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30 juin 2015 2 30 /06 /juin /2015 13:27

Le 29 juin 2015, à Paris, Benoît Quennedey, vice-président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) chargé des actions de coopération, a prononcé une conférence intitulée : "Du refus de la guerre de Corée en France au combat pour un traité de paix : retour sur les victimes de la manifestation contre le général Ridgway, le 28 mai 1952", que nous reproduisons ci-après. Cette conférence a pris place dans le cadre des activités menées par l'AAFC à l'occasion du mois de solidarité avec le peuple coréen qui, tous les ans, entre le 25 juin (début de la guerre de Corée en 1950 ) et le 27 juillet (armistice en 1953), permet de rappeler le combat pour un traité de paix en Corée, en lieu et place de l'accord d'armistice.

Une conférence sur la manifestation du 28 mai 1952 contre le général Ridgway

Premier conflit ouvert de la guerre froide, la guerre de Corée, du 25 juin 1950 jusqu’à l’armistice du 27 juillet 1953, a opposé pour la première fois les deux camps – occidental et socialiste – lors de combats dont la portée a largement dépassé la péninsule coréenne.

 

Pour cette conférence, nous nous sommes appuyé sur un ouvrage de Michel Pigenet publié en 1992 aux éditions L’Harmattan, Au cœur de l’activisme communiste des années de guerre froide : « La manifestation Ridgway », qui a servi de source à un article d’André Narritsens sur le site de la section d’Aubervilliers du Parti communiste français (PCF). Un roman de Louis Aragon, Blanche ou l’oubli, publié par Gallimard en 1967, revient également sur la manifestation du 28 mai 1952 contre « Ridgway la peste » (par référence à l’utilisation en Corée d’armes chimiques par les troupes des Nations Unies sous commandement américain). Par ailleurs, un membre de la direction du PCF d’Aubervilliers, Bernard Orantin, a mis à notre disposition plusieurs documents d’archives, principalement des coupures de presse du Journal du canton d’Aubervilliers, communiste, et nous tenons à l’en remercier vivement, ainsi que pour le temps qu’il a bien voulu nous consacrer et pour ses démarches auprès, notamment, de familles de victimes de la manifestation.

 

Le refus d’un conflit effroyable – qui a causé des millions de victimes – a d’abord été porté, en France, par le Mouvement de la paix et le PCF qui, à plusieurs reprises, ont appelé à manifester contre la guerre dans la péninsule coréenne, engendrant une sévère répression :

 

  • le 24 janvier 1951, la police a procédé à 3 267 arrestations à proximité de l’hôtel Astoria, où séjournait le général Eisenhower, qui dirigeait alors l’OTAN, tandis que les cars de manifestants étaient bloqués aux portes de Paris ;
  • le 12 février 1952, plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées « à titre préventif » et gardées pendant une journée dans la cour de l’ancien hôpital Beaujon.

 

La manifestation contre le général Ridgway, le 28 mai 1952, à l’occasion d’une visite en France (où il avait débarqué la veille) dans le cadre d’un séjour en Europe, revêt une signification particulière : ce dernier a commandé les troupes américaines en Corée avant de prendre la tête, fin avril 1952, des troupes de l’OTAN. Le nom du général Ridgway avait été conspué dans les cortèges du 1er mai, et lors d’une première manifestation le 23 mai 1952 la police avait procédé à 279 interpellations (dont 42 suivies de maintiens en état d’arrestation et d’inculpations). Dans un paroxysme de grand peur anticommuniste, la plupart des manifestations en France étaient alors interdites – et pour la manifestation contre le général Ridgway du 28 mai il ne sera même pas sollicité d’autorisation. Au demeurant, le préfet de police Jean Baylot avait interdit, par un arrêté en date du 27 mai, les rassemblements sur la voie publique.

 

« Grande journée de lutte du prolétariat et du peuple parisien », selon l’expression utilisée par François Billoux lors de la réunion du Comité central du PCF de décembre 1952, la journée de manifestation du 28 mai 1952 à Paris a ainsi mis aux prises manifestants et policiers, les seconds reculant à plusieurs reprises sous la pression des premiers qui entrent dans Paris par colonnes de plusieurs milliers de militants, sans parvenir toutefois à tenir le rassemblement initialement prévu place de la République. Quelques chiffres rendent compte de la puissance de l’affrontement : officiellement, 372 blessés (dont 27 grièvement) du côté des forces de l’ordre ; 718 interpellations du côté des 20 000 manifestants (pour retenir une estimation intermédiaire entre les chiffres des organisateurs et ceux de la police), fréquemment accompagnées de passages à tabac, et le registre d’information du parquet a compté jusqu’à 170 noms. Les 22 derniers inculpés, non plus pour le motif d’atteinte à la sécurité intérieure (dénué de fondement), mais pour « rébellions et insultes à agents », « port d’armes » et « coups et blessures », sont convoqués le 24 novembre 1955 : 12 seront condamnés à de courtes peines de prison avec sursis. Une interpellation mobilise tout particulièrement l’opinion, notamment communiste : celle du secrétaire général par intérim Jacques Duclos, en marge de la manifestation, le soir même, avec deux pigeons morts dans sa voiture, destinés à la casserole mais que la propagande anticommuniste présentera comme des pigeons voyageurs… Et surtout deux morts, lors d’échauffourées place Stalingrad, les seuls en France lors des manifestations contre la guerre de Corée : un ancien déporté et ancien conseiller municipal, Charles Guénard, grièvement blessé par balles au genou et décédé en mars 1953 lors d’une opération à la Pitié-Salpêtrière, et un ouvrier communal d’Aubervilliers d’origine algérienne, Hocine Belaïd. C’est sur ce dernier que nous souhaitons ici revenir, à partir notamment d’une exploitation inédite des documents d’archives transmis par Bernard Orantin, tout en l’inscrivant dans le combat mené par l’Association d’amitié franco-coréenne (AAFC) pour un traité de paix en Corée, en lieu et place de l’accord d’armistice de 1953. Cette situation de « ni guerre, ni paix » a malheureusement permis de nouveaux accrochages meurtriers, depuis un peu plus de 60 ans, entre les deux Corée.

 

Seuls quelques textes rendent compte des circonstances dans lesquels Charles Guénard a été grièvement blessé et Hocine Belaïd est tombé, alors que la colonne venue d’Aubervilliers était conduite par André Karman, secrétaire de la Fédération de la Seine du PCF, plus tard maire d’Aubervilliers (1957-1984). A  partir notamment de coupures de presse, ainsi que d’une note du préfet de police de Paris du 29 mai 1952 et de citations de l’ouvrage de Dominique Desanti Les staliniens. Une expérience politique (Fayard, 1975), l’historien Michel Pigenet donne le récit suivant des événements (op. cit., p. 107) :

A l’heure de la rencontre avec les barrages que l’on a prévu de forcer, les manifestants ralentissent leur marche, se regardent et observent l’adversaire. Il revient alors au chef de colonne de dissiper ce flottement en payant de sa personne. Place de Stalingrad, A. [André] Karman se détache et, à demi tourné, le bras tendu, retrouve le geste de la célèbre Marseillaise de Rude pour hurler : "En avant, camarades !" A toutes fins utiles, les militants les plus résolus, souvent d’anciens résistants, garnissent les premiers rangs […] Surpris et secoué, le cordon de police cède en désordre mais n’évite pas des pertes, si lourdes qu’il faudra, l’orage passé, replier les gardiens désemparés sur le commissariat du 10e arrondissement. Pris de panique, un brigadier, se voyant isolé, a tiré. Belaïd Hocine s’écroule non loin du magasin de vêtements "A l’ouvrier". D’abord porté devant un hôtel de la rue du Faubourg-Saint-Martin, puis amené en voiture à la Polyclinique des Bluets, le malheureux mourra sans avoir repris connaissance. Un second militant d’Aubervilliers, ancien conseiller municipal, s’est affaissé au cours de la fusillade. Déporté pendant la guerre, travaillant à la Manufacture d’allumettes de la localité, membre du comité de section de Dugny, Charles Guénard est blessé au genou. La débandade policière ajoute à la colère l’illusion de l’invincibilité .

Selon le Journal du canton d’Aubervilliers, le lieu où a été transporté Hocine Belaïd est l’hôtel du garage Citroën, 272 rue du Faubourg Saint-Martin, où « il reste sans connaissance, étendu dans l’entrée de l’hôtel, la tête sur l’escalier, plus d’une demi-heure. Un membre de la direction de l’hôtel, sous la protection des policiers, interdisait aux assistants de porter secours au blessé, répétant qu’il téléphonait à Police-Secours. Aucune ambulance n’arrivant, la foule indignée put imposer que le blessé soit transporté par un automobiliste bénévole à la Polyclinique des Métaux. Mais il était trop tard, le malheureux avait perdu trop de sang. Il est mort au cours de son transfert ». Selon la déclaration des docteurs citée par le journal, « il est mort d’une grosse hémorragie. Des soins immédiats auraient dû permettre de faire une hémostase et une transfusion de sang qui l’aurait sans doute sauvé ». Revenant à plusieurs reprises sur la mort d’Hocine Belaïd, que le journal qualifie d’assassinat, il s’interroge : où veut en venir la police ? Le gouvernement du « vichyste » Antoine Pinay est mis en cause, dans une comparaison implicite avec la période de la guerre (un autre article ne proclame-t-il pas « Nous ne sommes plus en 39 !!! » ?).

