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8 mai 2016 7 08 /05 /mai /2016 11:28

Si les élections législatives sud-coréennes du 13 avril 2016 ont marqué la défaite inattendue du Parti Saenuri (conservateur) de la Présidente Mme Park Geun-hye, une autre surprise est venue de l'excellent résultat d'une nouvelle formation d'opposition, le Parti du peuple - dont la principale figure est l'entrepreneur et ancien candidat à l'élection présidentielle de 2012 Ahn Cheol-soo - arrivé deuxième au scrutin de liste national. Dans le Jeolla, bastion de l'opposition, le Parti du peuple a de surcroît remporté la plupart des sièges (23 sur 28) pourvus au scrutin majoritaire à un tour dans les circonscriptions. Mais, depuis le scrutin, les ouvertures du Parti du peuple envers le Parti Saenuri lui ont très rapidement aliéné une part importante de ses soutiens dans le Jeolla, traduisant aussi les limites de la stratégie centriste d'Ahn Cheol-soo pour remporter l'élection présidentielle de décembre 2017, sur laquelle tous les regards se focalisent désormais.

Woo Sang-ho, qui dirige le groupe parlementaire du Parti Minjoo (démocrate, première formation du Parlement), au centre, présente son équipe le 8 mai 2016.

Woo Sang-ho, qui dirige le groupe parlementaire du Parti Minjoo (démocrate, première formation du Parlement), au centre, présente son équipe le 8 mai 2016.

Dans le Jeolla, les conservateurs, héritiers de la junte militaire qui a écrasé l'opposition dans le sang, notamment lors du soulèvement de Gwangju en 1980, sont haïs : lors des dernières législatives du 13 avril 2016, ils ont recueilli dans la province, au scrutin national de liste, 2,9 % des voix à Gwangju, 5,7 % dans le Jeolla du Sud et 7,6 % dans le Jeolla du Nord. Dans ce contexte, il y a lieu de se demander si, à ce même scrutin législatif, le Parti Minjoo (principale formation d'opposition, démocrate) n'a pas été nettement devancé dans le Jeolla par les dissidents du Parti du Peuple du fait notamment du choix peu judicieux de son dirigeant par intérim : Kim Chong-in, un économiste qui avait soutenu la Présidente Park Geun-hye en 2012 et été pendant longtemps un député conservateur. D'autres facteurs ont probablement également joué sur le résultat dans le Jeolla le 13 avril dernier, comme la défiance vis-à-vis des partis traditionnels (dans le Jeolla, seul le Minjoo peut prétendre à ce rôle) et les dissensions internes aux démocrates, qui ont conduit des dirigeants démocrates ayant leur base dans cette province à rejoindre le Parti du peuple.

Or, moins d'un mois après le scrutin, un rééquilibrage s'est opéré dans le Jeolla entre le Parti Minjoo et le Parti du peuple : selon les résultats d'un sondage conduit entre le 2 et le 4 mai 2016, rendus publics le 8 mai, le soutien au Parti Minjoo dans la province a progressé à 35,2 % (+ 7,6 % par rapport aux élections du 13 avril), quand celui au Parti du peuple a reculé à 35,8 % (- 14,8 %). S'agissant des sondages pour l'élection présidentielle de décembre 2017, l'écart est encore plus net : Moon Jae-in, pour le Parti Minjoo, recueille 31,3 % des intentions de vote dans la province (+ 8 % en une semaine), quand Ahn Cheol-soo tombe à 25,5 % (- 10,4 % en une semaine).

De telles évolutions sont interprétées comme le résultat de la stratégie centriste du Parti du peuple d'ouverture vers les conservateurs du Parti Saenuri, alors que les 38 sièges de députés (sur 300) du Parti du peuple en font une formation charnière dans le nouveau Parlement. En particulier, Park Jie-won, député du Jeolla et qui dirige le groupe parlementaire du Parti du peuple, a ouvertement envisagé une coopération avec le Saenuri et la possibilité de soutenir un candidat conservateur à la présidence de l'Assemblée nationale :

Si la Présidente Park Geun-hye s'excuse pour sa mauvaise administration et recherche une coopération, nous souhaitons qu'un membre du Parti Saenuri devienne président de l'Assemblée.

