française (dans l'Union européenne, seule l'Estonie n'a pas de relations diplomatiques complètes avec Pyongyang) ne favorise pas nos intérêts nationaux, qu'il s'agisse d'échanges commerciaux ou culturels, ou de la capacité de la France à peser sur la résolution de la question coréenne dans les enceintes internationales.
Alors que notre pays, par ton expérience, a joué tout son rôle pour parvenir à un accord exigeant avec l'Iran sur la question nucléaire, je pense que l'établissement aujourd'hui de relations diplomatiques complètes entre Paris et Pyongyang nous permettrait de revenir dans le jeu diplomatique dans cette partie du monde.
Le moment est opportun : l'année croisée France-Corée permettrait à une initiative française en ce sens de ne pas compromettre nos relations avec Séoul, tandis que le retour au dialogue dans la péninsule coréenne (des réunions de familles coréennes séparées auront lieu à la fin du mois d'octobre) ouvre une phase de détente, certes toujours fragile, dans laquelle une telle décision de la France apparaîtrait comme un soutien au dialogue et à l'ouverture. Pour bien montrer qu'il s'agit d'une question qui doit dépasser les clivages partisans en Corée du Sud, au-delà du chantage des conservateurs sud-coréens qui ont gardé une mentalité de guerre froide, je pense d'ailleurs que profiter d'une des multiples manifestations de l'année croisée France-Corée permettrait de rebondir sur les propositions constantes de l'opposition démocrate sud-coréenne en faveur de la reprise du dialogue avec Pyongyang. A sa façon l'Allemagne qui sait ce que sont les processus de réunification - les festivités du 25ème anniversaire de la réunification en présence notamment du ministre sud-coréen de la réunification en témoignent - devrait inspirer notre propre attitude.
Il serait donc possible d'annoncer dans le cadre des manifestations de l'année croisée France-Corée qu'il a été décidé de mettre fin à l'exception française du non-établissement de relations diplomatiques complètes entre Paris et Pyongyang, conformément à la tradition diplomatique française de reconnaissance des Etats et non des régimes, pour favoriser le dialogue, la paix et les droits de l'homme en Corée du Nord.
Depuis l'ouverture d'un bureau français de coopération à Pyongyang (en septembre 2011), suite à l'action de Jack Lang, les possibles contreparties nord-coréennes ne manquent pas : soutien à l'apprentissage du français en Corée du Nord, soutien nord-coréen à notre position en faveur de la lutte contre le changement climatique, ratification de la convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées (une délégation d'handicapés nord-coréens a visité la France en février 2015), engagement plus largement d'un dialogue sur les droits de l'homme comme l'ont proposé les diplomates nord-coréens en France à tes services, possibilité de retenir une offre française dans un grand projet de construction en Corée du Nord - notre pays formant des grands architectes nord-coréens depuis 2002 - ou de remise en état des réseaux du pays (eau, gaz, électricité, ou réseau ferroviaire)...
Cette démarche, bien que connue de mon association, est toute personnelle.
J'espère qu'elle pourra être prise en considération, ce qui aidera notre pays dans son ambition à faire évoluer les droits de l'Homme en Corée du Nord, Etat qui, à cet égard, comme en matière économique, a un grand besoin d'assistance.
Je te prie de croire, Monsieur le Ministre, Cher Laurent, en ma très haute considération et mon indéfectible amitié.
en date du 10 novembre 2015
Monsieur le Vice-Président,
Le Ministre vous remercie de votre courrier en date du 5 octobre et m'a chargé de vous répondre.
Ainsi que vous le rappelez, la France n'entretient pas de relations diplomatiques avec la Corée du Nord. Toute évolution de nos relations est soumise à des progrès de la part de la Corée du Nord sur les dossiers nucléaire et balistique, la situation des droits de l'homme et l'état des relations intercoréennes.
Nous avons pris note du fait que la Corée du Nord n'avait pas procédé à un essai balistique lors des cérémonies du 70e anniversaire du parti des travailleurs de Corée. La Corée du Nord a toutefois procédé dans le passé récent à trois essais nucléaires et à de nombreux tirs balistiques, en violation de ses obligations internationales. Elle a été condamnée à ce titre par la communauté internationale (résolutions 1718, 1874, 2087 et 2094 du Conseil de sécurité des Nations Unies) et est à cet égard soumise aux sanctions afférentes des Nations Unies ainsi qu'à celles prises de manière unilatérale (Etats-Unis, Union Européenne et Japon notamment).
Une reprise du dialogue avec la communauté internationale ou dans le cadre des Pourparlers à six impliquerait un geste concret et sincère de la part de la Corée du Nord en vue de son désarmement nucléaire complet, vérifiable et irréversible ainsi que l'abandon de son programme balistique.
En outre, les derniers rapports des Nations Unies sur la situation des droits de l'Homme, sujet qui comme vous le soulignez nous est cher, ne font état d'aucune amélioration tangible dans ce pays.
La France entend toutefois poursuivre son dialogue avec les autorités et ses actions de coopération en faveur du peuple nord-coréen. Elle a ainsi, comme vous le mentionnez, ouvert un Bureau de coopération à Pyongyang en octobre 2011 afin d'améliorer, par un soutien humanitaire, les conditions de vie de la population nord-coréenne, mais aussi pour mener avec elle des projets de coopération linguistique, culturelle et universitaire.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Vice-Président, mes salutations distinguées.
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