 

Que Hocine Belaïd ait été d’origine algérienne n’est pas dépourvu de signification : les militants communistes nord-africains et vietnamiens, engagés ou bientôt engagés dans des luttes de libération nationale, étaient particulièrement sensibles à la cause coréenne. Leur présence dans la manifestation sera d’ailleurs stigmatisée peu après par Raymond Marcellin, secrétaire d’Etat à l’Information, les « coups de main » auxquels il résume la manifestation étant selon lui le fait « des Nord-Africains, des étrangers et des jeunes gens », dans l’action selon lui « la plus violente qui ait eu lieu depuis l’affaire Sacco et Vanzetti en 1927 » (cité par Michel Pigenet, op. cit., p. 7).

 

Que sait-on de Hocine Belaïd, mortellement touché par trois balles ? Il était né à Maillot, en Algérie, le 14 septembre 1915 selon le registre d’état civil du 11e arrondissement de Paris (où se trouve la clinique dans laquelle sa mort a été constatée ; le Journal du canton d’Aubervilliers affirme, lui, que Hocine Belaïd est né le 15 septembre 1916) – et dont une copie nous a été transmise par Bernard Orantin. Il était arrivé en France dix ans plus tôt. Ouvrier municipal communiste d’Aubervilliers (le registre de décès précise qu’il était « aide-ponceur »), domicilié 56 rue Hémet dans la même ville, il avait pris pour compagne – sans être marié, suivant l’état civil qui précise qu’il était célibataire – une Européenne, prénommée Louise (ou Louisette). Le couple avait quatre enfants, et sa femme devait bientôt accoucher, en août, d’un cinquième enfant, une petite fille. Des milliers de personnes furent présentes à ses obsèques le 13 juin, décrites dans le Journal du canton d’Aubervilliers – à la une de l’édition du 20 juin 1952, sous le titre « Plus de 15.000 personnes ont fait d’émouvantes et solennelles obsèques à Hocine Belaïd, Héroïque Combattant de la Liberté et de la Paix » :

Le silence est tombé sur la place du Marché-Central d’Aubervilliers, illuminée d’un soleil d’orage, sur les visages où la douleur ne se mêle d’aucune résignation, sur les visages noués de colère, sur les poings serrés.

Drapé de rouge, le cercueil d’Hocine Belaïd, héros et martyr de la paix, est porté devant la tribune de deuil.

Depuis le matin, les habitants d’Aubervilliers sont venus saluer le compagnon assassiné par les balles de la police parce qu’il marcha, le 28 mai, derrière une pancarte disant "Nous voulons la paix."

De leur cœur jaillissaient la même haine des assassins, la même volonté de gagner la paix.

Dans le taudis où le soleil ne peut que jouer sur le seuil de la porte, Louisette Belaïd, notre nouvelle camarade (première adhérente de la promotion Hocine Belaïd du Parti communiste français), était entourée d’amis hier inconnus. Ses enfants sont vraiment devenus les enfants d’Aubervilliers.

Dans les entreprises, les quartiers, les magasins d’Aubervilliers, la solidarité ne cesse de grandir.

Plus tard, assise près du catafalque avec son père, retraité de la RATP, et sa mère qui vivent pauvrement dans leur village de l’Aveyron, Louisette revit sa dernière heure avec celui qu’elle aime, dont elle a repris la lutte sitôt qu’il fut tombé.

Hocine est rentré du travail et a embrassé sa femme et ses petits. Sur les 6 500 francs du salaire de la semaine, ce vendredi 28 il reste trois pièces de dix francs.

- Prends-les, dit Louisette à Hocine. On ne sait jamais, quand on sort comme ça, on peut avoir besoin d’argent…

Hocine Belaïd est parti. Il sait de toute sa conscience de syndicaliste, de communiste, que pour lui, Algérien, père de quatre et bientôt six enfants, la lutte contre le tueur en chef de Corée était l’acte le plus important, le plus urgent à accomplir.

Les bombes de la guerre voulue par Ridgway et ses complices ne distingueront pas entre les enfants d’Hocine et les enfants des policiers ; pourtant, les exécutants du préfet de police ont tué le combattant de la paix.

Pour subvenir aux besoins de sa veuve et de ses enfants, un « comité de défense et de soutien pour la famille de Belaïd Hocine » organise une collecte, ayant permis de réunir près de 350 000 francs. Des couples proposèrent d’adopter ou de parrainer les orphelins.

 

Reprenant le flambeau du combat politique de son mari, Louise adhéra en effet au Parti communiste dont la promotion prit le nom du défunt, et porta plainte pour homicide volontaire et assassinat. Mais comme l’a précisé Michel Pigenet (op. cit., p. 154), « une règle non écrite, mais toujours confirmée, veut que les manifestants tués ou blessés lors d’une manifestation interdite soient tenus pour responsables de leurs malheurs ».

 

Quelle a été la postérité de la mort d’Hocine Belaïd et Charles Guénard ? Il est traditionnellement considéré qu’ils sont tombés dans l’oubli. Dans un article consacré à la manifestation Ridgway du 28 mai 1952, paru dans le numéro de la revue L’Histoire de juillet-août 1980, l’historien Pierre Milza, cité par Michel Pigenet (op. cit., p. 163), s’exclame ainsi : « Qui se souvient encore de Belaïd Hocine ? ». Michel Pigenet, en conclusion de son ouvrage, arrive peu ou prou à la même conclusion d’un même oubli progressif, du moins dans la mémoire du Parti, qui se démarque progressivement de la ligne tactique adoptée au tournant des années 1940 et 1950, Hocine Belaïd n’étant cité, après le premier anniversaire de sa disparition, que dans deux articles du quotidien L’Humanité, dans ses éditions du 29 mai 1956 et du 31 mai 1962. Mais une exception prévaut chez les militants locaux : la section PCF d’Aubervilliers continue de fleurir, fin mai, les tombes de Hocine Belaïd et Charles Guénard. Significatif de ce relatif oubli, on ne sait d’ailleurs plus, a posteriori, quels sont les prénom et nom de Hocine Belaïd, souvent intervertis, y compris sous la plume de Michel Pigenet.

 

La cellule d’Aubervilliers a écrit à Louise Belaïd : « nous tenons à vous faire connaître le serment que nous avons fait tous ensemble d’agir en sorte que le sacrifice de notre camarade Belaïd Hocine ne soit pas vain ». Pour sa part, l’Association d’amitié franco-coréenne est née, en 1969, du constat que la division imposée à la Corée et la situation d’armistice ne pouvaient nullement satisfaire les militants épris de paix. C’est pourquoi nous devons nous affirmer comme les dignes héritiers de ceux qui ont sacrifié jusqu’à leur vie pour la paix et la prospérité de la Corée – de toute la Corée. L’exigence d’un traité de paix est indissociable de celle de vérité sur l’usage, désormais avéré par les historiens ayant travaillé sur les archives de la CIA, que cette dernière a utilisé des armes bactériologiques en Corée, et que combattre « Ridgway la Peste » ne relevait pas d’une manipulation des militants pacifistes, comme veulent toujours le faire croire les croisés de l’anticommunisme et leurs alliés objectifs. Hocine Belaïd et Charles Guénard ne méritent pas moins le respect que les quelques 270 Français morts au champ de bataille au sein du bataillon français de Corée et qui ont, droit, eux à des monuments et des cérémonies. Pour rétablir une juste approche historique qui rappelle le combat de militants pacifistes refusant un usage des armes chimiques contraire au droit international, je vous propose que l’Association d’amitié franco-coréenne fasse les démarches nécessaires pour qu’une plaque honore leur mémoire, place de la bataille de Stalingrad, où ils sont tombés.

