Le 5 août 2009 s'achevait l'une des plus grandes luttes de l'histoire sociale coréenne, avec l'évacuation par les ouvriers grévistes de l'usine de Pyeongtaek du groupe Ssangyong. Si l'accord de fin de conflit a permis de réduire le nombre de licenciements secs, les poursuites engagées contre les ouvriers et le syndicat KCTU - toujours d'actualité - représentent globalement un échec pour les travailleurs en lutte.
Ssangyong Motor : ce nom restera comme celui de l'une des principales batailles sociales en Corée du Sud. Car si le succès n'a pas couronné le combat des Ssangyong, leur courage a signé l'une des plus grandes pages de la lutte de classes au Sud de la péninsule.
Pendant 77 jours, à compter du 22 mai 2009, 976 ouvriers grévistes ont occupé l'usine automobile de Ssangyong à Pyeongtaek (photo Worldpress). Les assauts quasi-militaires des forces de l'ordre ont mis fin à la résistance, après le lancement de l'attaque finale des forces de l'ordre. Dans ce contexte, un accord a été signé le 6 août entre le syndicat et la direction, très en retrait par rapport aux positions syndicales.
Le constructeur automobile Ssangyong a été racheté il y a trois ans par le groupe chinois Shanghai Automotive Industry Corporation, détenteur aujourd'hui de 51 % du capital. Depuis cette date, il n'a plus été procédé à de nouveaux investissements, et le constructeur coréen n'a plus lancé de nouveau modèle, selon une stratégie apparemment de transferts de technologie vers la Chine, parallèlement à une réduction des effectifs en Corée.
L’usine de Pyeongtaek comptait 8.700 travailleurs avant la prise de contrôle par Shanghai Automotive Industry Corporation : leur nombre avait été progressivement réduit à 7.000 lors du déclenchement de la grève. La mise en famille du constructeur coréen avait conduit, dans le cadre de la restructuration, à ce que l’usine de Pyeongtaek serve de garantie à de futurs emprunts. Le plan social prévoyait la suppression de 2.650 emplois.
Les revendications des 1.700 ouvriers occupant l'usine de Pyeongtaek, à partir du 22 mai, était basées sur le refus des licenciements, de la sous-traitance et du travail temporaire (rémunéré en moyenne 15 millions de won par an, ou 12.500 dollars, soit la moitié du salaire annuel pour les travailleurs à temps complet, compte tenu d'une ancienneté moyenne dans l'entreprise de 15 à 20 ans). 1.000 travailleurs ont poursuivi le mouvement d'occupation à partir de la mi-juin, ravitaillés par leurs femmes et leurs enfants. 50 à 60 groupes de base de 10 travailleurs chacun ont constitué le noyau dur de l'occupation.
Après qu'un rassemblement anti-grèves, composé majoritairement de cadres, fut finalement déclaré illégal le 16 juin par peur des débordements, alors qu'une contre-manifestation de 700 à 800 ouvriers d'autres groupes (notamment Kia Motors) était venue soutenir les occupants, le processus répressif a commencé : le 22 juin, des poursuites judiciaires étaient engagées contre 190 grévistes, tandis que fleurissaient les accusations de collusion avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), à l'initiative de l'extrême-droite sud-coréenne. Quelque jours plus tard, un travailleur licencié et endetté se suicidait. Les 26 et 27 juin, avec l'appui du gouvernement et des employeurs, des groupes tentèrent - sans succès - de s'introduire dans l'usine. A partir du 1er juiller, le blocus était organisé en coupant l'approvisionnement en eau, puis en gaz et enfin en électricité, ainsi qu'en interdisant la fourniture de toute aide médicale. Le 16 juillet, 3.000 manifestants qui s'étaient réunis devant l'hôtel de ville, furent empêchés d'approvionner en eau et en nourriture les occupants. Le 20 juillet, le suicide de la femme d'un responsable syndical participant à la lutte a porté à cinq le nombre de morts liés au conflit.
Parallèlement aux premières actions miltaires conduites, depuis la fin juillet, par 3.000 policiers, 30 véhicules, des hélicoptères, et ayant entraîné des dizaines de blessés (photo Worldpress), la centrale syndicale KCTU a conduit, à partir du 22 juillet, des actions de grève à l'échelle nationale par solidarité, tandis que les grévistes réaffirmaient leur ouverture en dialogue mais aussi, si la répression continuait, leur volonté de "lutter jusqu'à la mort".
Face aux méthodes employées par les assaillants, la Confédération syndicale internationale, peu suspecte de sympathies révolutionnaires, s'est émue :
"Nous sommes profondément inquiets du blocus imposé sur l'approvisionnement en eau et en nourriture et l'accès aux traitements médicaux, ainsi que des tirs incessants au gaz lacrymogène et autres substances chimiques sur l'usine à partir d'hélicoptères. Ceux-ci représentent une atteinte criante à la dignité humaine la plus élémentaire. "
Si l'accord signé après l'assaut des forces de l'ordre a permis de réduire le nombre de licenciements secs, il est globalement un échec pour les gérvistes selon Green Left Weekly :
"Le syndicat a accepté une partie de la gestion de la proposition de licenciement, l’enregistrement d’environ la moitié des emplois des grévistes. Le reste sera sacrifié à la retraite volontaire, non rémunérée, congé de longue durée, ou d’accepter un autre emploi de la société.
Le dirigeant syndical Han Sang-gyun a présenté des excuses pour ne pas avoir été en mesure de bloquer l’ensemble du plan de licenciement".
Le principal revers consiste dans les actions judiciaires, "pour activités criminelles", intentées contre des dizaines d'ouvriers, ainsi que le procès en indemnisation engagé contre le syndicat KCTU de la métallurgie à hauteur de 45 millions de dollars. Selon l’entreprise, ses pertes dues à la grève s'élèvent à 316 milliards de won (258,6 millions de dollars), non compris la non-production de 14 600 véhicules. De telles actions, conformes à la loi coréenne, visent à ruiner individuellement les grévistes.
Le conflit a fait naître des critiques sur le rôle du syndicat KCTU, qui a à la fois encouragé les assiégés à préparer des mesures d'auto-défense, tout en continuant à négocier avec la direction de l'entreprise.
L'AAFC salue d'autant plus le combat courageux des Ssangyong qu'il a été mené contre le gouvernement autoritaire de Lee Myung-bak, qui tente d'étouffer toute voix discordante depuis la répression des manifestations pacifiques contre la reprise des importations de boeuf américain. Les militants pro-réunification sont les autres victimes de la répression. Même en France les services de renseignement sud-coréens ont intensifié, depuis un an, les actions d'intimidation et de déstabilisation contre les partisans de la réunification. Le courage des combattants coréens, hier pour la démocratie et contre le régime militaire, aujourd'hui pour les droits sociaux et le respect des travailleurs, a une valeur d'exemple universelle.
Sources : La bataille socialiste (notamment, articles des 27 juillet 2009 et 20 août 2009), caradisiac, La Gauche (journal de Gauche socialiste, collectif appartenant à Québec solidaire)
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