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26 octobre 2017 4 26 /10 /octobre /2017 17:09

Un spectre hanterait la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) : le spectre de l'antichristianisme. Encore et toujours, la Corée du Nord serait prétendument le pays offrant le moins de liberté religieuse au monde. Soucieuse de présenter la réalité nord-coréenne au-delà des clichés et du prêt-à-penser médiatique, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) a dû, à plusieurs reprises, corriger des affirmations à l'emporte-pièce sur la pratique religieuse en RPDC : ainsi, en août 2013, nous avions répondu à Gonzague Saint Bris qui s'était exprimé à ce sujet dans les colonnes du Monde, en faisant état pour notre part de ce que nous avions vu à Pyongyang. La difficulté est cependant qu'il ne s'agit pas seulement de rétablir les faits pour ouvrir un vrai débat où chacun puisse se forger son opinion, mais encore de toucher le lectorat le plus large. Dans ce contexte, quand un journal qui se définit comme catholique, le bimensuel Monde&Vie, a proposé un entretien sur la Corée du Nord à l'AAFC, celle-ci a donné suite au regard des questions posées et des garanties apportées quant à la publication de l'intégralité des réponses. L'idée est aussi d'atteindre un public qui n'est pas celui habituel du site Internet de l'AAFC, association indépendante de tout parti politique. Avec l'autorisation de Monde&Vie, l'AAFC reproduit ci-après le texte de l'entretien qu'a accordé Benoît Quennedey, président de l'AAFC, dans le numéro 946 daté du 19 octobre 2017.

Le président de l'AAFC répond au bimensuel « Monde&Vie »

Haut-fonctionnaire et auteur d’un livre sur l’économie de la Corée du Nord, Benoît Quennedey est l’un des meilleurs connaisseurs français des questions nord-coréennes. La Corée, il la connaît, tant au nord qu’au sud. Jeune président de l’Association d’amitié franco-coréenne (AAFC), il a bien voulu livrer pour Monde&Vie ses analyses sur les récentes polémiques et tensions consécutives au dernier essai nucléaire entrepris par Pyongyang.

« Je ne crois absolument pas à une nouvelle guerre de Corée »

Dialogue avec Benoît Quennedey

Monde&Vie (M&V) : Récemment, on a assisté à une véritable escalade verbale de la part de Donald Trump, notamment aux Nations Unies, contre la Corée du Nord, pensez-vous qu’un conflit armé est envisageable entre Pyongyang et Washington ?

Benoît Quennedey (BQ) : Une guerre verbale est très différente d’une action militaire, même si les autorités nord-coréennes ont récemment parlé de déclaration de guerre. Alors que l’utilisation d’armes nucléaires entraînerait une destruction mutuelle qui n’est pas envisageable, certains milieux américains évoquent une frappe préventive et ciblée contre la Corée du Nord. Pourtant, une telle action n’aurait guère de sens aux plans stratégique et militaire : l’arsenal nucléaire nord-coréen est disséminé et enfoui ; le dirigeant nord-coréen pour sa part ne peut être localisé précisément car il se déplace constamment ; enfin, comme pendant la guerre de Corée (1950-1953), les Nord-Coréens sont prêts à vivre sous terre pour échapper aux bombardements. C’est pourquoi, même si des accrochages militaires meurtriers sont possibles (il y en a d’ailleurs eu à de multiples reprises depuis l’armistice de 1953), je ne crois absolument pas à une guerre dans les circonstances actuelles.

M&V : Le régime de Pyongyang n’est-il pas aussi dans une fuite en avant, multipliant provocations et déclarations belliqueuses ?

BQ : Vivant dans une logique obsidionale depuis sept décennies, les autorités nord-coréennes veulent absolument conjurer le sort de l’Irak en 2003 et de la Libye en 2011 et considèrent donc la dissuasion nucléaire comme leur assurance vie qui les protégera de toute attaque américaine. Elles poursuivront leurs essais nucléaires et leurs tirs balistiques jusqu’à ce qu’elles estiment disposer d’une force de dissuasion complète, c’est-à-dire des vecteurs balistiques pouvant transporter des armes nucléaires miniaturisées qui atteindraient des points précis du continent américain. Pour la Corée du Nord, ce n’est plus qu’une question au plus d’années, sinon de mois.

M&V : Vous ne souscrivez pas à ceux qui font de la Corée du Nord le dernier régime stalinien du monde…

BQ : En Corée du Nord il n’y a pas de portrait de Marx et de Lénine, l’idéologie est celle du Juche qui pose comme principe cardinal l’autonomie et l’indépendance des peuples d’une part, des individus d’autre part... Parler de marxisme, et a fortiori de stalinisme, est méconnaître la réalité économique, sociale et politique de la Corée du Nord.

M&V : Comment décrire le régime nord-coréen et la société qu’il régit ? Une monarchie ?

BQ : C’est un régime socialiste et nationaliste, dont les structures sont héritées des démocraties populaires mais qui ont fortement évolué avec la disparition de l’URSS et des démocraties populaires, la mise en place de mécanismes de marché à la faveur de l’effondrement économique des années 1990 (et d’une sévère pénurie alimentaire) puis de zones économiques spéciales, s’inspirant peu ou prou de celles créées en Chine deux décennies plus tôt.

Dans ce cadre, la place prépondérante du dirigeant, et la succession de père en fils sur trois générations depuis la fondation du pays en 1948, est un trait typiquement coréen, qui puise ses racines dans l’héritage confucianiste très ancré dans l’ensemble de la péninsule et qui honore les pères et les fondateurs. Formellement, cela rappelle les monarchies, mais il existe des processus décisionnels – au sein du Parti du travail – qui sont étrangers à une monarchie, qu’elle soit absolue ou inscrite dans un régime parlementaire. Plus fondamentalement, la place politique éminente du dirigeant ne dit rien sur les processus décisionnels effectifs, les cercles de pouvoir... La France a ainsi connu quatorze siècles de monarchie, mais quoi de commun entre les rois dits fainéants de la fin de l’ère mérovingienne et les rois Louis apparaissant comme des monarques absolus ?