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19 mai 2015 2 19 /05 /mai /2015 20:39

Le 19 mai 2015, trente femmes de différents pays et horizons, dont deux lauréates du prix Nobel de la paix, sont parties de Pékin pour Pyongyang, en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Cette initiative baptisée Women Cross DMZ (Les femmes franchissent la DMZ) a pour objectif de promouvoir la paix en Corée en marchant du nord au sud de la Corée avec un passage, le 24 mai, par la zone démilitarisée (DMZ) divisant la péninsule coréenne depuis la fin des combats de la Guerre de Corée en 1953. Les organisatrices de cette marche pour la paix ont appelé le Commandement des Nations Unies, chargé de superviser la frontière intercoréenne, à les laisser passer à travers le village de la trêve de Panmunjom. Les gouvernements du Nord et du Sud ont donné leur accord pour le franchissement de la DMZ, mais le gouvernement sud-coréen voudrait que les participantes de Women Cross DMZ empruntent la route intercoréenne Gyeongui, reliant Kaesong (Nord) à Séoul (Sud), au lieu de passer par Panmunjom, sous le contrôle de l'ONU. Christine Ahn, coordinatrice de la marche, a toutefois précisé : «L’importance de traverser la DMZ à Panmunjom est que nous, femmes de quinze pays différents, servions de pont entre les deux côtés là où la guerre s’est achevée par une impasse et ainsi renouveler l’espoir que cette division de longue date peut être surmontée.» Le 18 mai, trois participantes américaines de Women Cross DMZ, membres de l'organisation pacifiste CODEPINK : Women for Peace, ont lancé un appel-pétition en faveur de la paix en Corée, dont l'Association d'amitié franco-coréenne propose ci-après une traduction pour que le plus grand nombre de personnes s'associent à cette initiative.

 

Des femmes du monde entier sur la voie de la paix en Corée

En route pour la Corée du Nord !

Cher militant, Chère militante,

Salutations de Pékin, en Chine, en route vers Pyongyang, en Corée du Nord ! Toutes les trois, nous sommes membres d'une délégation de trente femmes de quinze pays. Dans quelques jours, nous participerons avec des femmes nord-coréennes à un symposium international sur la paix. Le 24 mai, journée internationale des femmes pour la paix et le désarmement, nous franchirons la zone démilitarisée (DMZ) vers la Corée du Sud, étant seulement le troisième groupe international à le faire en 70 ans.

Notre objectif ? Remplacer l'accord d'armistice de la Guerre de Corée vieux de 62 ans par un traité de paix, moyen de mettre fin aux hostilités, de promouvoir la réconciliation et de réunir des milliers de familles dans la péninsule coréenne.

Ajouter votre voix à cette action : signez cette pétition pour demander au secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon de négocier une conférence politique sur la paix en Corée !

L'accord d'armistice de la Guerre de Corée a marqué l'arrêt des horribles combats entre le Sud soutenu par les Etats-Unis et le Nord soutenu par l'ex-Union soviétique, des combats responsables de la mort de près de 4 millions de personnes. L'accord a mis fin à l'affrontement physique, mais la militarisation de la frontière, les exercices guerriers, les accrochages, les infiltrations et les défections ont continué à diviser les familles coréennes et à placer la péninsule au bord d'un conflit.

Les femmes coréennes qui ont eu l'idée de cette délégation sont tellement reconnaissantes pour nos efforts et si désireuses de mettre fin à ce long conflit. Des milliers de Nord-Coréens marcheront avec nous vers la frontière où nous irons à la rencontre de milliers de Sud-Coréens.

Rejoignez-les en signant cette pétition adressée aux Nations Unies pour aider à réunir des milliers de familles dans la péninsule coréenne et initier le processus de réconciliation.

Dans l'histoire, les femmes ont exercé une influence pour mettre fin à des conflits en apparence difficiles à résoudre. Notre groupe, qui compte la légendaire militante américaine pour les droits des femmes Gloria Steinem et les lauréates du prix Nobel de la paix Mairead Maguire et Leymah Gbowee, respectivement d'Irlande et du Libéria, espère tracer un chemin que d'autres suivront. Nous sommes fières de représenter CODEPINK dans ce pèlerinage pour la paix, et nous vous remercions de vous joindre à nous. Les femmes mènent à la paix !

Vers un monde plus pacifique,

Ann Wright, Jodie Evans et Medea Benjamin

PS: rejoignez-nous sur International Women’s Day for Peace and Disarmament twitter Thunderclap pour partager le plus largement notre pétition ! Suivez-nous sur Twitter : @WomenCrossDMZ (et, bien sûr, @CODEPINK) en utilisant le mot-dièse #WomenXDMZ !


 

Sources :

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26 août 2014 2 26 /08 /août /2014 21:38

Entre le 26 et le 29 juillet 1950, des centaines de Sud-Coréens ont été massacrés par l'armée américaine à No Gun Ri - dans un contexte où, au début de la guerre de Corée, les GIs tiraient délibérément sur des groupes de réfugiés de peur qu'ils aient pu abriter des soldats ennemis. La recherche de la vérité sur le massacre de No Gun Ri se confond largement avec la vie d'un homme, directement touché par cette tragédie : Chung Eun-yong nous a quittés le 1er août 2014, à son domicile de Daejeon. Retour sur le combat d'un homme inflexible qui, jusqu'à la fin de sa vie, aura subi la douleur d'avoir été, selon lui, un "père lâche", "ayant laissé sa famille à la merci des soldats américains".

Chung Eun-yong, lors d'une conférence de presse à New York en 2000

Chung Eun-yong, lors d'une conférence de presse à New York en 2000

23 juillet 1950. Des habitants de Jugok, dans la province du Chungcheong du Nord, reçoivent l'ordre d'évacuer leur village alors que les troupes nord-coréennes progressent. Puis le 25 juillet ce sont les habitants des villages voisins à qui les troupes américaines demandent de se replier au Sud. Dans leur retraite, le 26 juillet, ils croisent un bataillon du 7e régiment de cavalerie des Etats-Unis, qui s'était retranché près de No Gun Ri, et doivent quitter la route avant d'être pilonnés par l'aviation américaine. Refugiés sous un pont de chemin de fer, les survivants subissent, pendant trois jours, les tirs des troupes au sol. Alors que le gouvernement sud-coréen a identifié 163 victimes, mortes ou disparues, le nombre total de morts serait compris entre 250 et 500.

 

Un homme, Chung Eun-yong, a perdu son fils et sa fille dans le massacre de No Gun Ri. Il a passé sa vie à comprendre les causes et les circonstances de leur mort, ayant envoyé plus de douze pétitions pour exiger des autorités américaines des excuses et des compensations.

 

Choe Sang-hun, correspondant de l'agence Associated Press (AP), découvrit dans un magazine sud-coréen la photo de manifestants devant l'ambassade américaine conduits par Chung Eun-yong : il les interrogea et publia un article pour AP en avril 1998. Commença alors une enquête - notamment auprès d'anciens soldats américains - qui devait conduire une équipe d'AP à obtenir le prix Pulitzer en avril 2000. Quelques mois plus tard, en juin, CBS News fit état d'un document prouvant que les forces aériennes avaient délibérément attaqué les civils sud-coréens massacrés à No Gun Ri.

 

L'armée américaine dut reconnaître les faits, dans un rapport publié en 2001, mais elle les qualifia d' "accompagnement" d'une guerre (on parlerait aujourd'hui de "dommages collatéraux") "profondément regrettable". Si le Président Bill Clinton émit effectivement une déclaration où il exprimait ses "regrets", il refusa de présenter les excuses que demandaient les survivants et les familles des victimes. Le ministère de la Défense américain ne voulut en effet pas reconnaître les conclusions de l'équipe d'enquête sud-coréenne selon lesquelles les troupes américaines - notamment les pilotes - auraient reçu l'ordre de tirer sur les civils coréens. Mais qui peut croire la thèse de l'erreur pour une attaque qui a duré trois jours, et alors que la peur des infiltrés communistes parmi les réfugiés a entraîné la mort de trop nombreux civils au début de la guerre de Corée - il est vrai toutefois du fait d'abord des autorités sud-coréennes ?

Chung Eun-yong était né à Jugok en 1923. Rêvant de devenir architecte, il avait finalement pu, dans la Corée sous occupation japonaise, devenir opérateur de télégraphe, mais avait dû quitter son emploi après une dispute avec un collègue japonais. Entré dans la police en 1944 pour ne pas servir dans l'armée impériale nippone, il avait démissionné en 1949 - se déclarant dégoûté par la corruption - et commencé des études de droit à Séoul. Au déclenchement de la guerre, craignant que ses anciennes fonctions dans la police sud-coréenne ne le mettent en danger, il avait quitté sa femme et leurs deux enfants. Il ne se doutait pas qu'il les exposait à un danger plus grand encore. Comme il le découvrirait plus tard en retrouvant sa femme, seule cette dernière survécut au massacre de No Gun Ri, après avoir été blessée.

Ayant travaillé pour l'armée américaine, Chung Eun-yong quitta ce poste, en butte aux remarques racistes des soldats US qui frappaient également les Coréens. Il rejoignit à nouveau la police, et passa un examen de droit en étudiant la nuit.

C'est en 1960 qu'il commença à réunir des témoignages de survivants, après que le gouvernement américain eut fait savoir qu'il recevrait des réclamations pour des dommages liés à la guerre.

