Le 13 mars 2017, l'auteur et militant canadien Stephen Gowans a publié sur son site What's left une analyse des exercices de guerre américano - sud-coréens en cours - qui constituent les plus grandes manœuvres militaires au monde. Nous publions ci-après une traduction de cet article par BA, qui rappelle l'état des forces en présence et permet ainsi de comprendre qui menace réellement qui.
Le Pentagone à la tête de troupes fortes de 300,000 hommes pour la répétition d’une invasion une semaine après que la Maison Blanche a envisagé une action militaire contre la Corée du Nord
Le 13 mars 2017
Par Stephen Gowans
Les États-Unis et la Corée du Sud procèdent aux plus grandes manœuvres conjointes de leur histoire [1], une semaine après que la Maison Blanche a annoncé qu’elle envisageait une intervention militaire contre la Corée du Nord pour changer son régime [2]. Les manœuvres conduites par les États-Unis impliquent :
• 300,000 soldats sud-coréens
• 17,000 soldats américains
• Le porte-avion géant USS Carl Vinson
• Des chasseurs furtifs US F-35B et F-22
• Des bombardiers US B-18 et B-52
• Des avions de chasse sud-coréens F-15 et KF-16 [3].
Les États-Unis définissent les exercices comme étant « purement défensifs » [4] mais cette catégorisation est trompeuse. Les manœuvres ne sont pas défensives au sens où elles constitueraient un entraînement pour faire face à une possible invasion nord-coréenne et repousser son armée au-delà du 38e parallèle dans l’éventualité d’une attaque de sa part, mais elles envisagent une invasion de la Corée du Nord afin de rendre son arsenal nucléaire non opérationnel, détruire son commandement militaire et assassiner son chef d’Etat.
Les exercices ne peuvent être envisagés comme « défensifs » que si et seulement s'ils sont assimilés à une réponse face à une première attaque nord-coréenne, ou à une répétition pour une frappe préventive contre une agression anticipée venant du Nord. Dans les deux cas, ils sont liés à une invasion, et les protestations de Pyongyang qui avance que les forces américaines et sud-coréennes s’entraînent dans ce but sont fondées.
Mais l’éventualité d’une attaque nord-coréenne contre le Sud est extrêmement faible. Pyongyang est dépassée par Séoul en termes de dépenses militaires dans un rapport de 4 contre 1 [5], et l’armée sud-coréenne peut compter sur un système d’armement plus sophistiqué que celui du Nord. En outre, les forces sud-coréennes ne sont pas seulement épaulées par la puissance militaire sans précédent dans l’histoire des États-Unis, mais sont sous son commandement. Une attaque de la Corée du Nord contre le Sud serait suicidaire, et sa plausibilité est donc inexistante, en particulier à la lumière de la doctrine nucléaire des États-Unis qui autorise l’emploi d’armes atomiques contre la Corée du Nord. En effet, les dirigeants américains ont rappelé à de nombreuses occasions aux Nord-Coréens que leur pays pourrait être réduit à l'état de « briquettes de charbon » [6]. Quiconque dans l'Etat américain croit sincèrement que la Corée du Sud est sous la menace d’une attaque venue du Nord tient des propos risibles.
