La fin de l'année 2010 a vu les médias occidentaux mettre en lumière un site Internet, WikiLeaks, qui a notamment divulgué le contenu de nombreux télégrammes diplomatiques américains. L'AAFC n'a pas qualité pour participer au débat sur l'origine des fuites ni sur leurs conséquences politiques et diplomatiques, ne pouvant que se borner à constater que les difficultés du site et les poursuites intentées à l'encontre de son principal porte-parole, Julian Assange, portent un regard cru sur les limites de la démocratie au sens où l'entendent les gouvernements occidentaux. Spécialisée sur les questions coréennes, l'AAFC souhaite plus modestement faire le point sur ce que nous apprennent les télégrammes diplomatiques américains rendus publics de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), et des moyens de la diplomatie américaine elle-même.
"WikiLeaks nous aide à comprendre, après tout, que le renseignement n'est parfois pas fiable et peut même être amusant", selon le constat d'un spécialiste russe de la Corée du Nord, Leonid Petrov, dans un message posté sur Facebook le 1er décembre 2010. "Il nous apprend aussi ce qui peut arriver quand vous n'avez pas d'accès direct à la Corée du Nord. Les personnes qui connaissent réellement la Corée du Nord n'envoient pas des télégrammes à leurs gouvernements depuis les pays voisins [de la Corée du Nord]", ce qui suppose d'avoir des diplomates en poste à Pyongyang - comme ce n'est pas le cas des Etats-Unis, du Japon ou de la France.
De fait, de révélations sur la Corée du Nord, il n'y en a pas eu : qu'il s'agisse des (nombreuses) spéculations sur le pouvoir nord-coréen ou des positions sur la question coréenne des autres gouvernements que celui des Etats-Unis, tout avait déjà été dit par des fuites dans la presse, y compris sur des rumeurs qui devaient finalement s'avérer fausses. Ce qui a été présenté comme la principale nouveauté serait les interrogations au sein du gouvernement chinois sur la possibilité, ou non, d'une remise en cause de l'alliance sino - nord-coréenne. Mais là encore, le débat relevait du domaine public, au moins depuis l'essai nucléaire nord-coréen du 25 mai 2009 qui avait entraîné la publication d'articles, dans plusieurs médias chinois officiels, appelant à réviser la position de la Chine à l'égard de la RPDC. Pourtant, le raffermissement de l'entente sino - nord-coréenne, patent au second semestre de l'année 2010 après la multiplication des exercices conjoints américano - sud-coréens, a montré la différence qu'il faut établir entre la position du gouvernement chinois et les débats à l'intérieur de la société chinoise. Les diplomates américains semblent avoir d'autant plus volontiers amplifié les voix chinoises critiques à l'égard de la RPDC qu'elles ne pouvaient que conforter leurs secrets espoirs d'une dégradation des relations entre Pyongyang et Pékin.
Parmi les télégrammes diplomatiques rendus publics, on notera la faible place qu'occupent les sujets militaires, indiquant par là-même qu'il s'agit d'extraits des documents présentant le plus faible degré de confidentialité, et qui sont aussi les plus largement diffusés. On ne saura ainsi rien des coopérations militaires, réelles ou supposées, entre la Corée du Nord et l'Iran, la Syrie ou la Birmanie.
Malgré cette limite d'accès aux télégrammes diplomatiques américains, le contenu des documents rendus publics est surtout révélateur des centres d'intérêt du renseignement américain sur la RPDC, de ses sources et, avouons-le, de ses faiblesses. Les questions économiques et sociales sont réduites à la portion congrue. En revanche, les spéculations sur les dirigeants nord-coréens sont légion, sans réel effort pour comprendre le système politique ni les enjeux de pouvoir entre les différents acteurs - contrairement, par exemple, aux analyses assez fines conduites par des chercheurs étrangers sur la période de mise en place des institutions nord-coréennes après 1945.
Généralement dépourvus d'accès à des sources nord-coréennes (en tout cas, pour ceux qui se sont exprimés dans WikiLeaks), les diplomates américains se prêtent au jeu des spéculations fondées sur les sources les plus faibles : des témoignages oraux de personnes tierces ayant accès à la Corée du Nord. Mais quel crédit accorder à des discussions de fin de repas (arrosé ?) avec tel ou tel acteur chinois ou russe, surtout quand elles proviennent de diplomates manifestement néophytes en matière de renseignement ? La Corée du Nord apparaît ainsi comme le révélateur des failles diplomatiques de l'hyperpuissance américaine.
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