Après le retour au pouvoir des civils à Séoul, suite à l'élection présidentielle de 1992, il reprit espoir que le massacre ayant emporté ses enfants soit reconnu et écrivit un livre de témoignage - refusé par dix éditeurs, jugeant que les accusations contre les Américains correspondaient à des faits "controversés". Son récit fut finalement publié sous forme de roman en 1994.

Son fils, Chung Koo-do, préside la Fondation No Gun Ri pour la Paix Internationale.

Ayant travaillé dans une agence gouvernementale sud-coréenne anticommuniste, profondément croyant et ayant communié avec les vétérans américains de No Gun Ri, Chung Eun-yong n'avait pas le profil d'un activiste. Son histoire et son engagement témoignent que le combat pour la vérité sur la guerre de Corée doivent transcender les clivages partisans, alors que le gouvernement américain doit toujours s'excuser pour le massacre de No Gun Ri et offrir une juste indemnisation aux victimes et à leurs familles.

Sources :

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26 juillet 2014 6 26 /07 /juillet /2014 21:12

Le 27 juillet 1953 prenaient fin les combats de la guerre de Corée, célébrée en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) comme la victoire dans la guerre de libération de la patrie après que l'Armée populaire de Corée eut réussi à tenir tête à l'armée américaine, la plus puissante au monde. Mais à l'issue d'un conflit meurtrier ayant causé des millions de morts, la signature de l'armistice ayant marqué la fin des hostilités n'a pas signifié la fin des antagonismes : c'est pourquoi l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) milite pour la conclusion d'un traité de paix dans la péninsule coréenne, qui jetterait les bases d'une paix durable en prévoyant la dénucléarisation de toute la Corée, le retrait des troupes étrangères et la mise en place de mécanismes de non-agression garantis internationalement. L'AAFC réitère l'exigence d'un traité de paix pendant la période du 25 juin (début de la guerre de Corée, en 1950) au 27 juillet (date de signature de l'armistice, en 1953), pendant laquelle elle se réunit tous les ans à l'occasion du mois de solidarité avec le peuple coréen.

Au 61e anniversaire de l'armistice, combattre pour la paix en Corée

Dans un communiqué rendu public le 20 juillet 2014, un porte-parole du département politique de la Commission de la défense nationale (CDN) de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a mis en cause les Etats-Unis et la République de Corée (du Sud) dans l'adoption d'une déclaration par la présidence du Conseil de sécurité des Nations Unies, le 17 juillet, ayant condamné les tirs de missile à courte portée auxquels avait procédé l'Armée populaire de Corée.

Si la réaction nord-coréenne était prévisible, elle a malheureusement signifié le risque que ne s'engage un nouveau cycle de tensions et de confrontations, alors que les Etats-Unis et leurs alliés n'ont pas voulu saisir les offres de dialogue formulées à plusieurs reprises par la RPDC depuis le début de l'année 2014, depuis le discours de Nouvel an du Maréchal Kim Jong-un, après la publication d'une lettre ouverte adressée en janvier aux autorités sud-coréennes, et enfin les propositions de la CDN (le 30 juin) puis du gouvernement nord-coréen (le 7 juillet) de cesser les hostilités - comme l'a d'ailleurs rappelé la déclaration de la CDN du 20 juillet. La rencontre de familles coréennes séparées par la division de la Corée, en février, malgré les exercices militaires conjoints américano - sud-coréens qui se tenaient déjà au même moment, et l'offre nord-coréenne d'envoyer une importante délégation aux Jeux asiatiques d'Incheon, qui se tiendront en Corée du Sud cet automne, ont été autant de gestes de bonne volonté des autorités nord-coréennes auxquels, malheureusement, ni Washington ni Séoul n'ont donné suite pour transformer les relations de confrontation et de défiance dans la péninsule coréenne en des relations de confiance, fondées sur l'objectif partagé de construire une zone commune de paix et de prospérité.

L'histoire récente des relations américano - nord-coréennes montre pourtant l'impasse des politiques de sanction des administrations qui se sont succédées à Washington, les seuls résultats tangibles - au sens où ils ont permis une diminution réelle des tensions - ayant été enregistrés sous le présidence de Bill Clinton, dans le cadre d'une vraie volonté de dialogue pour surmonter les divergences. Depuis, les essais nucléaires et les lancements de satellites de la RPDC ont signifié l'échec de la politique américaine de sanctions qui prétendait endiguer les progrès tecchnologiques de la RPDC. Dans le même temps, les manoeuvres militaires des Etats-Unis autour de la Corée sont devenues les plus grands exercices militaires au monde, faisant peser des risques importants pour la paix et la stabilité du Proche-Orient : non seulement Pyongyang dénonce des préparatifs de guerre, mais les risques d'accident font courir de lourdes menaces pour la sécurité des populations civiles et militaires, comme l'a rappelé le dramatique naufrage de la corvette sud-coréenne "Cheonan" au printemps 2010. 

Dans ce contexte lourd de menaces, l'Association d'amitié franco-coréenne réitère son combat permanent pour la paix en Extrême-Orient et dans le monde, ce qui implique l'ouverture enfin de négociations en vue de la signature d'un traité de paix, soixante-trois ans après l'armistice de la guerre de Corée.

Sources :

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7 juin 2014 6 07 /06 /juin /2014 16:39

Le nom du scientifique Frank Olson est intimement lié aux recherches menées par l'armée américaine sur les armes biologiques et le contrôle mental via l'usage de drogues - dans le le cadre des programmes ARTICHOKE et MKULTRA. Dirigeant d'une unité scientifique de la CIA à Fort Detrick, Frank Olson est officiellement mort après s'être defenestré de sa chambre d'hôtel à Manhattan, le 28 novembre 1953, après avoir ingéré du LSD à son insu. Dans le cadre des travaux de la commission dite Rockefeller sur les activités de la CIA aux Etats-Unis, la famille de Franck Olson a obtenu des excuses du Président américain Gerald Ford qui, selon Eric, le fils de Franck Olson, lui aurait déclaré : "cela n'aurait jamais dû se produire ; cela ne doit plus jamais se produire". Eric Olson, ainsi que des amis proches de son père, ont acquis l'intime conviction que Frank Olson ne se serait pas suicidé, mais aurait été éliminé par la CIA après avoir émis des réserves auprès de sa hiérarchie sur les travaux auxquels il participait. Le dossier de la CIA remis à Eric Olson, que nous analysons ci-après sur la base des travaux de Gordon Thomas, auteur spécialisé dans l'espionnage, et publiés dans Les armes secrètes de la CIA. Tortures, manipulations et armes chimiques, est lourd de révélations sur les recherches menées par l'armée américaine pendant la guerre de Corée. Le gouvernement américain continue de nier l'usage d'armes bactériologiques pendant la guerre de Corée (1950-1953), malgré les témoignages accablants réunis par des chercheurs et journalistes, comme ceux de la chaîne Al Jazeera dans un documentaire dont nous avions rendu compte sur ce blog.

Frank Olson

Frank Olson

Selon Gordon Thomas, le général Walter Bedell Smith, nommé à la tête de la CIA le 21 août 1950, se rendit rapidement à Fort Detrick - où il rencontra son dirigeant, le docteur Gottlieb - après sa nomination. La CIA décida alors d'utiliser la Corée comme terrain pour tester les nouvelles armes chimiques sur lesquelles elle travaillait, avec l'objectif - comme pour les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki - d'accélérer l'issue du conflit en utilisant de nouvelles armes de destruction massive.

Le docteur Gottlieb se rendit au Japon et en Corée du Sud. Il demanda à deux équipes de la CIA - dirigées respectivement par Hans Tofte et Henry Alderholt - de lui fournir des animaux sauvages, insectes et petits mammifères (rats, campagnols...), afin de servir de vecteurs à la propagation de bactéries.

Frank Olson et ses collègues signèrent une décharge précisant que, en cas de décès suite à une maladie contractée dans le cadre de leurs travaux, ils léguaient leur corps au gouvernement américain. Les bactéries de maladies comme l'encéphalite étaient testées sur des cobayes, des lapins, des macaques rhésus et des porcs.

Dans les archives de la CIA auxquelles a eu accès la famille de Frank Olson figurent deux notes de service classées datées de décembre 1950, demandant, dans l'une, des "éclaircissements sur la mesure dans laquelle les déserteurs ennemis et les prisonniers de guerre seraient immunisés contre les maladies générées par l'armement biologique", et dans l'autre comment "progressaient les travaux sur l'armement biologique". Suite à ces notes, le docteur Gottlieb se rendit à nouveau à Tokyo, en janvier 1951, accompagné cette fois de Frank Olson. Il visita l'unité 406 du commandement oriental, où des laboratoires menaient des expériences consistant à inoculer la peste, l'anthrax, la fièvre de Malte et le choléra à des cobayes. Les scientifiques américains de l'unité 406 étaient aidés dans leurs travaux par des Japonais qui avaient testé des armes biologiques sur des prisonniers pendant la Seconde guerre mondiale, et avaient bénéficié en contrepartie de leur collaboration d'une immunité pour les crimes de guerre qu'ils avaient commis. Une autre unité d'armes chimiques, connue sous le nom d'unité 8003, se mettait alors en place dans le même bâtiment qui abritait l'unité 406. De nouveaux vecteurs de propagation des maladies furent étudiés, comme les oiseaux porteurs de l'encéphalite équine.

