Il y a pratiquement deux ans jour pour jour, un accord était signé, le 28 décembre 2015, entre les ministres des Affaires du Japon et de la République de Corée (Corée du Sud) afin de résoudre "de manière finale et irréversible" la question des "femmes de réconfort" - euphémisme désignant les centaines de milliers d'esclaves sexuelles, souvent coréennes, de l'armée japonaise avant et pendant la Seconde guerre mondiale. L'accord avait alors été bruyamment salué par les Etats-Unis, soucieux de renforcer la cohésion entre leurs alliés en Asie du Nord-Est et qui - dans les conflits entre la Corée et le Japon - prennent traditionnellement le parti de Tokyo, ainsi que par le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, qui avait bâti sa carrière sur un soutien loyal (pendant près de quarante ans) à tous les gouvernements qui se sont succédé à Séoul, y compris les plus autoritaires. Pour sa part, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), de concert avec les organisations de défense des anciennes victimes de l'esclavage sexuel et l'opposition sud-coréenne, avait immédiatement dénoncé un accord inique, marquant un recul sans précédent pour la reconnaissance des crimes sexuels commis contre les "femmes de réconfort".
Après son élection le 9 mai 2017, le Président Moon Jae-in (qui s'était engagé pendant la campagne à revenir sur le déshonorant accord de décembre 2015) a mis en place un groupe d'enquête au sein du ministère des Affaires étrangères dont le chef, Oh Tai-kyu, a divulgué, le 27 décembre 2017, les clauses cachées à l'opinion publique et aux victimes, ainsi que l'implication de la présidence sud-coréenne.
Après la Première guerre mondiale, un consensus semblait devoir s'imposer quant à la nécessité de mettre fin à la "diplomatie secrète" - c'est-à-dire ces accords cachés, dont la conclusion, par le jeu des alliances, avait favorisé la montée des tensions ayant conduit au déclenchement du premier conflit généralisé à l'échelle de la planète. Mais la diplomatie secrète avait de beaux jours devant elle, notamment de la part des gouvernements d'Etats autoritaires ne voulant pas assumer leurs décisions de politique étrangère vis-à-vis de leurs opinions publiques.
Lorsque la Présidente sud-coréenne Mme Park Geun-hye avait finalisé la conclusion de l'accord du 28 décembre 2015 sur les "femmes de réconfort" (car on sait désormais que les négociations avaient été en pratique menées par la présidence de la République, et non par le ministre des Affaires étrangères, seul mis en avant dans la publicité autour de l'accord), elle pensait faire coup double. D'une part, elle s'attirerait les faveurs des nationalistes japonais, vus comme de précieux alliés par de larges pans de la droite et de l'extrême-droite sud-coréennes face aux progressistes sud-coréens et à la Corée du Nord (l'accord de décembre 2015 était une condition posée par Tokyo pour un sommet entre elle-même et le Premier ministre japonais Shinzo Abe). D'autre part, elle pensait obtenir les faveurs de l'opinion publique en apparaissant comme la première chef d'Etat de la République de Corée à obtenir un règlement de la question des anciennes esclaves sexuelles de l'armée impériale japonaise, très sensible dans l'opinion publique non seulement coréenne, mais internationale - de plus en plus de voix s'élevant pour dénoncer les crimes sexuels perpétrés en temps de guerre.
Toutefois, les nombreux reculs assumés publiquement par Séoul lors de la conclusion de cet accord l'avaient rendu inacceptable à une majorité de Sud-Coréens - notamment le fait qu'il éludait la responsabilité morale de l'Etat japonais dans la mise en place du système d'esclavage sexuel, et que la République de Corée s'engageait à ne plus évoquer cette question dans les relations internationales, en contrepartie de la mise en place par le Japon d'un fonds d'indemnisation des victimes doté de 7,6 millions d'euros. Les associations défendant les anciennes femmes de réconfort, non consultées par les autorités sud-coréennes, avaient dénoncé un accord humiliant, où le silence de la Corée du Sud était acheté pour une poignée de yens.
Avec les conclusions des travaux de la commission d'enquête dirigée par Oh Tai-kyu, contenues dans un rapport de trente pages, il est désormais de notoriété publique que l'administration Park Geun-hye a de surcroît voulu laisser certaines clauses secrètes, comme l'engagement des autorités sud-coréennes à ne pas favoriser les actions de groupes civiques tendant à ce que soient érigées des statues, de par le monde, représentant d'anciennes femmes de réconfort alors adolescentes ou jeunes femmes. La statue la plus connue est celle qui se trouve devant l'ambassade du Japon à Séoul. Lors de la conclusion de l'accord de décembre 2015, le Japon avait insisté sur la responsabilité des autorités sud-coréennes à retirer cette statue, et Séoul avait ensuite dit publiquement envisager une telle possibilité - qui ne s'était pas concrétisée, du fait de l'opposition et de la colère des Coréens.
Le rapport de la commission d'enquête précise que Séoul a cédé à la demande de Tokyo de mentionner les statues des femmes de réconfort dans l'accord, que les discussions sur l'accord avaient été menées pendant des années au niveau des directeurs d'administration japonais et sud-coréen et que des instructions avaient été données aux diplomates sud-coréens de ne plus évoquer ce sujet. Enfin, les associations de défense des femmes de réconfort avaient été tenues à l'écart des discussions et mises devant le fait accompli lors de l'annonce publique de l'accord, afin que les protestations des victimes ne soient pas un obstacle à la réconciliation nippo-sud-coréenne voulue par Mme Park.
Tous les mercredi des manifestations ont lieu à Séoul pour que justice soit rendue aux femmes de récconfort. Le 28 juin 2017, de jeunes Coréens en visite en France ont effectué une manifestation du mercredi place du Trocadéro, à Paris (source : AAFC, http://www.amitiefrancecoree.org/2017/06/sur-le-parvis-des-droits-de-l-homme-manifestation-du-mercredi-pour-que-justice-soit-rendue-aux-femmes-de-reconfort.html).
Source :
'Sex slavery deal signed with sensitive parts concealed'
The government of former President Park Geun-hye kept sensitive parts of its December 2015 agreement with Japan over "comfort women" secret, the chief of an investigation into the deal said ...
http://www.koreatimes.co.kr/www/nation/2017/12/120_241562.html
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