Les manœuvres sont conduites dans le cadre du plan opérationnel 5015 qui « vise à supprimer les armes de destruction massive du Nord et prépare… une attaque préventive dans l’éventualité d’une attaque nord-coréenne imminente, ainsi que des raids de « décapitation » visant les dirigeants. » [7]
En rapport avec ces raids, les exercices impliquent « l’Unité des Missions Spéciales US responsable pour la mort de Oussama Ben Laden en 2011, qui inclue la SEAL Team Six. » [8] Selon l’enquête d’un journal, la « participation des forces spéciales aux manœuvres…peut être une indication que les deux parties répètent l’assassinant de Kim Jong-un. » [9]
Un officiel américain a déclaré à l’agence de presse sud-coréenne Yonhap que « un nombre plus important de membres des forces spéciales américaines va participer cette année… pour procéder à des entraînements d’infiltration au Nord, de suppression de son commandement militaire et de destruction de ses installations militaires clés. » [10]
Étonnamment, malgré le fait de participer à ses exercices hautement provocateurs – qui ne peuvent avoir pour conséquence que de rendre fébriles les Nord-Coréens et de les placer sous une menace immédiate – le ministre sud-coréen de la défense nationale a annoncé que « la Corée du Sud et les Etats-Unis surveillaient attentivement les mouvements des soldats au nord pour se préparer à des provocations à venir. » [11]
L’idée que Washington et Séoul doivent être en alerte à propos des « provocations » nord-coréennes au moment où le Pentagone et son allié sud-coréen répètent une invasion, ainsi qu’une frappe de « décapitation » contre Pyongyang, représente ce que le spécialiste de l’Asie de l’Est Tim Beal appelle « un cas particulier d’irréalité. » [12] Ajoutant à l’irréalité, cette répétition d’invasion arrive au moment où la Maison Blanche annonce urbi et orbi qu’elle envisage une action militaire pour changer le régime du pays.
En 2015, la Corée du Nord a proposé de suspendre son programme d’armement nucléaire en échange de la suspension des exercices militaires des États-Unis dans la péninsule. Le Département d’État américain a refusé cette offre de façon péremptoire, arguant qu’elle liait la « routine » des manœuvres militaires à ce que Washington exige de Pyongyang, à savoir la dénucléarisation. À la place, la Maison Blanche « insistait pour que le Nord abandonne son programme d’armement nucléaire préalablement à toutes négociations » [14]
En 2016, la Corée du Nord a réitéré la proposition. Ce à quoi le président Américain Barack Obama a répondu que Pyongyang allait « devoir faire mieux que ça » [15]
Au même moment, le prestigieux Conseil des relations étrangères dirigé par Wall Street a publié un rapport opérationnel qui conseillait à Washington de ne pas signer un traité de paix avec la Corée du Nord aux conditions de Pyongyang, à savoir un départ des troupes américaines de la péninsule. Si les États-Unis se retiraient ainsi, leur position stratégique par rapport à la Chine et à la Russie en particulier et leur capacité de menacer ces deux adversaires majeurs seraient affaiblies, avertissait le rapport. En conséquence, Washington a été incitée à éviter de promettre à Pékin que toute aide concernant la Corée du Nord serait récompensée par une réduction de sa présence militaire dans la péninsule. [16]
Plus tôt ce mois-ci, la Chine a réitéré la proposition de Pyongyang. « Pour désamorcer la crise imminente dans la péninsule, la Chine [propose] que, en tant que première étape, [la Corée du Nord] suspende ses activités balistiques et nucléaires en échange d’un arrêt des manœuvres militaires américano-coréennes de grande envergure. Cette suspension-pour-une-suspension peut aider à éliminer le dilemme sécuritaire et faire revenir les différentes parties à la table des négociations » a avancé Pékin. [17]
Washington a immédiatement rejeté la proposition, ainsi que le Japon. L’ambassadeur japonais aux Nations unis a rappelé au monde que le but des États-Unis n’est pas de « geler-pour-geler mais de dénucléariser la Corée du Nord. » [18] Ce texte est un rappel implicite que les Américains ne changeront pas leur approche concernant Pyongyang (ils suspendent une épée de Damoclès nucléaire au-dessus de leurs têtes) et continueront de procéder à une répétition d’invasion tous les ans.