En avril 1951, de nombreux Nord-Coréens et Chinois furent faits prisonniers et enfermés dans un camp sur l'île de Koje, au Sud de la péninsule. Un bateau-laboratoire de l'US Navy s'immobilisa près des côtes, avec à son bord le docteur Gottlieb, pour officiellement régler un problème de dysenterie amibienne parmi les prisonniers. Dans les mois qui suivirent, 20.000 prisonniers tombèrent malades et 1.800 d'entre eux périrent. Newsweek et l'agence Associated Press publièrent alors des articles dans lesquels la Corée du Nord et la Chine dénoncèrent les Américains comme testant la peste bubonique sur des prisonniers de guerre. Le Journal of Tropical Medicine and Hygiene s'étonna pour sa part de l'ampleur de la mystérieuse épidémie de dysenterie. Puis les commentaires prirent soudain fin. Devant le Congrès américain, le directeur de la CIA William Colby indiqua des années plus tard que la plus grande partie des archives sur le programme bactériologique de la CIA à l'époque de la guerre de Corée avait été détruite, pour une raison inexpliquée, en 1972 et 1973.

Comme le précise enfin Gordon Thomas, Eric Olson a lui-même recueilli des témoignages sur l'utilisation d'armes biologiques pendant la guerre de Corée. Il entendit directement des Coréens et des Chinois, et accéda aux témoignages d'anciens soldats américains qui avaient été faits prisonniers : deux colonels, deux capitaines et vingt lieutenants, appartenant principalement à la cinquième compagnie aérienne. Les aviateurs précisèrent que les bombes bactériologiques n'étaient chargées que quelques minutes avant le décollage, pour limiter les risques d'un accident qui aurait pu anéantir la base aérienne.  Toujours selon leurs témoignages, ils étaient également informés que les bombes engendreraient des épidémies chez l'ennemi, et que ces armes étaient nécessaires pour "sauver des vies américaines", comme cela avait été le cas pour les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki. Rapatriés après la guerre, les aviateurs se rétractèrent tous.

Source : Gordon Thomas, Les armes secrètes de la CIA. Tortures, manipulations et armes chimiques, Nouveau monde éditions, 2006 (traduit de l'anglais par Valérie Clouseau et Mickey Gaboriaud). Chapitre III (p. 65-81).

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22 août 2013 4 22 /08 /août /2013 22:51

Lors de la manifestation qu'elle a organisée le 29 juin dernier, l'Association d'amitié franco-coréenne a rappelé sa position constante pour une paix durable dans la péninsule coréenne. Une position que nous avait déclaré ne pas partager Roland Weyl : l'avocat au barreau de Paris soulignait en effet que, du point de vue du droit international, il s'agissait d'une opération de police - et non d'une guerre - ayant conduit à la signature d'un accord d'armistice dont les termes n'avaient pas été respectés. D'une part, la présence militaire américaine est une infraction à l'accord d'armistice. D'autre part, il était prévu, dans un délai de trois mois, la tenue d'une conférence pour "le règlement pacifique de la question coréenne". Cette conférence ne s'est jamais réunie. Force est de constater que, soixante ans plus tard, la question coréenne  - la division de la péninsule contraire au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, sans la présence de troupes étrangères au Sud de la péninsule - n'a toujours pas été réglée. Nous reproduisons ci-après la tribune de Roland Weyl publiée par L'Humanité dans son édition du 13 août 2013 (p. 16), sous le titre "Où en est-on de l'application du droit international en Corée ? 60 ans après les accords de Panmunjom", et figurant aussi sur le site Internet du quotidien.

 

L’heure du 60e anniversaire des accords de cessez-le-feu de Panmunjom appelle un bilan à l’épreuve du droit international. Les opérations auxquelles ils mettaient fin, et auxquelles participait un corps expéditionnaire multinational, n’étaient pas une guerre, mais une opération de police du Conseil de sécurité, et le signataire en a d’ailleurs été le commandant des forces des Nations unies. Il n’y a donc pas à déplorer qu’il n’ait pas été suivi d’un traité de paix, qui eût dû être signé avec… l’ONU ! Le cessez-le-feu marquant la fin de l’opération de police, le droit international redevenait applicable, c’est-à-dire la négociation pacifique des différends et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ici, cela signifiait la solution pacifique du problème posé par la division en deux depuis 1945 (c’est-à-dire à l’époque depuis seulement huit ans !) d’un peuple unique depuis des millénaires.


Il est vrai que toute analyse se référant au droit international se prête à discussion sur l’analyse que l’on fait de celui-ci, mais ici le texte même de l’accord de 1953 comporte un article IV dont la clarté nous en dispense : « Afin d’assurer le règlement pacifique de la question coréenne (…) » Cela consacre déjà qu’il y a une question coréenne et qu’elle n’est pas réglée. L’opération de police ayant mis fin à une tentative de la régler par la force, il reste à la régler pacifiquement. Et cette question étant la solution pacifique du problème posé par la division en deux de l’unité coréenne, la suite du texte en définit les moyens : «(…) les commandants militaires des deux cotés (Chine et Corée du Nord d’une part, et ONU de l’autre) recommandent aux gouvernements des pays concernés des deux cotés (les gouvernements du Nord et du Sud) de tenir, dans les trois mois après que l’accord a été signé et est devenu effectif, une conférence politique au plus haut niveau des représentants respectivement désignés des deux côtés pour régler par la négociation le retrait de toutes les forces étrangères, le règlement pacifique de la question coréenne (…)».

Force est de constater que les forces étrangères alors présentes se sont retirées, car il n’y a plus de corps expéditionnaire de l’ONU et donc les forces des États-Unis qui s’y sont substituées en sont une infraction, mais que, 60 ans après, la conférence prévue pour un délai de trois mois n’a pas encore eu lieu.


Sans doute la célébration de l’anniversaire de Panmunjom doit conduire non pas à déplorer qu’il n’y ait pas encore eu de traité de paix mais que les préconisations des accords n’aient pas encore été appliquées en souhaitant que l’ONU qui en est un des signataires y apporte ses bons offices, ainsi que des représentants de pays membres plus neutres que les États-Unis.

Roland Weyl, avocat au barreau de Paris

 

 

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26 juillet 2013 5 26 /07 /juillet /2013 21:46

PaixenCoréeLe 24 juillet 2013, une délégation de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) est arrivée en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) pour participer aux célébrations du soixantième anniversaire de la victoire dans la Guerre de libération de la patrie, nom donné à la Guerre de Corée en RPDC. Certes, un simple cessez-le-feu entre belligérants a été signé le 27 juillet 1953, et, soixante ans plus tard, un véritable traité de paix se fait toujours attendre en Corée, mais la RPDC a survécu à la véritable guerre d'anéantissement menée contre elle pendant trois années par les Etats-Unis sous le drapeau des Nations Unies. A partir de 1953, la RPDC s'est même reconstruite « à la vitesse de Chollima », le cheval ailé des légendes coréennes. La présence d'une délégation de l'AAFC en RPDC cette année répond donc à une double obligation : rendre hommage au combat héroïque, presque surhumain, du peuple coréen entre 1950 et 1953 alors que son pays avait déjà été divisé quelques années auparavant au sortir de quarante ans d'une colonisation féroce ; et affirmer que le soixantième anniversaire de la fin des hostilités en Corée doit marquer le début d'une nouvelle ère de paix et de prospérité dans cette partie du monde. C'est le sens de la déclaration suivante du bureau national de l'AAFC.

 

L'Association d'amitié franco-coréenne pour la paix en Corée, maintenant !


Le 27 juillet 1953, un accord d'armistice mettait fin aux combats en Corée, après trois ans d'une guerre qui avait causé des millions de morts dans la péninsule coréenne et entériné la division d'un pays unifié depuis treize siècles. Mais un accord d'armistice n'est pas un traité de paix et, depuis, trop d'accrochages meurtriers ont endeuillé le peuple coréen. Il faut maintenant garantir la paix et la prospérité dans cette partie du monde.

L'Association d'amitié franco-coréenne considère la paix en Corée comme un de ses objectifs majeurs. Elle soutient pleinement les militants progressistes coréens qui, au Nord, au Sud et dans le monde, y travaillent sans relâche, en leur apportant ce message : les causes justes finissent toujours par triompher.