M&V : Quel est le jeu de Kim Jong Un ? A-t-il renforcé son emprise sur les institutions ?

BQ : Lors de la disparition de son père et prédécesseur Kim Jong Il, en décembre 2011, il n’avait été étroitement associé au processus politique au plus haut niveau que depuis moins de trois ans et il n’avait pas encore 30 ans. L’accélération – et les réussites, au plan technique – des programmes nucléaires et balistiques ont renforcé son statut de commandant en chef des forces armées, ainsi que vraisemblablement affermi son statut de dirigeant incontesté. J’emploie à dessein le terme « vraisemblablement » car, dans la société politique issue de la guérilla antijaponaise qu’est la Corée du Nord, qui a mis en place des systèmes très efficaces de préservation du secret d’État, on ne sait rien de certain sur les processus décisionnels effectifs.

M&V : Y a-t-il une liberté religieuse en Corée du Nord ?

BQ : Lors de la création du pays et de sa partition, les chrétiens – et plus particulièrement les protestants, plus nombreux que les catholiques aujourd’hui encore en Corée – étaient positionnés à droite sur l’échiquier politique, et opposés aux communistes coréens. Mais beaucoup d’eau a depuis coulé sous les ponts : à la fin des années 1980 on assiste à la réouverture d’églises de différents cultes en Corée du Nord et à l’impression de bibles à Pyongyang, parallèlement à un rôle croissant de missionnaires chrétiens étrangers pour aider les populations nord-coréennes. Si l’immense majorité des Nord-Coréens n’ont pas de religion (ou se déclarent bouddhistes), le temps des oppositions frontales entre chrétiens et communistes athées appartient au passé… Les catholiques de Corée du Nord ont aussi salué l’élection du pape François et, très pragmatiquement, les Nord-Coréens utilisent les canaux du dialogue religieux pour favoriser les échanges inter-coréens. Ceci dit, comme dans les ex-démocraties populaires, la pratique religieuse est plus tolérée qu’encouragée, et dans le cadre d’associations religieuses pro-gouvernementales. L’action des missionnaires évangélistes, très actifs auprès des réfugiés nord-coréens à la frontière sino-coréenne, est combattue par les autorités nord-coréennes, comme plus largement tout ce qu’elles considèrent comme un prosélytisme anti-régime.

M&V : La Corée est l’un des rares pays du monde à rester divisé en demeurant officiellement en guerre. Pensez-vous qu’une réunification est envisageable, à terme, entre le Nord et le Sud ?

BQ : En effet, depuis la fin de la guerre de Corée en 1953, l’armistice signé n’a jamais conduit à la conclusion d’un traité de paix et des affrontements meurtriers ont émaillé les relations inter-coréennes. Pour autant, le nationalisme coréen, très fort dans l’ensemble de la péninsule, a conduit à un net essor des échanges dans tous les domaines pendant dix ans (1998-2008) avant que le retour au pouvoir des conservateurs à Séoul ne remette en cause les fragiles acquis du dialogue inter-coréen, qui ouvrait la voie vers la réconciliation, la paix et à terme la réunification. Mais des espoirs de reprise des échanges resurgissent depuis l’élection du Président Moon Jae-in à Séoul, après que la rue eut chassé du pouvoir la très autoritaire Mme Park Geun-hye qui était sous l’influence de sa gourou Mme Choi Soon-sil – une sorte de Raspoutine à la mode coréenne.

La réunification sera un processus long et difficile, mais la force dans toute la Corée du sentiment national – et, disons-le, identitaire – rend à mon sens la réunification inéluctable, sous des formes qui seront à déterminer : peut-être une confédération, avec deux États et deux systèmes ? Ce sera aux Coréens d’en décider, dans le respect de leur souveraineté, sans ingérence étrangère.

M&V : Quel est le rôle de l’association que vous dirigez ?

BQ : Nous favorisons les échanges avec les deux parties d’une nation divisée contre son gré par le jeu des grandes puissances au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Nous ne croyons pas aux donneurs de leçons de démocratie : l’ouverture de la Corée du Nord doit s’effectuer en tenant compte des réalités et non par des calculs hasardeux. Aujourd’hui tout le monde peut observer qu’en Libye, la chute du colonel Kadhafi, en créant un sanctuaire de l’État islamique, a augmenté durablement les tensions et les dangers dans cette partie du monde. Ses objectifs, l’AAFC les mène de manière réaliste : accueil d’une délégation de jeunes handicapés à Paris en février 2015 (en collaboration avec un pasteur anglican d’origine sud-coréenne), encouragement aux coopérations scientifiques en liaison avec les chercheurs, actions humanitaires pour venir en aide aux populations nord-coréennes en cas de catastrophes, en relation étroite avec les ONG laïques ou chrétiennes… Nous avons le souci de venir en aide aux plus faibles, tout en favorisant les échanges et la coopération internationale franco-nord-coréens, certains d’œuvrer, à notre échelle grâce à un réseau de bénévoles dévoués dans toute la France, à un monde de paix fondé sur le dialogue et la compréhension mutuelle, loin des caricatures et des anathèmes. C’est de l’échange fécond que naît l’espoir d’un monde meilleur.

 

Propos recueillis par François Hoffman

 

Source : Monde&Vie, n°946, 19 octobre 2017, pp. 16-17

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