Le refus de négocier, ou la demande que l’autre partie donne immédiatement ce que l’on souhaite comme précondition pour entamer les discussions (donne-moi ce que je veux, après je parlerai), est caractéristique de l’approche adoptée par Washington depuis 2003. Pressé par Pyongyang de négocier un traité de paix, le Secrétaire d’État Américain Colin Powell a rétorqué : « Nous ne faisons pas de pactes ou de traités de non-agression, ou de choses de cette nature. » [19]
Au sein de cette situation d'irréalité si particulière construite par les États-Unis, la Russie, ou plus spécifiquement son président, Vladimir Poutine, est régulièrement accusée par Washington de commettre des « agressions », qui selon eux incluent les exercices militaires le long de la frontière russe avec l’Ukraine. Ces manœuvres, d’une ampleur bien inférieure à celles très vastes conduites par les Américano-Sud-Coréens, sont définies comme « hautement provocantes » [20] par les officiels américains, pendant que la répétition d’invasion menée par le Pentagone est décrite comme habituelle et « défensive par nature ».
Mais imaginez que Moscou ait mobilisé 300,000 soldats russes le long de la frontière ukrainienne avec pour plan opérationnel d’envahir l’Ukraine, de neutraliser ses ressources militaires, de détruire son commandement militaire, et d’assassiner son président, une semaine après que le Kremlin ai déclaré qu’il envisageait une intervention militaire en Ukraine pour renverser le régime ? Qui, excepté quelqu’un empêtré dans une vision très particulière de la réalité, pourrait interpréter cela comme étant « purement défensif par nature » ?
Notes
1. “THAAD, ‘decapitation’ raid add to allies’ new drills,” The Korea Herald, 13 mars 2017; Elizabeth Shim, “U.S., South Korean drills include bin Laden assassination team,” UPI, 13 mars 2017.
2. Jonathan Cheng and Alastair Gale, “North Korea missile test stirs ICBM fears,” The Wall Street Journal, 7 mars 2017.
3. “S. Korea, US begins largest-ever joint military drills,” KBS World, March 5, 2017; Jun Ji-hye, “Drills to strike N. Korea taking place,” Korea Times, 13 mars 2017.
4. Jun Ji-hye, “Drills to strike N. Korea taking place,” Korea Times, 13 mars 2017.
5. Alastair Gale and Chieko Tsuneoka, “Japan to increase military spending for fifth year in a row,” The Wall Street Journal, 21 décembre 2016.
6. Bruce Cumings, “Latest North Korean provocations stem from missed US opportunities for demilitarization,” Democracy Now !, 29 mai 2009.
7. “THAAD, ‘decapitation’ raid add to allies’ new drills,” The Korea Herald, 13 mars 2017.
8. “U.S., South Korean drills include bin Laden assassination team,” UPI, 13 mars 2017.
9. Ibid.
10. “U.S. Navy SEALs to take part in joint drills in S. Korea,” Yonhap, 13 mars 2017.
11. Jun Ji-hye, “Drills to strike N. Korea taking place,” Korea Times, 13 mars 2017.
12. Tim Beal, “Looking in the right direction: Establishing a framework for analyzing the situation on the Korean peninsula (and much more besides),” Korean Policy Institute, 23 avril 2016.
13. Choe Sang-hun, “North Korea offers U.S. deal to halt nuclear test,” The New York Times, 10 janvier 2015.
14. Eric Talmadge, “Obama dismisses NKorea proposal on halting nuke tests,” Associated Press, 24 avril 2016.
15. Ibid.
16. “A Sharper Choice on North Korea: Engaging China for a Stable Northeast Asia,” Independent Task Force Report No. 74, Council on Foreign Relations, 2016.
17. “China limited in its self-appointed role as mediator for Korean peninsula affairs,” The Hankyoreh, 9 mars 2017.
18. Farnaz Fassihi, Jeremy Page and Chun Han Wong, “U.N. Security Council decries North Korea missile test,” The Wall Street Journal, 8 mars 2017.
19. “Beijing to host North Korea talks,” The New York Times, 14 août 2003.
20. Stephen Fidler, “NATO struggles to muster ‘spearhead’ force to counter Russia,” The Wall Street Journal, 1er décembre 2014.
Article original en anglais :
March 13, 2017 By Stephen Gowans The United States and South Korea are conducting their largest-ever military exercises on the Korean peninsula [1], one week after the White House announced that it...
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