Aujourd'hui, il y a urgence à démanteler les bases militaires étrangères en Corée. Il y a urgence à garantir la dénucléarisation militaire de la Corée. De toute la Corée. A cet égard, les obligations du traité de non-prolifération nucléaire doivent aussi s'appliquer aux Etats-Unis et à leurs alliés. Il y a urgence à mettre en place des mécanismes de dialogue et de sécurité collective pour que, plus jamais, des Coréens n'aient à affronter d'autres Coréens.

En 2013, les manœuvres militaires conjointes américano-sud-coréennes ont atteint une ampleur sans précédent. L'engagement d'avions bombardiers furtifs et de sous-marins nucléaires par les Etats-Unis, première puissance militaire de la planète, ont clairement signifié que, dans l'équilibre des forces dans la région Asie-Pacifique, ils se positionnaient une nouvelle fois en agresseurs potentiels.

Nous plaidons, ici et maintenant, pour une paix durable en Corée, au moment où le soixantième anniversaire de l'armistice de 1953 nous engage tous : vis-à-vis des générations futures, nous avons le devoir de tout faire pour qu'une ère de paix et de prospérité en Corée fasse définitivement taire le fracas des armes.

 

Le bureau national de l'Association d'amitié franco-coréenne, juillet 2013

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25 juillet 2013 4 25 /07 /juillet /2013 18:00

La signature de l'armistice de la Guerre de Corée, il y a 60 ans le 27 juillet 1953, est célébrée en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) comme une victoire dans la guerre pour la libération de la patrie, menée contre l'impérialisme américain. Cette interprétation peut surprendre en Occident, où la lecture communément admise est qu'il s'agit d'une guerre sans vainqueurs ni vaincus, puisque la séparation de la Corée a été confirmée de part et d'autre du 38e parallèle - même si la zone démilitarisée, établie en 1953, n'en épouse pas exactement le tracé. Toutefois, une lecture plus fine montre la capacité des Nord-Coréens et de leurs alliés chinois à avoir su faire face, avec succès, à la puissance de feu des troupes des Nations Unies sous commandement américain. Ce n'est pas un mince exploit. La supériorité technologique des Etats-Unis, combinée à la peur de basculer dans une guerre mondiale où seraient intervenus les Soviétiques et les Chinois, a notamment failli avoir comme conséquence une nouvelle utilisation par les Américains de l'arme atomique, après les bombardements de Hiroshima et Nagasaki en 1945.

Fin 1950 : les troupes de l'Armée populaire de Corée, épaulées par les volontaires chinois, ont reconquis une large partie de la Corée du Sud, soulevant un vent de panique aux Etats-Unis, alors que dans la péninsule le général MacArthur, qui commande les troupes des Nations Unies, surévaluait le nombre de soldats chinois pour justifier le retournement de situation. Comme l'indiquent les comptes rendus des conseils tenus par l'administration américaine de l'époque, le Président Harry Truman craignait alors le déclenchement de la Troisième Guerre mondiale. Dans une conférence de presse donnée le 30 novembre 1950, il déclara que les Etats-Unis pourraient utiliser l'ensemble des armes disponibles dans leur arsenal, y compris l'arme nucléaire. Comme l'indique l'historien américain Bruce Cumings, il s'agissait bien d'une menace brandie dans le contexte d'une situation d'urgence et pas d'un faux pas, car le même jour il fut donné l'ordre à l'aviation américaine de se tenir prête à larguer sans délais des bombes atomiques en Extrême-Orient.

Le Premier ministre britannique Clement Attlee était suffisamment inquiet d'une telle éventualité pour qu'il demande à rencontrer Truman, afin d'avoir la promesse écrite que l'arme nucléaire ne serait pas utilisée. N'ayant obtenu que des assurances orales, Clement Attlee déclara au Premier ministre français que, selon lui, les menaces américaines d'utiliser la bombe signifieraient que "les Européens et les Américains n'ont que peu de considération pour les vies asiatiques". Selon Attlee, de telles armes devaient être réservées à des situations désespérées, et "certainement pas dans un conflit où les Etats-Unis sont confrontés à une puissance comme la Corée".

Le 9 décembre 1950, le général MacArthur déclara qu'il souhaitait avoir le commandement sur l'usage d'armes nucléaires, à sa seule discrétion, et le 24 décembre il soumit une liste de cibles pour lesquelles il déclara avoir besoin de 26 bombes, auxquelles s'ajouteraient 8 bombes à lâcher sur les "forces d'invasion" et sur des "concentrations critiques de la puissance aérienne de l'ennemi". Dans des entretiens publiés ensuite, MacArthur affirmait que 30 à 50 bombes lui auraient suffi pour terminer la guerre "en dix jours" : il aurait créé une ceinture radioactive de cobalt entre la mer de l'Est et la mer Jaune, qui aurait empêché toute vie dans cette région humaine pendant 60 à 120 ans et interdit la pénétration de troupes chinoises et soviétiques par le Nord de la péninsule. La même idée de "cordon sanitaire" avait déjà été évoquée dans une réunion technique du Comité des chefs d'état-major interarmées (JCS) des Etats-Unis lors de l'intervention chinoise, et le parlementaire américain Albert Gore - père de l'ancien vice-président Al Gore - avait ensuite évoqué de créer une ceinture radioactive.

En avril 1951, la possible utilisation de l'arme atomique fut à nouveau d'actualité. Le 11 avril, le Président Truman remplaça MacArthur - lequel avait encore demandé le 10 mars de pouvoir conduite un "D Day atomique" - par un commandant qui serait plus fiable quant à un recours à l'arme nucléaire. En effet, les Soviétiques avaient positionné 200 bombardiers en Mandchourie, d'où ils auraient pu atteindre les bases américaines au Japon, et les Chinois avaient massé des forces à la frontière avec la Corée. Des bombardiers américains furent alors positionnés à Okinawa, avec l'ordre - donné le 5 avril - de mener une contre-attaque impliquant l'usage de l'arme nucléaire  en cas de bombardement soviétique contre les troupes américaines ou d'un afflux important de troupes chinoises en Corée. D'autres bombardiers pouvant larguer des bombes atomiques étaient mis en place à Guam. Toutefois, l'absence d'escalade par les Soviétiques et les Chinois désarmorça à nouveau le risque d'un recours américain à l'arme atomique.

WarKorea_B-29-korea.jpgLe JCS considéra une troisième fois la possible utilisation d'armes nucléaires à partir de juin 1951 et jusqu'à la fin de la guerre, le 27 juillet 1953, en tant qu'arme tactique qui serait déployée sur le champ de bataille. Ce projet baptisé Vista donna lieu à un déplacement en Corée de Robert Oppeinhemer pour en étudier la faisabilité. Les bombardiers B-29 auraient pu être utilisés à cette fin, selon  le plan opérationnel Hudson Harbor : des vols de reconnaissance avec largage de bombes factices furent ainsi effectués en septembre et octobre 1951 depuis la base d'Okinawa. L'usage de bombardiers pour terroriser les Nord-Coréens, auquel les Américains ont à nouveau eu recours au printemps 2013, correspond donc bien à une idée récurrente du commandement américain.

Par ailleurs, début 1951, ayant observé la reprise de Séoul par les troupes de l'ONU sous commandement américain, Samuel Cohen, le père de la bombe à neutron, envisagea la possibilité de tuer l'ennemi sans détruire ses villes.

Boy victim of napalmA défaut de l'arme atomique, les troupes américaines ont fait le premier usage à grande échelle du napalm, déversé par avion dans les vallées du Nord de la péninsule, après une première utilisation de cette arme nouvelle à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, les bombardements conventionnels furent utilisés à une échelle sans précédent avec des bombes d'une taille inédite, le général MacArthur ayant donné l'ordre de détruire toute installation, ville ou village près de la frontière avec la Chine. Le 8 novembre 1950, 8 bombardiers B-29 lâchèrent 550 000 tonnes de bombes sur Sinuiju, afin de la "rayer de la carte".  Après l'offensive des Nord-Coréens et des Chinois au Sud, mi-décembre, les avions américains détruisirent sous un tapis de bombes les principales villes du Nord, MacArthur donnant  notamment l'ordre de "brûler" Pyongyang. La censure interdisit bientôt de faire le récit de ces atrocités dont les civils furent les premières victimes - George Barrett ayant rendu compte d'hommes, de femmes et d'enfants figés dans la mort suite à une attaque au napalm, dans un village situé au nord d'Anyang.

