En 2010, sur la base notamment de documents publiés par Wikileaks, les médias du monde entier l'affirmaient : la Birmanie (Myanmar) chercherait à se doter de l'arme nucléaire, et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) l'y aiderait. Deux ans plus tard, dans son rapport annuel sur les accords et engagements internationaux sur le contrôle des armes, la non-prolifération et le désarmement, le département d'Etat américain livre une autre analyse : les inquiétudes sur une coopération nucléaire entre la Birmanie et la RPDC se sont "apaisées", et le gouvernement birman ne chercherait plus à acquérir l'arme nucléaire... Ce revirement ne manque pas d'intérêt : si les campagnes de désinformation menées par la CIA sont un instrument traditionnel de la diplomatie américaine, il est moins fréquent qu'elles fassent l'objet d'un démenti par les autorités américaines elles-mêmes. Mais, en l'espèce, le rapprochement entre Washington et Rangoon exigeait de stopper une campagne de presse qui n'était plus conforme aux intérêts américains.
Quand les rumeurs d'une coopération nucléaire entre la RPD de Corée et la Birmanie ont commencé à grossir, fin 2010, la presse internationale n'a guère jugé utile de relever quelques faits d'évidence : le coût et la durée d'un programme nucléaire militaire rendaient assez improbable que le Myanmar s'engage dans un telle voie ; par ailleurs, la Corée du Nord a toujours affirmé qu'elle développait un programme nucléaire militaire à des fins d'autodéfense nationale, et démenti fermement toute accusation de prolifération des armes nucléaires.
Certes, de tels soupçons étaient étayés par des documents publiés par Wikileaks. Mais des soupçons, pour devenir des certitudes, ont besoin de s'appuyer sur des preuves qui, en l'espèce, n'ont jamais pu être produites. En outre, les auteurs des fuites de "Wikileaks" ont choisi eux-mêmes les télégrammes diplomatiques (TD) qui se sont retrouvés dans la presse, selon des critères relevant de leurs objectifs personnels et non de la qualité de l'information disponible aux diplomates américains. En l'espèce, d'autres TD de Wikileaks ont montré l'ignorance des services de renseignement américains s'agissant de la Corée du Nord, ce qui ne peut que les conduire - comme aux plus belles heures de la guerre froide - à mener des campagnes de désinformation pour décrébiliser leurs adversaires, tout en essayant d'obtenir des éléments qu'ils sont incapables de se fournir par les voies plus ordinaires du renseignement.
Deux ans plus tard, la Birmanie est le seul Etat, parmi les pays placés à l'index par les Etats-Unis, avec lequel l'administration Obama a effectivement cherché à améliorer ses relations bilatérales durant le mandat du président américain sortant. Dès lors, continuer à propager la rumeur que les autorités birmanes cherchaient à acquérir l'arme nucléaire, en possible coopération avec la RPD de Corée, est devenu non seulement inutile, mais aussi contre-productif. Pour que les choses soient claires, la nouvelle doxa est venue du département d'Etat américain, dans le rapport annuel sur les accords et engagements internationaux sur le contrôle des armes, la non-prolifération et le désarmement : "Les inquiétudes exprimées par les Etats-Unis dans le rapport de l'an passé sur l'intérêt de la Birmanie à poursuivre un programme nucléaire, y compris une possible coopération avec la Corée du Nord, ont été partiellement apaisées à la fin de la période" couverte par le présent rapport. Certes, le mot "partiellement" permet de sauver la face et de préserver l'avenir, alors que la Birmanie est loin d'être devenue un allié des Etats-Unis. Mais le fait est que le parole du gouvernement birman, affirmant qu'il ne poursuit pas de programme nucléaire militaire, balistique ou de production d'autres armes de destruction massive, autrefois jugée dépourvue d'intérêt, suffit maintenant à réévaluer l'appréciation du "risque nucléaire" birman par le gouvernement américain. Mieux encore : selon Washington, il n'y aurait désormais plus de raisons de croire que la Birmanie enfreindrait les résolutions 1718 et 1874 du Conseil de sécurité des Nations Unies concernant la RPDC. Est-ce à dire que les accusations jadis portées par Washington contre Pyongyang et Rangoon étaient sans fondement ? Décidément, la raison d'Etat emprunte souvent des chemins que la rationalité humaine ne saurait comprendre.
Source : rapport annuel 2012 du département d'Etat américain sur les accords et engagements internationaux sur le contrôle des armes, la non-prolifération et le désarmement (en anglais).
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