Une coopération au-delà des clivages partisans ? C'est précisément ce que Mme Park Geun-hye appelle de ses voeux, au mépris du verdict des urnes. Quant au Parti du peuple, après s'être fait élire sur un programme d'opposition aux conservateurs (notamment sur les questions économiques), il n'hésite pas à opérer une volte-face qui ne peut être interprétée que comme une manoeuvre opportuniste pour partager les postes avec le Saenuri (car on imagine difficilement que le soutien au Saenuri à la présidence de l'Assemblée soit sans contrepartie), ou propulser Ahn Cheol-soo à la présidence de la République. 

Le même Ahn Cheol-soo a suscité lui-même la controverse, en se positionnant pour davantage d'autonomie des universités et en déclarant qu'il n'y avait pas besoin de ministère de l'éducation nationale.

Si des rencontres entre le Saenuri et le Minjoo ont par ailleurs lieu, les électeurs, et pas seulement ceux du Jeolla, qui ont dit très majoritairement "non" aux conservateurs le 13 avril, peuvent légitimement se demander si un scénario déjà connu n'est pas en train de se rejouer : lors de l'élection présidentielle de 1987, la division de l'opposition démocratique entre deux candidats (Kim Young-sam et Kim Dae-jung) avait entraîné la victoire du candidat de la junte militaire. Cinq ans plus tard, Kim Young-sam était élu à la Présidence de la République contre Kim Dae-jung... après avoir rallié la droite et les militaires. Il faudra finalement atteindre cinq ans de plus, et l'élection de Kim Dae-jung à la présidence de la République en 1997, pour que l'alternance démocratique ait enfin lieu en Corée du Sud, pour la première fois en un demi-siècle.

Ahn Cheol-soo n'est pas Kim Young-sam et rien ne permet de dire que l'ancien opposant soit un modèle pour Ahn Cheol-soo ou que ce scénario soit rêvé par les stratèges conservateurs et les forces de sécurité, ces derniers affolés à l'idée de perdre le pouvoir et de voir leurs anciennes manoeuvres politiciennes révélées (notamment les manipulations de l'opinion publique nationale et internationale lors du naufrage en 2010 du Cheonan, vécu comme le "11 septembre" sud-coréen, et du drame du Sewol).

Il n'en reste pas moins qu'Ahn Cheol-soo, dont 13 % des électeurs au scrutin de liste auraient voté pour le Saenuri dans les circonscriptions pourvues au scrutin majoritaire, affiche ouvertement une ligne centriste, qui n'est pas "ni Minjoo ni Saenuri", mais plutôt "et Minjoo et Saenuri". Croit-il pouvoir réaliser un consenus sur son nom ? Lui, l'ancien opposant à tous les partis, qui n'avait pas de mots assez durs contre le Minjoo au point qu'il apparaissait à certains comme l'allié objectif des conservateurs, est devenu l'ami de tous les partis (sauf de la gauche, bien sûr). Le chantre de la politique autrement est devenu le symbole de la politique de clans et d'arrangements vivement rejetée par l'opinion. Mais le brouillage idéologique ne dure qu'un temps : il faudra bien qu'à un moment ou à un autre Ahn Cheol-soo dise de quel côté des barrricades il se situe : les partisans de la défense d'une démocratie sud-coréenne en danger et les héritiers des combattants pour la démocratie qui ont payé de leur vie l'opposition à la junte militaire, ou bien le Parti Saenuri, les conglomérats financiers (les chaebols), lui-même étant une des plus grandes fortunes de Corée, l'extrême-droite religieuse et les forces de renseignement, fer de lance des atteintes actuelles aux droits de l'homme en Corée du Sud. A moins bien sûr qu'Ahn Cheol-soo perde sur tous les plans, et que l'opinion publique décide d'elle-même de le disqualifier comme un prétendant sérieux à la prochaine élection présidentielle. Tel est le destin habituel des parti attrape-tout, dès qu'ils sont confrontés à l'exercice du pouvoir.

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