Certes, il n'existe pas de guerre propre. Toutefois, dans le cas du conflit qui, en Corée, fit quelque trois millions de victimes, en premier lieu des civils, la puissance de feu et le choix de bombardements systématiques par l'armée américaine pour exercer une pression psychologique ont largement fait pencher la balance des atrocités du côté des Etats-Unis. Au moment où l'Association d'amitié franco-coréenne, avec d'autres, plaide pour mettre un terme définitif à la Guerre de Corée - un simple cessez-le-feu a été signé le 27 juillet 1953 -, il ne faudrait pas, même au nom d'une nécessaire réconciliation, taire ce qui a été commis en Corée par une armée et un gouvernement qui ont été à deux doigts d'utiliser la plus effroyable des armes. MacArthur n'était pas le maniaque isolé voulant à tout prix utiliser l'arme atomique que d'aucuns veulent décrire : il représentait des idées alors en vogue dans le commandement américain et à la présidence des Etats-Unis. C'est le fil des événements, et non la mise à l'écart de supposés faucons, qui a d'abord empêché la concrétisation de ces terribles projets.

 

Source : Bruce Cumings, Korea's place in the Sun, Norton and Company, New York, 2005, pp. 288-295

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6 août 2012 1 06 /08 /août /2012 23:05

Né le 11 novembre 1922 à Rotterdam, George Blake est devenu un agent du MI6 britannique après avoir été été un résistant au nazisme aux Pays-Bas. Capturé pendant la guerre de Corée, il a déclaré que le comportement des Occidentaux dans la péninsule l'avait conduit à devenir un agent soviétique, tout en restant officiellement membre des services britanniques après sa libération. Démasqué et jugé à quarante-et-un ans de prison en 1961, il s'évade en 1966 et se réfugie en URSS. Vivant toujours en Russie, il a publié ses Mémoires où il explique notamment pourquoi il a volontairement choisi de passer à l'Est pendant la guerre de Corée. Nous publions ci-après une traduction des extraits d'un entretien avec George Blake, publié par la chaîne publique américaine PBS pour la réalisation du documentaire "Red Files", où il revient sur les raisons de son engagement aux côtés de l'URSS et du camp communiste. Les propos tenus le sont sous la seule responsabilité de George Blake.

george blake corée

Question : Pour votre mission suivante avec les services britanniques, vous avez été envoyé en Corée, pendant la guerre de Corée ?

George Blake : Dès que j'en eus terminé en Russie, j'ai été envoyé en Corée avec la tâche d'essayer de mettre en place un réseau d'agents, un réseau dans ce qu'on appelle les provinces maritimes [NdT : l'Extrême-Orient soviétique]. C'était une tâche tout à fait irréaliste, car il n'y avait pas de communication directe entre cette région et la Corée du Sud. Le seul point sur la carte était Séoul ; c'était le plus près de cette région. A Séoul il y avait le consulat britannique, une ambassade britannique de l'OTAN, c'était l'endroit par lequel il fallait évidemment tenter de pénétrer en Union Soviétique par l'Est. En fait, ce n'était pas possible parce qu'il n'y avait, comme je le disais, absolument aucune liaison. J'ai tout de même essayé. Cela m'a pris du temps de découvrir tout cela et j'ai aussi essayé de pénétrer en Corée du Nord. Bien sûr, je devais connaître la situation politique au Sud. Selon moi, le Président coréen était vraiment un fasciste et son entourage était, à mon sens, composé de fascistes. C'est pourquoi j'avais une certaine sympathie pour le Nord, tout en connaissant vraiment très peu de choses. 

Question : Comme ce que vous avez vu au Sud ?
 

George Blake : Eh bien, j'ai pensé à ce que j'ai vu en Corée du Sud et alors la guerre a éclaté, de manière tout à fait soudaine. Maintenant, le fait est que nous avions été envoyés en Corée du Nord, et les hommes qui m'assistaient et le Ministre lui-même, le Capitaine Hoo, avaient été envoyés pour me voir avec l'idée qu'une guerre éclaterait très probablement entre le Nord et le Sud, et nous étions assurés que le Nord gagnerait et occuperait tout le pays. Par conséquent, la représentation à Séoul serait un poste d'observation idéal pour voir comment les choses allaient se développer. Nous avions l'ordre de rester sur place si la guerre éclatait. C'est pourquoi quand la guerre a éclaté les Américains nous ont proposé de nous évacuer, mais nous ne l'avons pas fait car nous avions l'ordre de ne pas partir. Les Français étaient dans la même situation. Le consulat français est aussi resté, ainsi qu'un certain nombre de missionnaires britanniques, y compris l'évêque anglican, car ils ne voulaient pas abandonner leurs ouailles. Quand les Nord-Coréens ont occupé Séoul, nous avons été internés car, entretemps, les Américains avaient organisé les Nations Unies, et tous les pays occidentaux les avaient rejoints. A part l'Union soviétique, qui n'avait pas voix au chapitre, car elle s'était exclue elle-même du Conseil de sécurité. Ils ont été en mesure de faire adopter une résolution et les Britanniques, les Français, les Turcs et toutes sortes de contingents militaires ont été envoyés en Corée. Nous, pour être neutres, avons été envoyés dans les villages et internés par les autorités nord-coréennes.

Question : Il a souvent été dit que lorsque vous avez été prisonnier des Nord-Coréens vous avez subi un lavage de cerveau afin de travailler pour les Russes.  

George Blake : Non, je n'ai jamais subi aucun lavage de cerveau. Eh bien, vous voyez, nous étions alors un petit groupe de diplomates, et au début nous étions ensemble, avec les missionnaires. Il y avait beaucoup de missionnaires : des missionnaires français, des nonnes irlandaises et toutes sortes de gens. A un certain moment nous avons été, nous, diplomates, séparés d'eux. Il aurait été très difficile pour les Nord-Coréens, dans la situation où ils étaient, de trouver des gens, comment dire, suffisamment intelligents ?  Pour influencer des gens comme nous, je veux dire qu'ils auraient peut-être pu influencer un jeune soldat américain, mais des gens comme nous, cela aurait été très difficile.

Question : Un incident a-t-il eu pour effet de vous décider à changer effectivement de camp ?

George Blake : Non, rien n'a eu sur moi l'effet d'un catalyseur. C'est quand j'ai vu ce qui se passait en Corée du Nord. Les bombardements incessants de petits villages coréens par des énormes... forteresses volantes américaines. Les gens, les femmes et les enfants, et les vieilles personnes, parce que les jeunes hommes étaient à l'armée. Je l'ai vu de mes yeux, et nous avons failli en être victimes nous-mêmes. Cela m'a fait avoir honte. Honte d'appartenir à ces superpuissances, techniquement supérieures, combattant ce qui me semblait des gens tout à fait sans défense.  

Question : Est-ce qu'un incident en particulier est resté gravé dans votre mémoire ?  

George Blake : Eh bien, les bombardements avaient lieu tout le temps, ils ne cessaient jamais. J'avais vu les destructions en Allemagne après la guerre, mais ce n'était rien, absolument rien, je peux vous l'assurer, par rapport aux destructions en Corée du Nord. Cela, ce sentiment de honte, avec d'autres choses dont j'ai déjà parlé, et d'autres étapes de mon développement personnel m'ont fait me décider - m'ont fait ressentir que je combattais du mauvais côté, parce que je n'étais pas quelqu'un de neutre. J'étais engagé dans un travail de renseignement contre le monde communiste, contre le monde socialiste. J'étais engagé, je m'étais engagé et j'avais le sentiment d'être engagé du mauvais côté. Et c'est ce qui m'a fait décider de changer de camp. Je pensais que ce serait mieux pour l'humanité si le système communiste l'emportait, que cela mettrait fin à la guerre, à toutes les guerres. Je n'allais pas trop loin dans les responsabilités quant au commencement de la guerre de Corée. C'était très difficile dans la position où j'étais de décider exactement ce qui l'avait déclenchée, mais aujourd'hui je réalise que c'est la Corée du Nord. Mais c'était l'expérience de cette guerre qui m'a fait l'effet d'un catalyseur, et m'a décidé à rejoindre l'autre camp.

Question : Comment les avez-vous approchés ?

George Blake : Cela s'est fait, en un sens, tout simplement. J'ai écrit un petit mot en russe - vous devez vous souvenir que j'étais dans un petit groupe de diplomates, français et britanniques, et j'ai utilisé mon russe. Nous écrivions tout le temps à l'ambassade soviétique à Pyongyang, en leur demandant, en leur disant que nous considérions notre captivité comme injuste, et comme contraire aux lois internationales, en protestant. L'ambassade soviétique nous a envoyé des livres, dont Le Capital de Marx, que nous avons lu en russe plusieurs fois. Cela a eu une influence sur moi. Il y avait donc une correspondance avec l'ambassade soviétique à Pyongyang, conduite par la remise de lettres au chef des gardes, parmi les hommes qui nous gardaient.

Question : Donc vous leur avez écrit un mot ?

George Blake : Je leur ai écrit un mot. C'est exact.

Question : Comment ont-ils répondu ?

