"C'est exceptionnel. Cela a largement dépassé toutes nos attentes" : c'est en ces termes qu'a réagi le professeur Kim Yong-hyun, spécialiste des questions nord-coréennes à l'université Dongguk de Séoul, à la rencontre à Pyongyang entre le Président Kim Jong-un et la délégation sud-coréenne représentant le Président Moon Jae-in le 5 mars 2018. De fait, non seulement la tenue d'un troisième sommet intercoréen, dans des délais très rapprochés, dès fin avril, apparaît désormais acquise, mais la République de Corée (Corée du Sud) s'est repositionnée au centre du jeu diplomatique en créant les conditions d'un dialogue direct entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), objectif de longue date de Pyongyang, par ailleurs seul à même de permettre un cycle durable de diminution des tensions autour de la péninsule coréenne, pour progresser vers la paix et l'instauration de mécanismes pérennes de sécurité collective en Asie du Nord-Est. De fait, les émissaires sud-coréens doivent partir pour Washington dès jeudi pour informer la partie américaine des propositions nord-coréennes, en étant par ailleurs porteurs d'un message du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, alors que la RPDC a mis sur la table, de façon spectaculaire, l'ouverture de négociations qui conduiraient à terme à sa dénucléarisation, en contrepartie d'engagements de sécurité des Etats-Unis et de la normalisation des relations bilatérales.
Dans une économie de marché les bourses sont un indicateur avancé du sentiment dominant parmi les élites politiques et économiques : en titrant "Une rencontre programmée entre les Etats-Unis et la Corée du Nord favorise la reprise" [des marchés boursiers], le journal Times of Malta va peut-être vite en besogne en anticipant un dialogue entre Washington et Pyongyang, mais il traduit l'idée dominante que, à ce stade, Nord-Coréens et Américains s'asseoiront bien à la table des négociations - alors que le président sud-coréen Moon Jae-in a mis en garde contre tout optimisme prématuré, en soulignant qu'il s'agissait du tout début d'un processus.
Si les premières réactions du Président Donald Trump ont été encourageantes (il a salué des déclarations "très positives" de Pyongyang, jugées "sincères", qu'il a par ailleurs considérées comme résultant des sanctions et donc de la politique américaine qu'il conduit), les Etats-Unis pouvaient difficilement réagir autrement d'un strict point de vue de communication - il n'est pas possible, aux yeux de l'opinion publique et de leur allié sud-coréen, d'apparaître comme refusant d'avancer vers la paix, après l'annonce d'un sommet intercoréen. L'échange qu'auront à Washington, jeudi, les autorités américaines et les représentants de la délégation sud-coréenne ayant visité Pyongyang qui leur transmettront les positions nord-coréennes, devrait permettre aux Etats-Unis de donner une réponse officielle.
Comme l'a cependant affirmé le président américain (il faut essayer, quitte à voir ce qu'il en résultera), il serait surprenant qu'Américains et Nord-Coréens n'engagent pas ouvertement des discussions, alors que les divergences restent importantes - jusqu'à une période récente, les Etats-Unis entendaient que la Corée du Nord renonce unilatéralement et immédiatement à sa dissuasion nucléaire avant d'entamer le reste des négociations, alors que Pyongyang a seulement ouvert la perspective d'une dénucléarisation à terme. La discussion sera donc globale et longue, alors que la RPDC manifeste déjà pour sa part des signes de bonne volonté en proposant de poursuivre son moratoire actuel de fait sur ses essais nucléaires et balistiques tant que le dialogue sera en cours - alors même que les Etats-Unis n'entendent pas de leur côté, à ce stade, suspendre leurs manoeuvres militaires prévues fin mars, les plus grandes au monde en temps de paix, et régulièrement dénoncées par Pyongyang comme la répétition d'une opération d'invasion de son territoire. L'élément prometteur pour le dialogue est que tant la Corée du Nord (qui dispose désormais d'une capacité de dissuasion nucléaire opérationnelle) que les Etats-Unis sont convaincus d'être en position de force pour négocier à présent.
Une des principales inconnues reste les équilibres qui se mettront en place au sein de l'administration américaine, et sur lesquels Donald Trump devra trancher : comme l'ont montré Juliette Morillot et Dorian Malovic dans leur récent ouvrage Le monde selon Kim Jong-un, une légende tenace (du story telling dit-on aujourd'hui), répétée à l'envi, veut que les Nord-Coréens n'aient pas respecté l'accord sur le nucléaire de 1994, et que donc ils ne seraient pas un partenaire fiable. Une réécriture des faits à l'opposé de ce qui s'est passé, puisque les Nord-Coréens ont bien suspendu leur programme nucléaire pendant de nombreuses années, mais la propagande (en l'occurrence, néo-conservatrice) a la vie dure dès lors qu'elle bénéficie de puissants relais d'opinion, comme l'a montré naguère la saga des pseudo-armes de destruction massive en Irak.
Sources :
(FOCUS) Pyongyang souhaite dialoguer avec Washington mais les incertitudes demeurent
La Corée du Nord semble souhaiter reprendre le dialogue avec les Etats-Unis, bloqué depuis longtemps, comme le prouve la récente série de mesures exceptionnelles qu'elle a convenu de prendre po...
http://french.yonhapnews.co.kr/national/2018/03/07/0300000000AFR20180307000900884.HTML
South Korean officials to visit Washington with message from North's leader: Official
SEOUL/WASHINGTON: Two senior South Korean officials who met with North Korea's Kim Jong Un this week will depart for Washington on Thursday to brief U.S. officials on the outcome of their meeting, a
Corée du Nord : la réaction de Donald Trump à la main tendue de Kim Jong-un
Kim Jong-un, le dirigeant nord-coréen, a fait un pas en avant vers la paix ce mardi 6 mars. Agnès Vahramian, envoyée spéciale à Washington, estime que la main tendue du régime nord-coréen es...
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