George Blake : Ils m'ont répondu environ un mois plus tard, je ne sais plus exactement quand. Des mois après, j'ai été appelé à me rendre dans une ville proche, qui était entièrement en ruines, seules deux maisons restaient debout. Dans une de ces maisons, j'ai rencontré mon homme russe ; je lui ai parlé et ai expliqué ma situation. Alors que je lui ai dit que s'il voulait que je continue à travailler, il devrait aussi appeler les autres personnes, car nous étions trois Britanniques et quatre Français. Si j'étais le seul à être appelé, cela soulèverait des doutes et semblerait très étrange. Donc ils ont procédé ainsi. Chaque personne a été appelée à son tour ; il y a eu des discussions sur les raisons de la guerre de Corée. Il y avait alors l'appel de Stockholm, qu'on leur a demandé de signer. Ils ne faisaint que parler pour passer le temps. A chaque fois mon tour venait et j'ai parlé à cette personne, qui s'est révélée être un colonel du KGB, avec qui j'ai préparé mon futur travail. Je pense qu'au début ils se sont beaucoup méfiés de moi. Je pense qu'ils ont cru que c'était un travail monté par le Ministre, le Capitaine Hoo, mais pourtant ils ont continué, ou bien ils ont compris que ce n'était pas le cas.

Question : Avez-vous prêté un serment d'allégeance ou quelque chose de ce genre, ou vous ont-ils fait des promesses qu'ils veilleraient sur vous ?

George Blake : Non, j'ai posé moi-même quatre conditions. Si je me souviens bien... L'une de ces conditions était que je n'accepterais pas d'argent et qu'ils ne m'en offriraient pas. Ensuite, je refuserais tout avantage, tant que je serais détenu avec les autres. Une raison en était une question de sécurité, une autre que je me sentais solidaire de mes camarades de captivité. La troisième condition était que je ne serais pas libéré avant les autres, ce qui était, encore, une sécurité élémentaire. Je pense que c'était les trois conditions. Ils les ont bien sûr acceptées.

Question : Donc ils ne vous ont rien dit comme "vous êtes l'un des nôtres, nous allons veiller sur vous" ?

George Blake : Non, ils n'ont rien dit de tel, et je n'attendais pas d'eux qu'ils disent quoi que ce soit de la sorte.

 

Sources :

- Entretien réalisé par PBS pour le documentaire Red Files. Traduction AAFC.  

- Photo AP.  

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15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 23:01

Bruce_Cumings_The_Korean_War_a_history.jpgAyant travaillé sur des sources tant américaines que nord-coréennes, l'historien Bruce Cumings a proposé une lecture nouvelle de la guerre de Corée qui fait référence dans les milieux universitaires. Dans un de ses ouvrages les plus récents, The Korean War. A History, publié en 2010 par la maison d'édition américaine Modern Library, Bruce Cuming revient notamment sur la couverture de la guerre par les journalistes occidentaux. Nous publions ci-après une traduction des premières pages de son chapitre "Culture of repression" ("Une culture de la repression") qui souligne l'ignorance, mais aussi le racisme, qui ont entouré et continuent de marquer le souvenir de la guerre de Corée en Occident. Des témoignages nous ont été rapportés d'anciens combattants français qui, surtout en groupe, continuent d'utiliser les mêmes expressions négatives pour désigner les Coréens, soixante ans plus tard, signe que les clichés et l'inculture ont la vie dure et jouent un rôle important dans l'incompréhension actuelle de la question coréenne en Occident.

 

"La guerre de Corée est une guerre oubliée car elle a eu lieu au plus fort de l'ère McCarthy (Julius et Ethel Rosenberg ont été mis en accusation quand la guerre a commencé et exécutés juste avant qu'elle ne prenne fin), rendant improbable la conduite d'une enquête ouverte ou l'expression d'une opinion dissidente. Le front intérieur était un endroit non seulement marqué par la répression mais également fascinant, avec les films d'Hollywood qui replaçaient en Corée le scénario de la Seconde guerre mondiale, des hebdomadaires comportant des articles et des photos qui rendaient compte d'un type de guerre nouveau et différent (anticipant le Vietnam) et des histoires atroces qui effrayaient et inquiétaient tous les Américains (comme après le 11 septembre) : la menace d'un bloc communiste unifié, de Berlin à Canton, des défaites écrasantes et incompréhensibles sur les champs de bataille, le "lavage de cerveau" diabolique et la stupéfiante défection dans le monde communiste de vingt-et-un Américains à la fin de la guerre (tous finirent en Chine, et presque tous retournèrent finalement aux Etats-Unis).

 

La guerre de Corée telle qu'elle a été connue et observée correspond aux six premiers mois du conflit, lorsque quelque 270 journalistes de dix-neuf pays suivirent les troupes au fur et à mesure de l'évolution des lignes de front, et envoyèrent à leurs éditeurs des comptes rendus pour l'essentiel non censurés [1]. Ils comprirent immédiatement qu'il s'agissait d'une guerre très différente de la conflagration mondiale qui avait pris fin cinq ans plus tôt - et que la plupart d'entre eux avaient déjà couverte. C'était manifestement une guerre plus réduite et plus restreinte (on l'appelait "la guerre limitée" avant que n'advienne la guerre du Vietnam), mais c'était aussi quelque chose de nouveau : une guerre civile, une guerre populaire. Le meilleur reporter était Reginald Thompson, un journaliste britannique aguerri qui avait jusqu'alors rendu compte de tous les conflits majeurs du vingtième siècle et qui a couvert la Corée avant que ne commence la censure. Honnête, curieux, faisant un travail d'investigation, croyant à la vérité vue de ses yeux vues, disant ce qu'il pensait, il était ce qu'on attendait d'un correspondant de guerre. Cry Korea (Pleurer la Corée) de Thompson est le seul ouvrage occidental de la guerre de Corée que l'on puisse comparer aux classiques de la guerre civile chinoise comme Two kinds of time de Graham Peck ou China shakes the world de Jack Belden. Mais un autre témoignage est presque aussi intéressant : le général William F. Dean a erré dans les collines près de Taejon pendant plus d'un mois après sa défaite au champ de bataille, et a ensuite passé trois ans dans un camp de prisonniers nord-coréen. Ses observations sincères et profondes apportent peu d'eau au moulin de la Guerre froide opposant l'enfer communiste et les libertés du monde libre. L'un et l'autre ouvrent une fenêtre sur des témoignages sincères.

 

La couverture du début de la guerre est fascinante et riche d'enseignements, révélant sa nature fondamentale de guerre civile ; la guerre a ravagé toute la péninsule pendant six mois, permettant de tout voir. Puis, pendant deux ans, elle a été une guerre de position le long de la DMZ, et les Occidentaux n'eurent que peu de contacts avec les Coréens, sinon, comme ennemis, soldats, domestiques ou prostituées. Thompson a été consterné par le racisme ordinaire omniprésent des Américains, du soldat au général, et leur époustouflante ignorance de la Corée. Les Américains utilisaient le mot "Guk" pour désigner tous les Coréens, du Nord comme du Sud, mais plus particulièrement les Nord-Coréens, le mot "chink" étant réservé aux Chinois. Des décennies plus tard, beaucoup continuent d'utiliser ce terme dans leurs récits oraux [2]. Cette insinuation raciste est apparue d'abord aux Philippines, a ensuite traversé les rives du Pacifique pendant la guerre, puis gagné la Corée et le Vietnam. Ben Anderson y voit une expression de la "boue sans nom" que représente l'ennemi, et pourrait traduire l'anonymat des Coréens, aux yeux des Américains, qui étaient en face d'eux et tels qu'ils les voient encore aujourd'hui. Les volumineuses histoires orales de Donald Knox, par exemple, désignent rarement, sinon jamais, les Coréens. Mais les soldats américains commentent ce paradoxe que "leurs guk" combattent comme des diables alors que "nos guks" sont peureux, se cachent et ne sont pas fiables. (Le général Dean relèvent le fort ressentiment dont sont animés tous les Coréens, Nord comme Sud, lorsqu'ils sont appelés "guk") [3].  Il ne venait pas à l'idée de la plupart des Américains que des combattants anticoloniaux pouvaient combattre pour quelque chose."

 

Notes de l'auteur

[1] Knightly, Phillip (1975). The First Casualty : From the Crimea to Vietnam - The War Correspondent as Hero, Propagandist and Myth Maker. New York : Harcourt Brace Jovanovich. Citation p 338. Il s'agit d'un remarquable reportage rendant compte de la guerre de Corée.

[2] Knox, Donald (1985), The Korean War : Pusan to Chosin - An Oral History. New York : Harcourt Brace Jovanovich. Citations p. 6, 67, 116 sq.

[3] Dean, William F. (1954), General Dean's Story, tel que raconté à William L. Worden. New York : The Viking Press. Citation p. 163.

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